"They Cloned Tyrone" est un film de science-fiction captivant qui mélange habilement l'humour, le mystère et des éléments de thriller. Réalisé par Juel Taylor, scénariste de Creed II et Space Jam : A New Legacy, l’œuvre offre une expérience cinématographique unique, un mélange des genres qui ne se fait que trop rare dans l’univers cinématographique mainstream. Le film suit l'histoire de Fontaine, un dealer vivant dans un quartier pauvre de banlieue appelé le Glen. Sa mère, cloîtrée dans une chambre toute la journée, lui adresse rarement la parole. Fontaine, personnage taciturne et intrigant, évolue dans un univers chargé de crimes, de querelles de position de pouvoir, et d’une inlassable répétition d’événements tragiques. Lui-même, acteur à part entière de cette routine de son quartier, respecte ses habitudes quotidiennes religieusement.

Mais un jour, après un événement majeur que je m’abstiendrais de vous dévoiler ici, le quotidien de Fontaine est bouleversé. Il découvre, avec deux autres personnes de son quartier devenues acolytes de circonstances, qu'il a été cloné par des forces mystérieuses. Avec l'aide de ses amis, Fontaine plonge dans une enquête pour démêler les fils de ce complot complexe.

L’une des forces de "They Cloned Tyrone", c'est tout d’abord son mélange réussi de genres. L'œuvre parvient à combiner des éléments de comédie légère avec des moments de tension et de suspense, créant une atmosphère qui maintient le spectateur en haleine tout au long du récit. De plus, les personnages sont développés habilement et interagissent de manière authentique, ce qui rend l'histoire d'autant plus immersive. Les performances des acteurs principaux sont également dignes de mention. Jamie Fox délivre une magnifique performance dans le rôle de Slick Charles, un proxénète au cynisme hilarant mais qui connaît une réelle évolution tout au long du récit. On retrouve un développement encore plus abouti pour le personnage de Yo-Yo, une des ex prostituées de Slick Charles jouée par la merveille Teyonah Parris et qui se retrouve malgré elle mêlée à ce complot qui la dépasse.

Chaque membre du casting apporte une profondeur et une authenticité à son personnage, ce qui permet aisément de s'investir émotionnellement dans l'histoire. Enfin, la direction de Juel Taylor mérite d'être saluée pour sa capacité à maintenir un équilibre entre l'humour, le mystère et l'action. Le film parvient à capturer l'essence du cinéma de genre tout en offrant une perspective fraîche et originale.

Cependant, ce qui rend le film si captivant pour moi et qui constitue tout l’intérêt de cet article, c’est son propos. "They Cloned Tyrone" est un film divertissant, certes, mais qui parvient à nous faire réfléchir en lançant une critique acerbe de la société américaine, et bien que l’action se déroule dans les années 70’, les thématiques sociétales qui y sont soulevées raisonnent encore aujourd’hui. Sur fond de théories du complot, l’œuvre aborde des sujets comme la fracture ethnique qui demeure une véritable problématique dans un État qui s’est formé dans l’idéologie de l’existence et de la hiérarchisation des races.

Le film critique également le phénomène du « White saviorism », terme popularisé dans les années 2010 par l’auteur nigéro-américain Teju Cole dans son essai The White-Savior Industrial Complex. Le « White saviorism » décrit le complexe du sauveur blanc. Ce même complexe selon lequel, d’après Teju Cole, l’homme occidental blanc et privilégié voyage dans des pays du Sud pour se mettre en scène en tant que « sauveurs et sauveuses » en reprenant les idéologies de l’époque coloniale. Ainsi, il implique – consciemment ou non – que sa position lui octroie le droit de définir ce qui est la bonne manière de vivre pour le reste du monde et par la même occasion, le devoir de venir en aide aux populations « en voie de développement ». Le « White Savior » sait ce qui est bien pour lui-même mais aussi pour les autres, car c’est son modèle de société qui est le standard universel. Cet état d’esprit est bien souligné par le discours d’introduction de Nixon, personnage énigmatique au cœur de l’intrigue et dont nos personnages principaux vont faire la rencontre au fil de leur enquête sur les événements étranges qui se déroulent dans leur quartier.

Cependant, et ce qui rend le film d’autant plus intéressant, c’est que la « culture » afro-américaine n’est pas en reste. En effet, on y découvre aussi un fort réquisitoire contre la « schizophrénie » des quartiers, à la fois baignés dans la violence et la luxure, mais aussi plongés dans une pratique religieuse presque mécanique. Religiosité presque malsaine qui est vastement mise en exergue lors d’un discours endiablé du pasteur du quartier qui exhorte son auditoire à oublier leurs problèmes pour se consacrer à Dieu et uniquement à lui.

C’est cette même religiosité à outrance qui, dans le film, sert d’opium aux esprits des habitants du quartier et les pousse à ne plus réfléchir à leur condition ni à essayer de s’en sortir mais plutôt à attendre que la grâce divine leur soit servie sur un plateau d’argent. Ainsi, la population mortifiée de la ville, ne se rend même pas compte qu’elle est sujette à toutes sortes d’expérimentations et que ses différents quartiers sont de véritables sections de laboratoires dans lesquels sont testés des produits censés les contrôler. L’une des scènes du film renvoie d’ailleurs très clairement à l’épidémie de crack du milieu des années 80’ qui, selon l’hypothèse du journaliste Gary Webb, aurait été sciemment favorisée par la CIA.

Enfin, la trame principale du film, à savoir le clonage, est un sujet récurrent dans les sphères complotistes américaines. Beaucoup aujourd’hui considèrent, à tort ou à raison, que de nombreuses personnalités publiques du pays ont été clonées pour servir les intérêts des industries dont elles sont respectivement issues. Pourquoi ? Parce que lorsqu’une célébrité gagne trop de pouvoir et s’éloigne du « script » qui lui est assigné, celle-ci devient une gêne pour les élites qui lui ont permis d’avoir sa position. Il est donc plus facile de la remplacer par un clone qui serait malléable et dont le discours et le comportement ne s’éloigneront jamais de ce qu’on veut d’elle.

Ce propos est exactement celui que l’on retrouve dans le film. Le gouvernement s’évertue à cloner « Tyrone » parce qu’il joue un rôle essentiel. Il participe à maintenir sa communauté là où les conspirateurs la veulent. Dans leur logique, une communauté noire ou latine a besoin de son vendeur de drogue, de son proxénète et son bordel. En effet, si le vendeur de crack reste au coin de la rue pour empoisonner la population, la communauté de Glen est condamnée à demeurer au bas de l’échelle. Que ce soit de la faute de Fontaine, de Tyrone ou d’un autre n’est pas un détail important. C’est le rôle qu’ils jouent qui importe.

Cette histoire de clonage constitue en réalité, une double critique, littérale et figurée. On y retrouve à la fois un pamphlet contre l’action des gouvernements, qui, lorsqu’ils ne s’évertuent pas à renforcer les inégalités, demeurent dans une inaction volontaire. Mais il y a aussi ici, une critique tout aussi violente des quartiers, car ils produisent eux-mêmes leurs propres clones en perpétuant le cycle de la haine, de la drogue et de la violence en inculquant dès le plus jeune âge, des comportements nocifs aux générations futures. Chose d’ailleurs mise en exergue dans l’une des premières scènes du film par la présence d’un petit garçon et sa réaction nonchalante à une scène de violence inouïe.

Ainsi, le cycle se perpétue.