Matin du 27 décembre 1892. Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Membres de l’Institut de France, professeurs des facultés, délégations de sociétés savantes et des Grandes Ecoles sont réunis. Le président de la République Sadi Carnot fait son entrée. A son bras Pasteur, dont on fête le soixante-dixième anniversaire. Ainsi débute le « culte » républicain voué à ce grand savant. Au Canada, on donnera le nom de Pasteur à un canton. En Algérie, à une petite ville de la province de Constantine. Combien de rues et de places, d’écoles portent son nom en France et dans le monde ? Et combien d’Instituts Pasteur ont été fondés ?

En 1922, centenaire de sa naissance, le président de la République française, Alexandre Millerand déclare :

Le culte des grands hommes est un principe d’éducation nationale. Un peuple qui garde le souvenir de ses morts puise dans ces commémorations des secrets de force et d’espérance.

(Debré, 1994, p. 525)

En 1929 son effigie figure sur un timbre-poste. En 1966 son portrait orne le billet de 5 francs. Deux navires sont baptisés de son nom. Son gendre René Vallery-Radot lui consacre une biographie. Sacha Guitry en tire une pièce de théâtre et un film.

L’Institut Pasteur, une nouvelle vision de la science

Début 1881 Pasteur propose à Gambetta, Président du Conseil, de créer un établissement de production de vaccins. Pasteur estime avoir mis au point celui contre l’anthrax ou maladie du charbon qui terrasse le bétail. Faute de réponse, c’est son laboratoire de la rue d’Ulm qui sera pour quelques années, la base de production des vaccins acheminés dans le monde entier, et dont une partie des bénéfices des ventes à l’étranger alimentera le fonds pour construire le futur Institut. Car Pasteur n’a pas renoncé à son projet.

L’Académie des sciences le soutient et ouvre une souscription. Pasteur soi-même fait du porte-à-porte chez les grands bourgeois et cotise de ses propres deniers. Restent à trouver un emplacement et un nom. Duclaux son disciple déniche 11 000 m2 de terrains maraîchers rue Dutot, Paris 15ème. Il impose le nom d’Institut Pasteur, au regret du maître opposé à réserver « à un homme l’hommage d’une doctrine ».

Pourquoi un tel soutien des donateurs et de l’opinion publique ? 6 juillet 1885. On toque à sa porte. Un homme accompagne une mère et son enfant, venus d’Alsace. Le chien de l’homme a attaqué à deux reprises le 4 juillet : son maître a été protégé ; le petit garçon, Joseph Meister, a été mordu à plusieurs endroits. Le soir même, Pasteur lui injecte un extrait de moelle de lapin mort de la rage quinze jours plus tôt. D’autres injections suivront. Et ça marche ! La France a peur de la rage qui s’est répandue depuis 1880, alors qu’en Allemagne il a suffi de quelques mesures de police pour en venir à bout.

La philosophie de l’Institut voulue par Pasteur se résume d’un mot : l’indépendance. La microbiologie (ou microbie comme Pasteur l’appelait) y occupe presque toute la place, et pour cause. S’il n’a pas découvert les microbes, Pasteur a été un des principaux contributeurs, avec l’allemand Koch, de la mise en évidence de leur rôle et de leur importance, tant dans les maladies que dans l’économie générale de la nature. Cet établissement original, alors unique en France et dans le monde, inscrit dans ses fonts baptismaux sa triple vocation : recherche ; industrie ; formation de brillants étudiants.

Reconnu d’utilité publique en 1887 par décret du président de la République Jules Grévy, l’Institut se voit relié au ministère du commerce et de l’industrie, pas celui de l’agriculture ni de l’instruction publique. Car, depuis son périple en Allemagne et en Autriche de l’été de 1852, Pasteur, s’inspirant du modèle germanique, avait compris que la science pure ne prend de sens que par les applications qu’elle permet, quand la tradition française est toute différente.

Politique, philosophie et religion

Mercredi 29 novembre 1865, fin d’après-midi. Pasteur arrive au château de Compiègne, le pavillon de chasse de Louis XV devenu palais des fastes de l’Empire. Un millier de personnes se rendent à l’invitation de Napoléon III pour une petite semaine. Le premier soir après dîner Pasteur est accaparé par l’Impératrice Eugénie qui s’intéresse à la science. Rejoints par l’Empereur, lequel veut un compte rendu des travaux qu’il a confiés à Pasteur sur le vin, les voici tous trois embarqués dans le récit que fait Pasteur de ses recherches. Pasteur est tombé sous le charme. Rendez-vous est pris la semaine suivante dans l’appartement impérial. Muni de son microscope et de ses échantillons de vins, Pasteur commence la démonstration. Du vin on glisse au sang, comme le raconte Pasteur à son épouse Marie :

On veut voir et comparer le sang humain à celui de la grenouille. Les hommes n’avaient pas eu le temps d’hésiter à se piquer que déjà l’Impératrice avait versé son sang. Et chacun de s’empresser d’examiner le sang de Sa Majesté (…). Ah ! J’ai oublié de te dire qu’à la fin de la séance chez l’Empereur, je lui ai prié de m’autoriser à publier ma lettre. Il l’a lue et m’a répondu : ‘’Je serais très heureux que mon nom soit associé à ces intéressantes découvertes’’.

(Debré, 1994, p. 247)

Pasteur sait certes profiter des opportunités pour faire valoir ses travaux et les financer. Or, homme de convictions, il n’est pas qu’un opportuniste. Moderne dans sa pratique scientifique, c’est un conservateur en politique et un catholique pratiquant. De son père, soldat de Bonaparte, il a conservé à la fois cet amour inconditionnel pour la famille impériale – à présent celle de Napoléon III – et des opinions bonapartistes. Certes, après la chute du Second Empire, il se rallie à cette IIIème République qui lui convient à merveille pour avoir vaincu les forces révolutionnaires ayant instauré la Commune de Paris.

Ardent patriote, Pasteur ne manque pas une occasion de glorifier son pays et de se mettre au service de ses gouvernements successifs. Non sans regard critique quand il livre son analyse de la défaite française, toute empreinte de sa conviction d’homme de science :

Les pouvoirs publics en France ont méconnu depuis longtemps cette loi de corrélation entre la science théorique et la vie des nations. Victime sans doute de son instabilité politique, la France n’a rien fait pour entretenir, propager et développer le progrès de la science dans notre pays. Elle s’est contentée d’obéir à l’impulsion reçue ; elle a vécu sur son passé, se croyant toujours grande par les découvertes de la science parce qu’elle leur devait sa prospérité matérielle, mais ne s’apercevant pas qu’elle en laissait imprudemment ternir les sources (…). Tandis que l’Allemagne multipliait ses universités (…), la France énervée par les révolutions, toujours occupée de la recherche stérile de la meilleure forme de gouvernement, ne donnait qu’une attention distraite à ses établissements d’instruction supérieure.

(Debré, 1994, p. 269)

Patriote et conservateur donc, Pasteur est partisan de l’ordre et de la loi. Son engagement politique n’a pourtant pas dépassé quelques tentatives qui furent, au mieux des anecdotes, au pire un fracassant échec. En récompense de ses travaux et de ses succès, l’Empereur décide de le nommer sénateur. Ironie du sort, lorsque la défaite française intervient en 1870, et consécutivement la chute de l’Empire, le décret de promulgation n’avait pas encore été signé : Pasteur n’aura pu ni siéger ni bénéficier de la retraite des sénateurs. Il tente bien en janvier 1876 de se faire élire dans le Jura. Il est battu à plate couture. Si bien que, « vacciné » de la politique, il décline fin août 1885 la proposition de se présenter à la députation.

Homme de science, Pasteur a aussi des convictions philosophiques et religieuses. Catholique pratiquant, il ne mélange pourtant pas les genres : dans son laboratoire et dans ses écrits, il s’en tient à une stricte orthodoxie – pour ainsi dire – expérimentaliste et positiviste. Rejetant les préjugés, il écrit :

La science expérimentale est essentiellement positiviste en ce sens que dans ses conceptions, jamais elle ne fait intervenir la considération de l’essence des choses, de l’origine du monde et de ses destinées.

(Debré, 1994, p. 392)

Il faut dire que nous sommes dans une époque où ces débats, même s’ils sont parfois relancés, ont perdu de leur importance, après des siècles de confusions entretenues par la théologie naturelle des pères de l’Eglise comme Saint-Augustin ou par la tentative de conciliation opérée par Thomas d’Aquin. Après qu’un Buffon, et quelques autres, ont livré bataille au siècle précédent pour séparer la foi de la science, Pasteur s’en tient à cette stricte posture :

En chacun de nous, il y a deux hommes, le savant et puis l’homme de foi ou de doute. Les deux domaines sont distincts et malheur à qui veut les faire empiéter l’un sur l’autre en l’état imparfait de nos connaissances.

(Debré, 1994, p. 393)

Le siècle des Lumières ayant mis fin aux confusions entre science et religion, le XIXe siècle verra croître l’affirmation anticléricale qui fera triompher en France la séparation des Églises et de l’État par la loi de 1905. En toile de fond des combats politiques virulents entre « calotins » défenseurs des religions et « bouffeurs de curés », se trouve le positivisme, posture philosophique qui doit beaucoup à Auguste Comte. Opposé à la libre-pensée promue par le positivisme philosophique, Pasteur est aussi en désaccord scientifique avec le philosophe. Un comble pour Pasteur : Comte ne croit guère aux vertus du microscope ; en outre il sépare chimie et biologie et hiérarchise les sciences !

La célèbre querelle de la génération spontanée s’invitera dans ce débat, prenant un tour philosophique et même politique, doublé d’un affrontement médiatique. L’historien Jules Michelet a pris parti pour l’hétérogénie. À l’opposé, l’abbé Moigne, Jésuite, se félicite que la rigueur expérimentale de Pasteur ait pu convaincre les sceptiques et les athées. Tandis qu’un anticlérical notoire défend la génération spontanée car il faut à tout prix selon lui s’écarter de la religion et se débarrasser de l’intervention d’un créateur. L’homme politique conservateur Guizot écrit dans ses Méditations :

L’homme n’est pas venu par les générations spontanées, c’est-à-dire par une force créatrice et organisatrice inhérente à la matière.

(Debré, 1994, p. 192)

En contrepoint, Pierre Larousse écrivait en 1874 :

La génération spontanée n’est plus une hypothèse, c’est une nécessité philosophique. Elle seule explique le créateur et la création, et paraît constituer, avec la mutabilité des formes organiques, les deux pôles sur lesquels repose l’axe même de la vie.

Debré, 1994, p. 394)

Doit-on penser que Pasteur l’a combattue par conviction religieuse ? C’est improbable. Résolument attaché à la méthode expérimentale qu’il pratique sans relâche, il soutient que les positivistes n’y ont rien compris :

L’erreur d’Auguste Comte et de M. Littré est de confondre cette méthode [expérimentale] avec la méthode restreinte de l’observation. (…) ils donnent au mot expérience l’acception qui lui est attribuée dans la conversation du monde (…). Dans le premier cas, l’expérience n’est que la simple observation des choses et l’induction qui conclut, plus ou moins légitimement, de ce qui a été à ce qui pourrait être. La vraie méthode expérimentale va jusqu’à la preuve sans réplique.

(Debré, 1994, p. 391)

Repères biographiques

Naissance à Dole le 27 décembre 1822 – Mort à Marnes-la-Coquette le 28 septembre 1895.
1830 : installation dans la maison d’Arbois.
1843 : élève à l’Ecole normale supérieure.
1854 : doyen de la jeune faculté des sciences de Lille.
1857 : administrateur et directeur des études scientifiques à l’Ecole normale supérieure.
Années 1860 : querelle avec Pouchet sur la génération spontanée – dépôt de son brevet de pasteurisation.
1877 – 1878 : la maladie du charbon.
Années 1880 : mise au point du vaccin antirabique.

Bibliographie

André Besson, Louis Pasteur, Un aventurier de la science, Editions du Rocher, 2013.
Patrice Debré, Louis Pasteur, Champs biographie, 1994.