C'est une opération inédite par son ampleur. L'Équateur a obtenu le 9 mai dernier la réduction d'environ un milliard de dollars de sa dette extérieure commerciale. En contrepartie, il promet d'investir 450 millions de dollars pour la conservation des îles Galápagos. Situé dans l'océan Pacifique, l'archipel équatorien est classé au patrimoine mondial de l'UNESCO pour sa biodiversité hors du commun.

Ce type d'accord, appelé "échange dette-nature" a vu le jour lors de la crise de la dette de la fin des années 1980. S'il a déjà été conclu dans une quinzaine de pays (comme au Belize ou aux Seychelles récemment), le deal passé par Quito est historique : jamais un échange dette-nature n'avait atteint une telle somme. « La dette actuelle d'environ 1,63 milliard de dollars a été échangée contre une nouvelle dette de 656 millions de dollars », a indiqué le gouvernement équatorien. Les économies ainsi réalisées lui permettront de protéger au mieux son joyau à l'écosystème riche mais fragile.

Un accord gagnant-gagnant

Surendetté, l'Équateur traverse une crise économique et sociale majeure. Le Covid-19, la chute des prix du pétrole dont il est très dépendant et la hausse des taux d'intérêt ont obligé le Fonds monétaire international (FMI) à lui prêter main-forte. Par crainte que la situation ne s'aggrave encore, des investisseurs ont préféré vendre des obligations, c'est-à-dire des morceaux de la dette équatorienne, pour deux fois et demie moins que leur prix initial. Elles ont ensuite été rachetées par d'autres investisseurs, malgré les risques et à condition que l'argent serve à « renforcer les zones protégées ».

La transaction, qui concerne 3% de la dette extérieure totale de l'Équateur (48,1 milliards de dollars en février), bénéficiera à deux réserves marines et au parc national des Galápagos. Les fonds dégagés iront « en priorité à la surveillance, au contrôle et aux patrouilles, avec comme objectif de garantir l'intégrité des principaux écosystèmes marins de l'archipel », a précisé le ministère de l'Environnement. « Les espèces migratrices en danger critique d'extinction » telles que le requin-baleine et le requin-marteau, ainsi que les tortues de mer feront l'objet d'une attention particulière.

Des contradictions demeurent

À première vue, cette échange dette-nature est une bonne nouvelle pour tout le monde, les défenseurs de l'environnement d'un côté, le gouvernement équatorien de l'autre. Celui-ci parle d'ailleurs d'une étape essentielle « qui marque un avant et un après dans le développement environnemental et économique du pays ». Mais son engagement en faveur des Galápagos est loin d'être désintéressé. Le tourisme et la pêche dans l'archipel rapporte chaque année plusieurs centaines de millions de dollars à l'État. En protégeant sa biodiversité, il fortifie indirectement deux secteurs cruciaux pour son économie.

L'accord passé par l'Équateur est aussi une façon de laver son image trouble. Là encore, le discours officiel suscite l'adhésion. Le gouvernement parle de « transition verte vers une économie productive, inclusive et durable ». Mais depuis plusieurs décennies, les accusations de pollution à grande échelle s'accumulent contre lui. Près de 500 000 barils de pétrole sont exploités chaque jour dans la partie amazonienne du pays, faisant du brut le premier produit d'exportation équatorien. À son arrivée au pouvoir en 2021, le président Guillermo Lasso a même promis de doubler ce chiffre à court terme.

Une source d'inspiration malgré tout

Ces paradoxes mis à part, l'exemple équatorien pourrait inspirer plus d'un pays à revenu faible ou intermédiaire en situation de surendettement. Jusqu'à présent, Quito n'avait pas les ressources financières suffisantes pour rembourser sa dette, encore moins pour protéger correctement sa faune et sa flore uniques au monde. Avec cet échange, le plus grand jamais réalisé pour la conservation de la nature, l'Équateur fait d'une pierre deux coups.

Plus largement, les pays les plus vulnérables sur le plan socio-économique sont souvent situés dans des zones où la biodiversité est menacée. La pandémie de Covid-19 a nettement affaibli leur capacité de remboursement de la dette publique. À cela s'ajoute l'intensification des crises environnementales et climatiques, qui les impactent au premier chef. Ce double fléau menace leur avenir à plus ou moins long terme. Dans ces conditions, les échanges dette-nature génèrent un intérêt nouveau. Il faut donc s'attendre à les voir se multiplier dans les prochaines années.