La continuité du point de vue du naturalisme réaliste universel

D’après le naturalisme réaliste universel, la nature est un réseau compact de causes multiples et variées. Cela signifie que la nature est continue car le continuum est le passage de la cause à l'effet, effet qui, à son tour, est la cause de l'état suivant. Dans la strate métaphysique la plus profonde de la nature, le discontinuisme est donc exclu.

J'appelle «pensée primordiale» l'ordre causal qui détermine les processus naturels. Par conséquent, la pensée, les principes et les idées existent d'abord dans les choses extérieures à l'esprit et seulement ensuite, de manière dérivée, dans l'intellect. Cela dit, et puisque les systèmes symboliques avec lesquels nous pensons sont composés d'éléments discrets, il s'ensuit que l'intuition métaphysique de la continuité naturelle est ineffable, et parce qu'elle est ineffable, il ne faut pas s'attendre à ce que ce qui est affirmé ici à propos de la continuité naturelle soit scientifiquement prouvé.

Le problème métaphysico-scientifique concernant la continuité ou discontinuité de la nature a traversé toutes les époques sans trouver de solution universellement acceptée. Cet essai met au jour l'axiome métaphysique de la continuité causale de la nature, une continuité profonde existant derrière deux ordres de choses discontinues : d'une part, derrière la série de strates naturelles épistémologiquement distinguées, du mathématico-physique au socioculturel, en passant par le chimique, le biologique et le psychique, et, d'autre part, derrière les symboles discrets sans lesquels la pensée est inexistante.

Le caractère énigmatique de la continuité réelle et naturelle entre les strates épistémologiquement distinguables est dû au fait que nous ne disposons pas des concepts appropriés pour décrire les relations causales entre elles. À son tour, l'absence de tels concepts est due au fait que toutes les forces, énergies et champs qui animent la nature n'ont pas encore été découverts. Je parle de forces, d'énergies et de champs parce qu'ils sont conçus comme des flux au moins partiellement continus.

La continuité du point de vue de la perception sensible

«Continuité» est un concept multivoque : il a un sens dans la perception sensible, un autre en physique, un autre en mathématiques et un autre en métaphysique. La relation entre eux dépend de la métaphysique qui les accueille, et la mienne, que je viens de décrire brièvement, est un naturalisme réaliste universel. Quel que soit le point de vue, étant donné que toute quantité présuppose au moins une unité, quantitativement tout est discontinu. D’autre part, selon la perception sensible, certains objets, mouvements et changements qualitatifs sont continus, d'autres non.

À première vue, le pont sur la rivière que je vois depuis mon balcon m'apparaît comme un objet continu qui contraste avec les véhicules et les personnes discrètes qui le traversent. Mais si je le traverse moi-même en étant sur ou sous le pont, je vois les parties qui se sont assemblées pour le construire avec leurs arêtes respectives, faciles à repérer. De près sa discontinuité ne laisse pas de doute. Il s'en suit que la perception de la continuité ou de la discontinuité peut être subjective, elle dépend du point de vue et de la distance à laquelle les objets sont observés. Ainsi, pour éviter le relativisme de la subjectivité, il est compréhensible que les sciences naturelles et les mathématiques tendent à s’éloigner de la perception pour concevoir la continuité. Cela entraînera une série de problèmes d'interprétation car, en fin de compte, le but des sciences naturelles, et aussi des mathématiques, si ces dernières sont considérées en tant qu’une connaissance et non comme un art, est de rendre compte de la nature que constitue l'organisme, son intériorité et l'environnement.

La continuité du point de vue aristotélicien

La conception aristotélicienne du continuum occupe une place éminente pour plusieurs raisons. En tant que réaliste, elle est compatible avec le naturalisme universel. L’intuition d’Aristote est applicable à la perception sensible du continuum, aux mathématiques et à la métaphysique. Il en est ainsi pour deux raisons fondamentales :

La première est sa conception du mouvement et du changement. Tous deux sont des processus causaux auxquels participent ou peuvent participer les quatre causes qu'il distingue : la matérielle et la formelle, l'efficiente et la finale. Rappelons que la continuité est une propriété de la relation causale. La cause matérielle est ce dont une chose est faite, par exemple la terre et la lave pétrifiée avec lesquelles la Pyramide du Soleil a été construite à Teotihuacan. La cause formelle est l'essence d'une chose, la forme et le modèle, en l'occurrence la forme géométrique de la pyramide. La cause efficiente est le début du changement et du repos, c'est-à-dire ceux qui ont conseillé et réalisé la construction. La cause finale est la fin, le but. Les archéologues tendent à penser qu'au sommet de la pyramide du Soleil se trouvait un autel. La cause finale serait donc d'honorer probablement un dieu de la pluie.

L'autre raison fondamentale de préférer la conception aristotélicienne du continuum est sa conception réaliste des mathématiques. Cela signifie que les mathématiques sont dérivées de la nature continue, continue parce qu'elle est causalement ordonnée. Il existe des propriétés mathématiques dans la nature sensible, comme la sphéricité de la Lune ou la ligne d'horizon. Ensuite, l'intellect sépare les propriétés de l'objet sensible, les définit et les transforme symboliquement en êtres mathématiques parfaits. L'origine des mathématiques est la nature sensible et non l'intellect. Aristote corrige ainsi Platon et les platoniciens, et plus généralement les idéalistes.

Le continu n'est ni ce qui est consécutif, ni ce qui est en contact. Primo, une chose est consécutive à une autre si entre elles il n'y a rien qui appartienne à la même classe. L'entier naturel 2 est consécutif à 1 parce qu’il n'y a pas d'entier naturel entre eux. Secundo, deux choses sont en contact lorsque leurs extrémités se trouvent au même endroit immédiat. Prenons l'exemple de deux sphères qui se touchent. Tertio, il y a continuité entre deux choses lorsque les bords par lesquels elles se touchent s’identifient, se confondent.

Depuis Pythagore, Zénon d'Élée, Aristote, Chrysippe et jusqu'à nos jours, la continuité est intimement liée à l'infini. Le fini est discontinu et l'infini est continu. L'infini peut être infini par composition ou division. L'infini est inatteignable, que l'on ajoute quelque chose à quelque chose ou que l'on soustraie quelque chose de quelque chose. Au moins pour les Anciens, il n'y a pas de grand et de petit dans les quantités infinies. Aucun infini n'est non plus supérieur à un autre. La raison en est que mathématiquement on imagine que les parties d'un ensemble ne cessent jamais de se multiplier et d'extraire des grandeurs d'elles-mêmes. L'infini par division est celui des grandeurs spatiales, l'infini par composition est celui du nombre, et le temps est infini dans les deux sens.

Selon le Stagirite — et c'est là son affirmation la plus importante et la plus originale concernant l'infini — la notion de totalité infinie complète ou en acte est une fiction. Ainsi, étant donné une extension il n'est pas possible, une fois pour toutes, de la diviser à l'infini, ni d'y additionner, une fois pour toutes, une série infinie d'éléments. Qu'il ne soit pas possible de le faire une fois pour toutes signifie que seul existe l’infini potentiel, la répétition sans fin d'une opération. L'infini potentiel est une réalité. Sans lui, nous tomberions dans l'absurdité selon laquelle il y aurait un début et une fin de la matière, de l’espace et du temps.

Continuité et infini en mathématique

Le concept qui nous intéresse est le continuum, et il est fait allusion à l'infini parce que, dans de nombreux contextes, l'infini est utilisé pour définir le continuum. À la suite d'Aristote, je pense qu'en réalité, c'est-à-dire d'un point de vue réaliste, seul existe l’infini potentiel. D’après le réalisme du sens commun, sans l'infini potentiel le nombre serait fini, alors que (c’est moi qui ajoute ceci) en mathématiques l'abstraction ne reconnaît aucune frontière. On le voit déjà dans l'arithmétique des nombres entiers. En comptant à rebours, pourquoi s'arrêter à 1 ? On ajoute un symbole marquant un vide, O, qui devient un nombre, et on continue : -1, -2, ainsi successivement. Les nombres entiers sont potentiellement infinis, que l'on compte en avant ou en arrière.

Le réalisme du sens commun a une valeur élevée parce qu'il éveille en nous le sentiment d'intelligibilité, ce que la science théorique ne parvient pas à faire. Pour les réalistes du sens commun, en dehors de l'infini potentiel, le seul qui existe selon eux, il n'y a pas de quantité infinie supérieure aux autres, elles sont toutes équivalentes. Les idées du mathématicien moderne Georg Cantor sont différentes. Il pense qu'il existe des infinis en acte. Mais pas seulement. Il montre, en outre, qu'il y a des infinis en acte plus grands que d'autres, et qu'il n'y a pas d'infini qui soit le plus grand de tous. Cela résulte de la méthode de Cantor, de la comparaison des éléments, un par un, des composantes des différentes classes d'ensembles infinis entre elles. Par exemple, à côté de chaque nombre impair il est possible de placer un nombre pair, donc ces ensembles infinis s’équivalent. Cela dit, la théorie des ensembles est une série de symboles mathématiques discrets, et c'est pourquoi, comme je l'ai dit et aurai l'occasion d’y revenir, le continuum est ineffable, que ce soit avec l'utilisation des mathématiques ou du langage usuel.

Sans infini potentiel nous tomberions dans l'absurdité cosmologique selon laquelle il y aurait un début et une fin de l'espace et du temps. Je pense que le Big Bang et le Big Crunch, considérés comme un début et une fin absolus de l'Univers, n'expriment pas de véritables connaissances vérifiables. Ce ne sont que des croyances symboliques.

Continuité et infini en physique

D’une manière générale, lorsque la physique nous éloigne du monde à notre échelle animale pour nous rapprocher de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, la connaissance se transforme, en effet, rapidement en croyance symbolique : on a foi dans les stipulations des mathématiques. La prétendue réalité semble être largement construite par la théorie physico-mathématique. Nous n'éprouvons pas le sentiment d'intelligibilité du réalisme vital et naïf que je viens d'évoquer.

Le continuum et l'infini n’ont pas la vie facile en physique en tant que science naturelle. Il s'avère que la démarche physicaliste présuppose la mesure et donc la quantité exprimée en valeurs finies. L'infini n'y a pas de sens, et si le continuum présuppose l'infini, il hérite de son absurdité. D'où aussi, depuis l'Antiquité, la valeur de l'atomisme. Les atomes sont des entités discrètes alors que les forces, les énergies et les champs sont, nous l'avons vu, au moins partiellement continus.

Einstein pensait que la description du monde dans sa totalité spatiotemporelle naturelle devait se faire exclusivement en termes de champs continus. Nos contemporains, eux, préfèrent une idée plutôt obscure, la théorie quantique des champs. Toute interaction résulterait d'un échange de particules. Ce qui est échangé est un quantum de champ, une particule caractéristique de ce champ. Toute interaction implique l'action d'autres particules. L'idée n'est pas claire pour trois raisons :

1) Les particules ne sont représentables ni par des points ni par des formes géométriques parce que, en outre,
2) L'espace-temps n'est pas l’espace-temps réel mais quelque chose d'idéal, de théorique,
3) Le champ lui-même n'est pas quelque chose de vrai, de réel, mais un opérateur mathématique.

En somme, selon la mécanique quantique, le fond de la nature serait à la fois discontinu et continu.

La physique moderne et contemporaine est une physique-mathématique. Cela signifie qu'elle contient de nombreux concepts constitués mathématiquement, c'est-à-dire que les mathématiques constituent une partie substantielle de la physique et ne sont souvent pas appliquées de l'extérieur à des concepts physiques décrits d’avance. Et le degré d’abstraction de l'idée théorique peut être si élevé que, dans ce cas, il est légitime de considérer les mathématiques comme un art plutôt que comme une science. Il n'y a d'ailleurs pas de raison de penser, comme le croient tant de scientifiques et en particulier tant de mathématiciens, que tout dans la nature est mathématisable, quelle que soit la strate naturelle considérée. Il est vrai que le fait que la physique soit mathématique lui permet d'être une science dure, quantitativement exacte car ses prévisions sont corroborables avec une grande précision numérique. Mais il est possible de prévoir avec précision sans comprendre. Les Anciens le savaient, eux, qui prévoyaient le passage des astres et les marées grâce à leur expérience accumulée sans connaître la gravitation.

La valeur de l'intuition pour décrire la continuité naturelle

Paradoxalement, notre vie consciente n'existe pas sans ces deux contraires, le continu et le discontinu. D'une part, si nous distinguons des choses discontinues, c'est parce que notre conscience est spatiotemporellement continue. D'autre part, l'intuition de la continuité naturelle est ineffable par définition, car nos deux systèmes de symboles, le langage usuel et les mathématiques, sont des ensembles d'éléments et de significations discrets, discontinus. Ainsi, le mieux que nous puissions faire en ce qui concerne la continuité naturelle est d'en avoir l'intuition de manière imaginative et métaphorique.

Mais, dira-t-on, cela signifie que la continuité de la nature, en plus d'être ineffable, n'est pas un fait expérimentalement vérifiable dans la mesure où on exige que la vérification implique des mesures quantitatives avec des éléments discrets, comme les millimètres sur une règle ou les secondes sur un chronomètre. Je pense cependant que l'intuition, l'imagination et la métaphore ont une valeur cognitive plus élevée que ce qui est faisable avec des systèmes de symboles discrets et plus élevée que ce qui est vérifiable expérimentalement. La raison en est que c'est d’elles que naît la signification de ce que l’on arrivera à concevoir et peut-être à prouver.

Un exemple de cette affirmation : dans l'Antiquité, rien ne laissait supposer que les entités très différentes de l'environnement, comme la terre, l'eau, l'air et le feu, étaient finalement composées des mêmes éléments ultimes, les atomes. C'était pourtant l'intuition atomiste de Kanada, le fondateur de l'école Vaisheshika en Inde, 600 ans avant notre ère. Et un siècle et demi plus tard, en Grèce, Leucippe et Démocrite ont eu, eux aussi, l'intuition atomique. La physique atomique a ensuite progressé de l'intuition métaphysique pure à la visualisation et à la manipulation des atomes, qui sont devenues possibles au cours de la seconde moitié du 20ème siècle grâce au développement du microscope électronique à transmission et à l'invention du microscope à effet tunnel.

La valeur de l'imagination et de la métaphore pour décrire la continuité naturelle

L'intuition est le premier contact significatif avec les entités et les processus extra-mentaux, le premier contact avec les relations causales. Ensuite, l'imagination est cette huile lubrifiante qui permet à la conscience de ne rester bloquée dans aucun de ses actes afin de continuer à penser. On va au-delà de la perception grâce à la mémoire, au-delà de la mémoire grâce à la connaissance, au-delà de la connaissance grâce à la pensée logique. En un mot, on va au-delà de tous les actes mentaux grâce à l'imagination.

La métaphore, lorsqu'elle est imaginée, établit des analogies entre des entités et des processus d'un ordre différent. Elle permet souvent de considérer d’une façon perceptive, visuelle, et avec la netteté qui accompagne les sens, des situations théoriquement conçues. La métaphore est non seulement créatrice de nouvelles significations, mais contribue également à concevoir une continuité jusqu'alors insoupçonnée entre certains processus et entités. Considérez la phrase «l'intelligence est une lumière». De même que la lumière rend les objets visibles, la personne intelligente est un modèle capable d'illustrer et de guider. La personne intelligente, en distinguant les propriétés des choses et des procédures qui composent l'environnement, sert de guide pour identifier les obstacles intellectuels et culturels et ne pas trébucher dessus. Ici, la continuité est celle entre les distinctions physiques perçues dans l'environnement grâce à la lumière et à l'appareil visuel, d'une part, et les distinctions intellectuelles et culturelles identifiées dans l'environnement grâce à la pensée intelligente, d'autre part. De même qu'il existe chez l'homme une continuité entre le corps et l'esprit, l'intuition, l'imagination et la métaphore marquent une continuité entre le physique et l'intellectuel.

Si l'on ne peut demander aucune preuve symbolique ou expérimentale de la continuité intuitionnée, imaginée et métaphoriquement exprimée, parce que la preuve est constituée d'éléments discrets, quelle raison y a-t-il d'accepter l'hypothèse de la continuité causale de la nature ? Il est à remarquer qu'au moins une raison solide est la cohérence du système métaphysique qui l'accueille. Exemples de cette cohérence. Si la nature est une unité continue parce qu'elle est un réseau compact de causes multiples et variées, alors il existe, sous les strates naturelles scientifiquement distinguées, un substrat que j'appelle «matière-puissance». Il sera décrit plus loin. S'il existe quelque chose de commun à toutes les strates, ce ne devrait pas être une énigme que, dans le cerveau-esprit, l'état des strates physiques, électromagnétiques, chimiques et biologiques soit la cause d'un état conscient, ni, inversement, que dans l'esprit-cerveau, l'état de la conscience soit la cause d'un état physique.

Un autre exemple de la cohérence de la métaphysique selon laquelle la nature est un réseau compact et continu de causes multiples et variées est l'absence de liberté. La liberté n'est pas l'acte d'un esprit étranger à la nature, mais la manifestation, la prise de conscience d'une nécessité causale intériorisée. Chaque être humain s'approprie, subjectivise les nécessités qui le constituent, d’où l'impression que ses décisions lui appartiennent. C’est pourquoi plus nous connaissons les causes de notre comportement, moins nous nous sentons individuellement responsables de nos actes. Et rappelons l’intérêt théologique de croire en la liberté et en la responsabilité individuelle humaine, intérêt si présent et si développé au Moyen-Âge car autrement seule la divinité créatrice de tout, omnipuissante, omnisciente et infiniment bonne, serait la responsable de tout ce qui nous arrive, de notre souffrance en chair et en os et du mal qui nous entoure.

Raisons biologiques pour reconnaître la continuité naturelle sous-jacente à tout ce qui est apparemment discontinu

Afin de reconnaître la continuité naturelle sous-jacente à tout ce qui est apparemment discontinu, je propose quelques raisons biologiques, ensuite une raison psychologique et une autre logique. Pour penser que la nature est causalement continue il est nécessaire de reconnaître, tout d'abord, que la nature est uniforme. Cela signifie qu'approximativement les mêmes causes produisent approximativement les mêmes effets par translation dans l'espace et le temps. Sans l'uniformité naturelle, la vie serait impossible. Qu’un être vivant continue à vivre serait l'effet du hasard. Or ce qui par hasard se forme, par hasard peut se déformer à l'instant d'après : invraisemblable.

Si l'on reconnaît l'uniformité causale, on reconnaît en même temps la continuité, car la continuité est celle qui existe entre les causes et les effets. L'une des raisons biologiques du continuum est donc la suivante : sans uniformité causale, la vie est impossible. Or, la vie existe. Par conséquent, la nature est causalement uniforme et continue. Une autre raison biologique est la suivante :

  • d'une part, l'influence d'un processus physique sur le cerveau et l'esprit, par exemple l'influence des ondes électromagnétiques, est désormais connue avec une précision croissante ;
  • d'autre part, on sait qu'un acte psychosocial, une mauvaise nouvelle, peut provoquer une crise cardiaque et tuer.

Raison psychologique et raison logique

Pour sa part, la raison psychologique de la continuité de la nature est aussi convaincante que les raisons biologiques et la raison logique. Nous verrons cette dernière plus loin. Il est évident que toute perception d'une discontinuité des éléments présuppose la continuité qualitative de la conscience. Si le miaulement de ma chatte m'apparaît comme un ensemble discontinu de sons, c'est parce que ma conscience est spatiotemporellement continue. Si la conscience était discontinue, atomique, non seulement nous n'aurions jamais appris aucun concept, mais nous n'existerions pas tels que nous sommes. L'emploi des concepts, des noms de choses, présuppose la continuité de la conscience. Sans cette continuité, il n'existerait pour nous que des objets discrets ineffables. C'est grâce à la continuité de l'espace et du temps vécus consciemment que nous percevons des éléments spatiotemporellement discontinus.

Regardons maintenant la raison logique de la reconnaissance de la continuité naturelle. Les animaux dotés d'un système nerveux central se rendent compte qu'ils sont des entités individuelles vivant dans un environnement donné. Ils vivent et survivent dans leur environnement à condition que leurs raisonnements logiques, inductifs et déductifs, soient corrects, vrais. Et attendu que la vérité implique nécessairement la réalité, un raisonnement inductif et déductif correct, vrai, implique nécessairement à la fois l'uniformité naturelle, c'est-à-dire la continuité de l'espace et du temps, et la stabilité structurelle des objets.

Un raisonnement vrai permet aux êtres vivants de continuer à vivre, tandis qu'un raisonnement faux, par exemple une déduction erronée, une erreur de calcul, selon les circonstances, se paie de la vie. De même, les perceptions erronées peuvent se payer de la vie, ce qui révèle la justesse du réalisme du sens commun en ce qui concerne les choses de notre monde quotidien à notre échelle. Les raisonnements sont réalisés explicitement par les animaux supérieurs et implicitement par les plantes. Les plantes perçoivent et elles sont les sujets d’une pensée naissante.

La matière-puissance, strate métaphysique ultime de la continuité naturelle

Sur le plan épistémologique nous avons distingué plusieurs strates : mathématique, physique, chimique, biologique, psychologique et socioculturelle. J'ai ensuite souligné les impossibilités symboliques et scientifiques de décrire la continuité entre elles : primo, les symboles sont discrets, raison pour laquelle la continuité est ineffable ; secundo, nous ne disposons pas des concepts appropriés pour décrire la continuité causale entre les strates. Dans notre cas particulier, nous ne savons pas comment décrire les faits psychosomatiques et somatico-psychiques. Cependant, la métaphysique est au-delà de ces limitations. Elle nous permet de concevoir ce que j'appelle matière-puissance ou matière dynamique. Il s'agit d'une sorte de flux continu qui sous-tend tout ce qui existe. En ce sens, compte tenu de son universalité, il ressemble davantage à la materia prima aristotélicienne qu'au pneuma stoïcien. Bien que le pneuma, étant continu, assure également la continuité naturelle, il est plus concret que la matière première dans le sens où le pneuma est composé d'air froid et de feu chaud.

La puissance est une capacité sous-jacente à ce qui existe, un pouvoir latent. Sans cette capacité, on ne comprend pas le mode d'existence des objets sensibles. La puissance permet aux êtres de se développer pendant qu’ils existent et d'agir sur les autres entités, d'avoir une influence sur elles. La continuité de la matière-puissance, constituant ultime, unit les composants de toutes les entités naturelles, du physicochimique le plus élémentaire au socioculturel, en passant par l'organisation, la vie et la pensée consciente et symbolique.

La continuité du devenir, grâce à la matière-puissance, est la continuité de la relation causale, et sans la continuité de cette dernière il n'y aurait pas d'uniformité naturelle. Des causes semblables entre elles ne produiraient pas d’effets semblables entre eux par translation dans l'espace et dans le temps.