L’enjeu du renforcement de l’attractivité de la fonction publique est partagé par un grand nombre d’États, notamment au sein de l’Union Européenne. Celle de la France ne l’est pas moins, dans un contexte social et économique fortement dégradé, à un moment où l’obligation de résultat de la puissance publique est devenue une attente forte des citoyens, eu égard au taux faramineux de prélèvements sociaux 1.

Certes, la puissance publique se révèle partiellement impuissante en matière de services publics de proximité, de présence du numérique, de sécurité publique, de santé et d’enseignement, entre autres, mais il importe, plus que jamais, d'attirer et de fidéliser les talents dans les administrations.

Dans cette perspective, n’aurait-il pas été pertinent d’inoculer davantage de variable dans la rémunération de nos ministres ? Avec la perspective motivante de voir la rémunération de nos valeureux acteurs publics augmenter en proportion des résultats. Or paradoxalement, il semble que c’est le chemin inverse qui aurait été choisi en réduisant d’autorité leur rémunération…

Ainsi, faut-il se réjouir de la baisse des rémunérations du président de la République et des ministres du gouvernement de 30 % 2, alors que celles des patrons des entreprises du CAC 40 ont continué à exploser au cours des deux dernières années 3 ? Pas sûr ! Cette décision de campagne, rappelons-le, voulait symboliser le changement, au plus haut niveau de l’État, pour démontrer l’exemplarité de l’usage des fonds publics. On voudrait bien le croire quand on veut manier le bâton sans la carotte. De plus, être exemplaire n’implique aucune performance économique à terme !

Dans le secteur privé, il est acquis que si le fixe rémunère les compétences, le variable, accordé si le dirigeant (ou plutôt, l’entreprise) remplit ses objectifs, doit rétribuer la performance individuelle ou collective. Dans un contexte concurrentiel mondial difficile, les employeurs s’évertuent à introduire une part de variable de plus en plus prégnante dans la rémunération de leurs salariés. Il est explicitement admis que les actionnaires traitent mieux les premiers de cordée que ceux qui se contentent de faire acte de présence… N'oublions pas, ce disant, que lorsque ces derniers sont récompensés de leurs talents, c’est toute la hiérarchie qui en bénéficie parallèlement, en principe… du haut de pyramide jusqu’au bas de l’échelle.

Dans cette mouvance productiviste, l’État cherche également à introduire homéopathiquement de la performance au sein de certaines professions (avec des primes d’objectifs dans l’enseignement ou le secteur médical, par exemple). C’est également l’attractivité des emplois de la fonction publique, qui est encouragée, concurrence du privé oblige 4

Le débat sur le niveau des rémunérations des dirigeants et la distribution des rémunérations prend tout son sens quand on cherche à savoir ce que le fixe et le variable doivent récompenser.

En premier lieu, ne confondons pas la compétence avec les attributions de compétence des postes à pourvoir

Les compétences sont les capacités d'un individu à exercer une fonction ou à réaliser une tâche. Les responsables d’un établissement public ne peuvent agir que dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi et ses statuts. Cela vaut qu’ils soient compétents ou non. Il faut bien reconnaître que la nomination de certaines personnes à certains postes ne relève pas dans l’absolu d’une expertise dans le domaine exercé. D’autres facteurs ou considérations peuvent intervenir tels l’amitié, le leadership, le parcours effectué, la notoriété, l’opportunisme, etc. On trouve ainsi dans le privé et dans le public de nombreux exemples de non-parallélisme entre le CV du candidat et les attributions statutaires confiées. Par ailleurs, le recours au piston, n’est-il pas un moyen au service de la recherche d’emploi, au même titre que le réseau professionnel ou l’expérience ?

En second lieu, rappelons que la performance est la résultante des efforts d’un individu, d’une équipe ou d’une entité, pour atteindre des objectifs, négociés ou non, et répondre aux attentes légitimes des clients, des usagers et des citoyens

Si les salariés du privé sont rodés depuis longtemps à cet exercice annuel qui consiste à confronter réalisations et prévisions, la chose semble plus difficile à accepter et à mettre en œuvre dans le secteur public, notamment dans le secteur non-marchand.

La gestion de la relation entre l’employeur ou l’État et ses employés, implique un chiffrage et une évaluation des résultats obtenus dans le temps. Dans ce domaine, les Programmes de Stabilité et de Croissance élaborés par la Direction Générale du Trésor et la Direction du Budget sont des outils qui peuvent alimenter une démarche de performance des administrations à l’instar du secteur privé 5.

Si on connaît l’endroit où se rendre, sait-on, néanmoins, de quel côté il faut aller pour pasticher Lewis Carroll 6? Pas sûr, quand on se reporte au PSTAB précèdent 7 qui envisageait une stratégie de retour à l’équilibre des comptes publics : (...) Elle s’appuie sur une gouvernance renforcée permettant l’appropriation des choix et des objectifs par l’ensemble des acteurs concernés : collectivités locales, organismes de sécurité sociale, et élus. Elle respecte nos engagements européens en matière d’efforts structurels. Cette stratégie préserve l’équité, en faisant peser l’essentiel de l’effort sur les ménages et les entreprises dont la capacité contributive est la plus élevée. Elle soutient la croissance à travers le désendettement des administrations publiques (qui en est une condition essentielle) et par la poursuite de réformes de structure indispensables à l’amélioration de notre potentiel de croissance (…).

La politique de rémunération devrait être fonction de ce que l’État veut obtenir de ses collaborateurs, permanents ou intermittents

Si la rémunération est censée payer la compétence, récompenser et encourager au surpassement de soi, elle transmet bien davantage qu’une simple rétribution pour le travail effectué par le responsable concerné ou la nomination médiatisée à un ministère par convenance politique. Au total, l’augmentation de la rémunération avec un variable attaché à des résultats ambitieux, n’aurait-elle pas été plus rassurante et pertinente qu’une baisse drastique de pure circonstance, dans un contexte politique qui se voulait vertueux, en diable, il y a une dizaine d’années ? Un vœu pieu, du moins pour ceux qui croient encore aux vertus de la carotte sous le bâton !

PS. La fonction publique territoriale dispose de nombreux atouts pour attirer. Cependant, les partenaires sociaux et des experts mettent en avant ces difficultés d’attractivité et des multiples métiers qui y sont exercés, entrainant des problèmes de recrutement (Cf. Rapport sur l'attractivité de la fonction publique territoriale, remis le 15 janvier 2022).

Notes

1 Proportionnellement à la richesse nationale de la France, nous n’avons jamais payé autant d’impôts et de cotisations sociales depuis le début des années 1990, s’alarme la directrice générale de la Fondation IFRAP.
2 François Ayrault, nouveau Premier ministre, annonce que la proposition de François Hollande de baisser de 30% le salaire des ministres serait la première mesure de son gouvernement (mai 2012).
3 La rémunération totale moyenne des patrons de l’indice CAC 40 a augmenté de 52% en 2021 et atteint un plus haut depuis 15 ans à 7,9 millions d’euros, soit plus de 100 fois la rémunération moyenne des salariés, selon un rapport publié mardi par le cabinet Proxinvest.
4 Cf. Rapport annuel sur l'état de la fonction publique 2020 - Politiques et pratiques de ressources humaines - Faits et chiffres.
5 Le Programme de Stabilité 2023-2027 a été présenté en Conseil des ministres le 26 avril 2023.
6 « Les Aventures d'Alice au pays des merveilles » est un roman publié en 1865 par Lewis Carroll.
7 Cf. L’avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2016 à 2019 du Haut Conseil des finances publiques adopté le 12 avril 2016.