Et si Arles, théâtre de la photographie depuis la fin des sixties, continuait de faire son cinéma ?

À travers les clichés d’une maison familiale à Téhéran, six décennies de l’histoire de l’Iran se déroulent comme sur le grand écran. Plus à l’Ouest, le peintre-photographe Saul Leiter, Wim Wenders et ses polaroïds, en fait les ancêtres de nos photos instantanées prises au smartphone, Stanley Kubrick et son scrapbook très personnel, tout comme le « cinéaste » improvisé Gregory Crewdson, dégainent leurs objectifs face aux gitans de Jean Dieuzaide et de Lucien Clergue. Ils semblent défier, jusqu’à provoquer en duel, les sétois d’Agnès Varda. Peut-être que toutes ces « caméras » ne visent qu’un seul et même rêve : sauver la planète du réchauffement climatique, en brisant la glace des gens du Nord, emmenés par les jeux naïfs d’Emma Sarpaniemi ?

Entre nos murs, les souvenirs d’Iran

Une jolie maison cubique construite à l’américaine, une piscine, un jardin arboré et fleuri, un coupé sport, une famille moderne qui flirte avec les codes du Truman show, en référence au programme Point Four lancé par le Président Harry Truman pour combattre le communisme. Cette liberté et cette richesse apparente sont encouragées par le Chah et le pouvoir impérial. Au fil des décennies, après la révolution de 1979, tout se dégrade. On construit en béton et de partout. La maison est absorbée par des barres d’immeubles. La famille a dû fuir le nouveau régime. La demeure est abandonnée. Le duo Sogol Kashani et Joubeen Mireskandari s’y installe au début du second millénaire. Ces deux artistes mènent des recherches et vont redonner vie à la mémoire de la maison unifamiliale.

Saul Leiter ressuscite la poésie du quotidien

Juif orthodoxe promis à un avenir de rabbin, Saul Leiter quitte Pittsburgh pour New York, à l’âge de vingt-trois ans. Il se perd dans les rues de Manhattan, brouille les pistes avec des silhouettes fantomatiques, capture les reflets de scènes et leurs détails, sur les trottoirs, l’asphalte et les vitrines, et bouscule les repères. Il reçoit aussi ses amantes et maîtresses dans son atelier d’East Village. Parfois dans son bungalow de Lanesville. Elles posent nues dans les draps froissés. Avec le regard du peintre, il parvient à capter toute la poésie et la force tranquille de cet instant d’après.

Gregory Crewdson rêve de cinéma

Jean-Luc Godard aurait pu dire de ce photographe qui cadre les paysages comme les tableaux d’Edward Hopper, que sa photographie, c’est la vérité. Et puisque les rues désertiques de Gregory sont mises en scène dans un mouvement de travelling arrière, Godard aurait pu rajouter : les films rêvés de Crewdson, son « cinéma », c’est la vérité vingt-quatre fois par seconde.

Les gitans de Jean Dieuzaide et de Lucien Clergue

Ces deux photographes ont réussi à saisir le mouvement, le charisme et la grâce des voyageurs sans frontière, ces néo-croyants nomades, qui célèbrent la Sainte-Marie et leur soif de liberté à travers le son des guitares, la majesté de leur danse et le chant plaintif de la tequila.

Les photos d’Agnès Varda prolongent sa « Pointe Courte »

La cinéaste, en écho à son premier long métrage tourné en 1954, à peine âgée de vingt-cinq ans, a réussi à dompter plus de huit cents photos, capturées depuis la fin des années quarante jusqu’à son tout premier film mythique, « La Pointe Courte ». Loin de l’ennui glacial et du désamour qui s’installe entre Philippe Noiret et Silvia Monfort, elle immortalise de façon graphique et texturée les scènes naturalistes de la vie de ce quartier de Sète, ainsi que ses fameuses joutes.

Emma Sarpaniemi s’affiche en féministe pour sauver le monde

L’autoportrait de la photographe finlandaise fait l’affiche, au sens propre comme au figuré, des « Rencontres » d’Arles. La naïveté féminine et puissante qui se dégage de ses clichés transperce avec limpidité et fraicheur notre regard nombriliste, patriarcal et égoïste de petit consommateur méprisant le monde et sa fragilité temporelle.

Une excellente façon de conclure ces rencontres, du septième art au septième ciel, en passant par la candeur des femmes qui font aussi leur cinéma.