A cette main tendue qui l’a sauvée, Cécile décide d’envoyer une lettre.

Lettre de Cécile

A mon sauveur d’un jour,
Je vous écris aujourd’hui pour vous dire merci. Ces cinq lettres représentent tellement pour moi. Merci de m’avoir tendu cette main, puissante et calleuse, pour me ramener vers cet ilot. Je n’avais alors qu’une idée en tête : rejoindre ce bout de terre. Celui qui habite mes pensées. Abrupt. Façonné par les vents et les marées. Comme posé au milieu de l’océan.

Seulement, à bout de forces, vidée, je n’en ai jamais vu la couleur. Je ne sais plus ce qui s’est exactement passé cette nuit-là. Aujourd’hui, j’ai seulement le souvenir de vos bras qui m’ont repêché. Puis, le néant. Quand je me suis réveillée, les jambes engourdies, les yeux rougis par le sel de mer, j’ai entendu une voix. La vôtre, certainement. Sans vous, je ne serais pas là. Je vous ai cherché pendant des semaines. En vain. Ce qui m’a mis sur votre chemin, c’est cette balafre. Celle que vous avez dans la paume de votre main droite.

Dans mon périple, je voulais simplement rejoindre cette île. Celle qui habite mes pensées. Un endroit magique où la quiétude se mêle à la puissance du feu posé sur un éperon rocheux, tout juste sorti des eaux. Je me souviens vaguement avoir été attirée par une lumière. Un éclat dans la nuit noire. Puis, le néant. Le ciel constellé d’étoiles brillait. Projetant sur l’océan une toile majestueuse. Le scintillement est réapparu.

Bref. Cadencé. Au lointain, j’ai aperçu une tour. Colossale. Une véritable sentinelle des mers qui se dressait fièrement sur ce bout de terre. Ballotée par les vagues. Transie de froid. Je ne dois mon salut qu’à une seule personne : vous. On m’a dit que vous êtes le gardien de ce phare. Un gardien des temps révolus. Voilà le peu de souvenirs qu’il me reste de cette nuit-là et que je vous livre en quelques mots. Cette nuit où je suis partie à la dérive. Alors, aujourd’hui, ma lettre est un peu comme une bouteille à la mer. Je ne sais pas si elle vous parviendra un jour. Mais j’ose l’espérer.
En espérant que cette main tendue qui m’a sauvé la vie trouve la force de répondre à ma missive.
Bien à vous.
Cécile.

Réponse de Jacques

Chère Cécile,
J’ai mis du temps à oser vous répondre. Cela m’a demandé un gros effort, j’avoue. Je suis plutôt du genre taiseux. Je ne fais pas de vagues. La vie m’a appris à me contenter de peu, en gestes comme en paroles. Et à apprécier surtout ce qu’elle nous offre. Mon caractère s’est forgé au fil de mes années en tant que gardien de phare. Mon quotidien était rythmé par les relèves, tous les 15 jours.

Je n’ai pas oublié cette nuit-là. Votre cri de détresse a transpercé le silence de cette nuit étoilée. J’étais d’ailleurs en haut, près de la lanterne, à observer les étoiles. L’œil rivé sur mon télescope, j’étais ébloui par une myriade de points lumineux. J’entendais seulement le fracas des vagues sur l’ilot. Quand soudain, j’ai entendu votre appel au secours.

Je suis soulagé et ravi d’avoir de vos nouvelles aujourd’hui et de voir que vous vous portez bien. Vous n’avez pas à me remercier. En gardien, je veille sur les marins et les bateaux mais aussi sur les âmes esseulées ou perdues. Je vois que vous êtes observatrice. J’ai effectivement une balafre dans le creux de ma main droite. C’est dû à un accident lors d’une relève, il y a 15 ans. J’ai failli y perdre la main. Un terrible épisode que j’ai décidé de fermer à jamais pour avancer.

Pour nous, gardien de phare, quand le soleil se couche, c’est une autre lumière qui jaillit. Des milliers de points lumineux apparaissent à mesure que la nuit se fait plus sombre. Ils tapissent le ciel obscur qui se fond avec la noirceur de l’océan. Parfois, les étoiles foisonnement et on perçoit nettement la voie lactée. On se sent alors minuscule face à cette immensité.

Je ne sais pas pourquoi vous étiez dans une telle détresse et cela vous appartient. Je suis un vieux briscard mais les épreuves m’ont appris énormément. Sachez qu’être sur cette terre merveilleuse est avant tout un cadeau de la vie. Vous devez l’apprécier à sa juste valeur. Chacun de nous doit trouver sa lumière et suivre son propre chemin vers son île. Même si celle-ci vous paraît aujourd’hui inaccessible, un jour, vous verrez, elle sera à portée de main. Vous le saurez. C’est une quête de toute une vie. J’ai trouvé la mienne. Pourtant, j’en ai connu des enfers et des paradis mais je n’ai jamais perdu de vue cette lumière. A vous de trouver la vôtre ! Portez-vous bien. Avec toute ma bienveillance. Jacques.