Célèbre dans l’Italie de l’entre-deux-guerres, le sculpteur Adolfo Wildt a fasciné ses contemporains par sa virtuosité exceptionnelle dans le travail du marbre, due à l’exercice du métier de praticien durant plusieurs années pour d’autres sculpteurs. Sa singularité, en marge de la tradition comme de l’avant-garde, lui a en revanche toujours valu un succès critique mitigé. Ses liens avec Margherita Sarfatti, maîtresse de Benito Mussolini, et les commandes et honneurs officiels qu’il reçut de l’administration fasciste ont sans conteste joué un rôle central dans l’oubli dans lequel il est tombé au milieu du XXe siècle.

Première rétrospective jamais consacrée à Wildt en France, l’exposition organisée en collaboration avec la Fondation Cassa dei Risparmi di Forlì invite à une découverte inédite de l’univers fascinant et excentrique du sculpteur italien. Seules quelques oeuvres ont été récemment dévoilées au public parisien, à l’occasion de l’exposition Italies en 2001 et Masques en 2008. De plus, il a fallu attendre 2013 pour voir un musée français acquérir une oeuvre de Wildt, le Vir temporis acti en bronze (1921) qui appartient désormais aux collections du musée d’Orsay.

L’exposition se propose de dérouler dans une logique chronologique, la carrière atypique de l’artiste. Elle aborde de manière aussi exhaustive que possible les facettes de son art, à travers soixante sculptures, esquisses et médailles, trente-quatre dessins et oeuvres graphiques, mais également des photographies anciennes de ses oeuvres disparues ou inamovibles (monuments funéraires notamment) et divers documents. En lien avec l’oeuvre de Wildt dix-neuf contrepoints sont proposés au fil du parcours : moulages de sculptures antiques, peintures de la Renaissance (Cosmè Tura, Carlo Crivelli…), ou encore oeuvres contemporaines (Felice Casorati, Ivan Meštrović, Auguste Rodin…) et de ses élèves (Lucio Fontana, Fausto Melotti). Sont ainsi évoqués la variété de ses sources et références et le contexte artistique contemporain.

La grande majorité des prêts proviennent de musées et collections particulières d’Italie, où la plupart des oeuvres de Wildt sont encore conservées. Deux institutions italiennes ont généreusement prêté une partie significative de leurs oeuvres de Wildt : les Musei civici de Forlì (6 sculptures) et de Venise (11 sculptures dont plusieurs plâtres provenant de l’atelier de Wildt).

La première salle présente les débuts de l’artiste, entre naturalisme et classicisme. En 1894, Wildt passe avec le riche prussien Franz Rose, évoqué par un buste, un contrat dans lequel il s’engage à lui fournir le premier exemplaire de chacune de ses sculptures en échange d’une pension annuelle : liberté de créer et une certaine aisance matérielle lui sont ainsi procurées jusqu’en 1912, date de la mort de Rose.

La deuxième salle est consacrée à la période suivant la profonde dépression traversée par Wildt entre 1906 et 1909, durant laquelle il questionne le sens de son art et la forme qu’il doit adopter : il a alors pour ambition d’entretenir une filiation avec l’art ancien et être « absolument rebelle à l’art d’aujourd’hui », tout en s’accordant avec la pensée moderne. Son extraordinaire Autoportrait intitulé Masque de douleur marque un retour à la création. L’oeuvre s’inscrit dans une tendance expressionniste explorée par Wildt autour de 1910, période à laquelle il questionne également la figure partielle (Vir temporis acti) et introduit dans ses oeuvres des éléments décoratifs raffinés et dorés qui le relient aux sécessions germaniques.

Avec des oeuvres épurées comme Un Rosaire ou L’Âme et son habit, la troisième salle met en évidence une composante désormais omniprésente de l’art de Wildt, une spiritualité issue d’une piété très personnelle illustrant sa maxime : « Une oeuvre d’art n’est pas faite pour les yeux, elle est faite pour l’âme ». La quatrième salle circulaire met plus particulièrement l’accent, autour de la Mère adoptive, sur l’iconographie de la famille réinventée par Wildt.

La cinquième salle présente la variété des productions de Wildt, artiste reconnu au lendemain de la première guerre mondiale : ses portraits monumentaux naturellement, mais également ses hommages à des héros disparus, ses portraits d’enfants, la série de dessins des Grands jours de Dieu et l’Humanité, et enfin son ultime chef-d’oeuvre, le Parsifal. Les oeuvres de cette salle mettent en évidence les liens de Wildt – dans une déclinaison toujours très personnelle – avec les exigences classiques du « Novecento », le mouvement du « retour à l’ordre » lancé par Margherita Sarfatti.

Torturé et excentrique, d’une sensibilité exacerbée, Wildt ne laisse pas indifférent : il est selon les mots d’Ugo Ojetti l’interprète idéal de son « époque fatiguée et anxieuse, crédule et curieuse ».