La galerie Nathalie Obadia est très heureuse de présenter Assemblage, première exposition personnelle à Bruxelles de l’artiste australien Brook Andrew. Cette exposition précède l’importante rétrospective que la National Gallery of Victoria de Melbourne va consacrer à son œuvre depuis 1992.1

Né à Sydney en 1970, Brook Andrew est considéré comme l’une des figures majeures de la scène artistique de l’aire Asie-Pacifique. Il continue à proposer des œuvres et des interventions dans des musées d’envergure internationale, entre autres à Madrid, Paris ou Sydney. Pluridisciplinaire, il se décrit lui-même comme un artiste à la fois conceptuel et historique.

Dans son œuvre, Brook Andrew utilise la juxtaposition et l’assemblage comme un puissant moyen pour démêler les fils de la mémoire, et la commémoration comme une manière de décolonialiser l’histoire. Il tente de réordonner les récits et nous les donne à revisiter, mais avec des issues différentes : «J’ai voulu relier des histoires complexes entre elles. C’est un assemblage d’histoires [...]». «L’œuvre de Brook Andrew porte la notion d’assemblage à un degré supérieur, dans la mesure où il devient une “forme d’action [...] [non seulement] destinée à agir et à vivre” mais aussi à se souvenir. Cette “force plurielle”, silencieuse et tranquille, peut être celle de la mémoire ; et au regard du passé et des formes persistantes de colonialisme, c’est absolument nécessaire.»2

L’artiste place l’Australie au centre d’une enquête globale. Cette position lui permet de comprendre comment la vision occidentale et européenne des cultures prétendument inférieures de la Frontière peut rester aussi puissante, et comment elle peut offrir une mémoire alternative et des visions d’un monde différent. Marcia Langton, célèbre anthropologue australo-aborigène, commente ainsi les portraits de la série Gun-Metal Grey : ce sont «à la fois des portraits éthiques et de fantomatiques paysages d’horreur, sauvés des archives anthropologiques. Ils sont en même temps plus philosophiques et mélancoliques dans la façon dont ils touchent aux tréfonds humains de la souffrance».3

Dans son œuvre, Brook Andrew questionne l’histoire de la violence et de la colonisation. Sa représentation doit offrir d’autres moyens d’analyser des souvenirs nouveaux, sans aucune notion de blâme ou de culpabilité; les interprétations alternatives dépendant de la capacité du spectateur à regarder différemment. L’œuvre de Brook Andrew a été décrite comme «généreuse» : elle crée des liens entre différents siècles, entre différentes cultures. Elle n’hésite pas à contester les rôles respectifs du colonialisme et du modernisme. Elle réaffirme aussi la possibilité que nous avons de créer des visions décolonialistes, comme l’explique Nick Aikens :

Ma lecture du projet artistique et politique d’Andrew se fait par le prisme de toute une constellation de positions différentes. Je pars d’abord de cette proposition liminaire de Walter Mignolo, sémioticien et théoricien du décolonialisme : “la colonialité est constitutive de la modernité. En d’autres termes, il n’y a pas de modernité sans colonialité.” 4 Mignolo souligne ensuite : “La modernité” est un récit complexe dont le point d’origine a été l’Europe ; un récit qui construit la civilisation occidentale en célébrant ses succès et en cachant en même temps sa face obscure : la “colonialité” . Le fait de comprendre et d’accepter le lien inextricable qui unit modernité et colonialité, leur interdépendance, et le besoin de les séparer, comme le dit Mignolo, structurent ma lecture de l’œuvre de Brook Andrew.5

Brook Andrew expérimente des formes, des techniques et des matériaux contemporains (néons, structures gonflables et vidéo), à partir desquels il produit une œuvre qui peut, de manière subliminale, être empreinte d’un certain humour noir. C’est le cas dans les œuvres où il s’agit pour lui d’évoquer frontalement des histoires dissimulées ou inconnues – comme les guerres de Frontière, qu’elles aient eu lieu en Australie ou ailleurs. L’une des œuvres-clefs illustrant cette stratégie est le Jumping Castle War Memorial, un château gonflable grandeur nature, sur lequel on peut sauter. Il évoque l’absence de vrais mémoriaux de guerre dédiés au peuple aborigène, que ce soit en Australie ou sur d’autres théâtres d’opération dans le monde. Le Jumping Castle War Memorial a été présenté pour la première fois par David Elliot lors de la 17ème biennale de Sydney en 2010. Ce jour-là, le château-trampoline a permis au public de s’amuser et de rire ; une expérience immersive dans laquelle beaucoup semblaient ne pas voir la solennité symbolique de ce monument. Pour Brook Andrew, l’implication du spectateur est importante, elle donne vie à l’œuvre et la transforme en un espace physique et mental de réflexion. Caractéristique de l’univers du cirque et du carnaval, la juxtaposition de la vie et de la mort, du dramatique et du comique, du rire et de la terreur fascine l’artiste depuis son enfance.

Après Jumping Castle et The Cell (prison et refuge gonflable) en 2011, l’artiste a continué à utiliser les mêmes motifs géométriques noirs et blancs. Ce sont les sculptures traditionnelles des Wiradjuri australiens – le peuple de sa mère – qui lui ont inspiré ces motifs. L’objectif est ici de créer un effet Op Art, à la fois séduisant et déroutant. Deux peintures récentes exposées à la galerie Nathalie Obadia de Bruxelles en sont recouvertes: The Forest et Memory, qui rassemblent des figures indigènes et coloniales. Leur juxtaposition inhabituelle souligne l’intérêt de l’artiste pour les stéréotypes et pour ces étranges pratiques d’anthropologie physique consistant à comparer les individus prétendument civilisés et ceux qui ne le seraient pas – pratique qu’avec d’autres, il considère comme inutile et destructrice. Le motif noir et blanc agit comme un marqueur visuel capable de faire resurgir du passé la mémoire collective. A la manière de la peinture historique européenne (qu’il considère comme une interprétation fautive de la réalité), l’artiste présente une vision alternative, et pourtant parfaitement honnête de l’histoire coloniale. Ses propres peintures sont d’un format similaire à la peinture historique du XIXe siècle. Il utilise ce procédé pour corriger le regard du public, un regard selon lui faussé :

... généralement, les peintures historiques qui relatent des histoires religieuses ou humaines de changements, de traumatismes et de drames sont soit imaginaires, soit faites par ceux qui ont gagné les guerres. L’absence de peinture historique relative à l’histoire des Aborigènes ou d’autres peuples indigènes constitue un déni d’égalité.6

Une série de portraits réalisée en 2013 attire également l’attention. Ils proviennent de cartes postales du XIXe et du début du XXe siècle que Brook Andrew a collectionnées durant plusieurs décennies, et qui constituent une petite partie de ses ambitieuses archives personnelles. Ces cartes postales montrent des indigènes, hommes et femmes, et représentent les cultures de la Frontière. On y voit des ethnies « exotiques » photographiées par des photographes occidentaux, des anthropologues ou des touristes. Ces visages inconnus issus de différents pays – Côte d’Ivoire, Brésil, Congo, Madagascar, Algérie, Canada, Martinique, Japon et Australie – ont une chose en commun : l’anonymat. Comme Judith Ryan, conservatrice à la National Gallery of Victoria l’explique :

Les 52 Portraits reposent aussi sur la profonde fascination de l’artiste pour l’histoire de l’art, en particulier l’uniformité conceptuelle et le formalisme des 48 Portraits de Gerhard Richter (1971).Le caractère monochrome et homogène des hommes blancs d’Europe centrale et d’Amérique, surreprésentés dans les sciences, la littérature, la musique et la philosophie, se trouve perturbé par la juxtaposition de leur contraire : des hommes et femmes anonymes, de différentes ethnies, issus des Premières Nations. La série fait resurgir une préoccupation centrale dans la pratique humaniste de Brook Andrew : l’impact sur le présent des traumatismes historiques, particulièrement ceux qui ont touché au traitement brutal des peuples colonisés d’Australie et d’ailleurs.7

Brook Andrew se considère comme un archéologue de la mémoire. Le récit qui se cache derrière chaque visage et son histoire oubliée le fascine, et par son portrait chacun de ces hommes est rendu à la vie.

En 2016, Brook Andrew a été invité en résidence dans ce lieu créatif et scientifique réputé qu’est le couvent des Récollets à Paris ; la même année, il a reçu le prix «Résidence pour la Photographie» du Musée du Quai Branly, ce qui lui permet d’utiliser les immenses archives de l’institution parisienne. Le résultat est une nouvelle série de photographies, et une relation poursuivie avec le Quai Branly, comme celle qu’il entretient avec les musées des universités d’Oxford et de Cambridge.

Dans son travail de recherche, Brook Andrew utilise des coupures de presse, des photographies, des cartes postales et des gravures pour produire par exemple la série Sunset, dont la galerie Nathalie Obadia de Bruxelles expose une partie. Les documents d’archive sont souvent associés à des objets locaux. Le Sapelli, un bois exotique qu’il utilise pour ses cadres sculptés, est décoré de néons colorés, choisis pour attirer l’attention comme une enseigne publicitaire, ou pour la pure beauté de la couleur. Pour atteindre son public- cible, l’artiste joue sur les différences entre le contenu et le contenant, le message et la forme.

Ces dernières années, Brook Andrew a été invité par des musées d’art et d’ethnographie prestigieux. Il trouve dans leurs archives une inspiration, et réactive leur capacité à toucher le public. Il possède lui-même d’importantes archives qu’il mêle aux collections de grands musées et juxtapose dans ses œuvres. Il part en quête du passé pour mieux comprendre le présent grâce à des récits alternatifs. Intéressés par cette démarche, le Smithsonian Institute de Washington (USA), le Van Abbemuseum d’Eindhoven (Pays-Bas), le Musée d’Ethnographie de Genève (Suisse) et l’Asia Art Archive de Hong-Kong (Chine) lui ouvrent cette année leurs collections respectives. Profond et léger, il va donc poursuivre son questionnement sur l’état de notre société postcoloniale, afin de renouveler les modes d’expression artistique.

Brook Andrew est né en 1970 à Sydney, il vit et travaille à Melbourne.

Artiste pluridisciplinaire parmi les plus reconnus de sa génération sur la scène artistique australienne et de la région Asie-Pacifique, Brook Andrew bénéficie d’une attention croissante sur la scène internationale, comme en témoigne sa participation depuis ces vingt dernières années à des expositions majeures à travers le monde.

En 2016, l’Australian Research Council décerne à Brook Andrew sa prestigieuse bourse pour son projet «Representation, Remembrance and the Monument».

L’actualité de Brook Andrew est particulièrement riche en 2017 et 2018. Du 3 mars au 4 juin 2017, la National Gallery of Victoria à Melbourne (Australie) lui consacrera sa première rétrospective intitulée «Brook Andrew : The Right To Offend Is Sacred». Au printemps 2017, Brook Andrew fera partie de la « Defying Empire » à la National Gallery of Australia de Canberra (26 mai – 10 septembre 2017). Toujours au printemps, Brook Andrew interviendra sur les collections du MEG - Musée d’Ethnographie de Genève (Suisse), à l’occasion de l’exposition temporaire «L’effet Boomerang. Les arts aborigènes d’Australie» (19 mai 2017 - 7 janvier 2018). L’année 2017 sera également marquée par plusieurs autres interventions de Brook Andrew au sein des collections de prestigieuses institutions telles que celles du Smithsonian Institute à Washington (USA), après avoir obtenu la bourse délivrée par la célèbre institution américaine ; celles du Van Abbemuseum à Eindhoven (Pays-Bas), dans le cadre du projet «Deviant Practice. Research Programme». A partir de juillet 2017, Brook Andrew entamera sa résidence d’un an au sein du très réputé Künstlerhaus Bethanien à Berlin (Allemagne).

Ces dernières années, Brook Andrew a bénéficié de nombreuses expositions personnelles internationales, dont notamment, en France, « Les Trophées Oubliés » au Musée d’Aquitaine de Bordeaux (2013) ; en Belgique «Jumping Castle War Memorial» au FeliXartMuseum de Dragenbos (2013) ; en Australie, «EVIDENCE » au Museum of Applied Art and Sciences (MAAS) de Sydney (2015), «Sanctuary: The Tombs of the Outcasts» au Ian Potter Museum of Art de Sydney (2015), «Intervening Time» à la Queensland Art Gallery & Gallery of Modern Art – QAGOMA de Brisbane (à l’occasion de la 8ème Édition de l’Asia-Pacific Triennal (2015), «Witness» au Lyon House Museum de Melbourne (2014), «De Anima» à la Bendigo Regional Gallery et au RMIT Design Hub de Melbourne (2014), «Warang» au Museum of Contemporary Art de Sydney (2012) ; et au Japon, «Earth House», à l’occasion de l’Echigo-Tsumari Triennal où il représentait l’Australie (2012).

Brook Andrew a également participé à de nombreuses expositions collectives significatives dont, en Asie, au National Taiwan Museum of Fine Arts (Taiwan, 2015), au National Museum of China à Pékin (Chine, 2013), au Museum of Contemporary Art de Séoul (Corée du Sud, 2011), à l’Iberia Center of Contemporary Art de Pékin (Chine, 2010), à la Fondation Ishibashi de Tokyo (Japon, 2007) ; en Australie, au Perth Institute of Contemporary Arts - PICA (2015), à la National Gallery of Victoria de Melbourne (2015), au Museum of Contemporary Art de Sydney (2012), à la 17ème Biennale de Sydney (2010) ; aux Etats-Unis, au Spertus Institute de Chicago (2008), au Smithsonian Institute - National Museum of Art History de Washington (2007) ; au Royaume-Uni, au Musée d’Archéologie et d’Anthropologie à Cambridge (2016), à la TATE Britain à Londres (2015) ; en Espagne au Museo Nacional Centro de Arte, Reina Sofia à Madrid (2014) ; et en Autriche, à la Künstlerhaus à Vienne (2013).

Les œuvres de Brook Andrew ont rejoint les prestigieuses collections privées et publiques australiennes telles que celles du Museum of Contemporary Art et de l’Art Gallery of New South Wales, à Sydney ; de la National Gallery of Victoria, de la Vizard Foundation Collection et de la BHP Billiton Collection, à Melbourne ; de la National Portrait Gallery et de la National Gallery of Australia, à Canberra ; de la Queensland Art Gallery à Brisbane ; de l’Art Gallery of South Australia à Adelaïde ; ainsi que les collections de l’ ARTBANK. Le National Museum of Contemporary Art de Séoul (Corée du Sud) a également fait rentrer dans ses collections des œuvres de Brook Andrew.

Brook Andrew est représenté par la Galerie Nathalie Obadia Paris/Bruxelles depuis 2013.