Le chroniqueur de Parme Fra’ Salimbene de Adam raconte qu’un jour du 1221, quand il était tout petit, à cause d’un tremblement de terre très fort, sa mère eut peur et l’emmena avec ses sœurs chez des parents pour fuir loin de l’immense bâtiment qui les menaçait: ils habitaient, en effet, juste à côté du Baptistère, dont la construction n’était pas encore achevée, donc la peur de voir s’écrouler l’édifice imposant était réelle et concrète…

Le touriste regarde d’habitude le Baptistère de la Place de la Cathédrale, où il est situé, mais si l’on marche tout autour, de la petite place au sud on se rend mieux compte des dimensions de l’édifice et on peut découvrir les détails: là on comprend ce que devait penser la mère de Salimbene, ce que devait être la ville au Moyen Âge, des petites maisons dominées par la magnificence des édifices religieux…
En tout cas, de chaque coin d’observation, le rose délicat du marbre nous frappe tout de suite à l’extérieur, couleur qui définit aussi les lignes et la structure à l’intérieur.

C’est évident qu’il faut le projet d’un architecte pour réaliser un édifice pareil et cet architecte était tellement convaincu de son projet qu’il nous a laissé sa signature « Benedictus » sur le monument même, fait rare au Moyen Âge, et la date du début des travaux, le 1196 : « Bis binis demptis/annis de mille/ducentis/in(c)epit dictus/hoc scultor/benedictus ».

Ce personnage, dont on n’a presque pas de nouvelles, connaissait l’art classique, a vraisemblablement voyagé en France, où il a pu étudier les magnifiques cathédrales romanes et gothiques, aux sculptures et aux portails surprenants, fleuries de l’Île-de-France à la Provence après l’an mille…

Notre Benedetto Antelami a voulu donc réaliser à Parme un ensemble homogène, un octogone de marbre rose de Vérone, marqué à l’extérieur par les piliers aux arêtes et divisé sur le plan horizontal par des bandes, la première en bas constituée d’arcs aveugles au souvenir classique et de portails au souvenir français, décorée avec un bestiaire fantastique et symbolique ; les autres bandes, aux étages supérieurs, sont des loges ouvertes, légères grâce aux colonnes élancées.

L’intérieur reflète ce rythme, les huit parties de l’octogone redoublées et marquées par les nervures de marbre rosé qui, comme des flèches, montent jusqu’au sommet en formant une étoile de pierre. Sous la coupole, le bassin du Baptême, centre de l’édifice, un somptueux monolithe de marbre, encore une fois octogonal : le numéro « huit » symbolise le jour après les sept de la Création, annonce l’éternité et la résurrection, comme tout l’édifice et ses images. L’architecte, en suivant le modèle français, a fait des sculptures l’élément principal de la décoration du Baptistère. Les lunettes des portails racontent de la Vierge, du Jugement Final, de la légende de Barlaam, c’est un conte de salut pour l’homme baptisé qu’une myriade d’autres sculptures, les anges éparpillés dans les lunettes et les niches, les hauts-reliefs des mois et des saisons, renforce à l’intérieur.

Les mois, personnifiés, sont occupés dans les travaux quotidiens pendant les différentes saisons: septembre qui vendange des raisins copieux, février qui bêche sous le signe zodiacal des poissons, juin qui moissonne le blé…
Les habitants de Parme aiment spécialement ces sculptures, même si on ne sait pas exactement où Antelami aurait voulu les situer, peut-être sur le portail principal de la voisine cathédrale… mais qu’importe ? la beauté et le charme de ces sculptures et de l’ensemble unique du Baptistère dépassent les doutes et les querelles des experts, cet architecte a laissé une trace puissante de son génie, même si les évènements historiques s’interposent parfois aux motivations de l’art: peut-être la mort précoce de l’artiste, une guerre contre le seigneur de Vérone Ezzelino da Romano, qui a empêché pendant quelques années d’avoir le précieux marbre rose, la guerre de la guelfe Parme contre l’Empereur Frédéric II de Souabe…

Les peintres qui, presque un siècle après le projet d’Antelami, ont terminé la décoration à l’intérieur, ont quand-même poursuivi l’idée initiale du Baptistère, monument du dialogue entre terre et ciel, entre pensée et travail humains et pensée et volonté de Dieu : l’étoile de marbre au sommet abrite dans ses quartiers les étoiles du Jérusalem Céleste, les fresques byzantines des apôtres, des prophètes, de la Vierge et du Christ Sauveur observent de la coupole les histoires et l’œuvre en pierre créés par l’architecte du Baptistère.

Le Baptême donne le salut à l’homme qui travaille dans l’Histoire, il relie ciel et terre, Bendetto Antelami le savait très bien, homme du Moyen Âge, intellectuel qui a réussi, avec son esprit déjà humaniste, à en témoigner jusqu’à nos jours.