Lors d’un entretien accordé à Fabrice Midal en janvier 2021, Charles Pépin explique : « On considère souvent l’échec comme quelque chose qu’il serait préférable d’éviter, sans voir que la plupart des réussites sont produites par les échecs du passé ».

Dans son ouvrage Les Vertus de l’échec, paru en 2016 aux éditions Allary, l’auteur appuie au travers de cas concrets l’adage selon lequel « qui ne se plante pas ne pousse jamais ». De page en page, on découvre le parcours parfois méconnu de personnalités telles que J.K. Rowling, Rafael Nadal, Charles Darwin ou encore Serge Gainsbourg. Parce qu’aussi éclectiques soient-elles, ces célébrités ont un point commun : avoir échoué avant de réussir, et parfois même, avoir réussi parce qu’elles ont d’abord échoué.

C’est cette notion d’« échec », bien souvent considérée comme péjorative et honteuse, que se propose d’explorer Charles Pépin. Échouer est-il si regrettable que cela ? Se heurter à un réel qui résiste à notre volonté ne nous pousse-t-il pas à choisir la manière dont on souhaite le vivre ? En définitive, cela ne nous donne-t-il pas une occasion rêvée d’affirmer notre liberté ?

L’écrivain expose en premier lieu non moins de huit manières différentes de concevoir l’échec, en montrant ce qu’il peut avoir de bénéfique. Deux conceptions en particulier retiendront notre attention : les lectures existentialiste et psychanalytique du ratage.

La première, ancrée dans une perspective sartrienne, présente l’échec comme une « chance de se réinventer ». Cette manière de considérer nos échecs non plus comme une sorte de révélation de notre essence mais comme un élément qui nous pose la question de ce que l’on pourrait devenir nous permet de dépasser le stade du « je suis un raté » pour parvenir à celui du « j’ai raté, comment rebondir ? ». En effet, si l’échec nous ferme des portes au nez, il ne tient qu’à nous de diriger notre regard vers celles qui demeurent ouvertes.

D’autre part, la conception psychanalytique de l’échec est une occasion, pour Charles Pépin, de remettre sur la table la notion d’« actes manqués ». À toutes celles et ceux à qui cette expression n’évoque que Jean-Jacques Goldman, nous préciserons qu’un acte manqué est une action par laquelle une partie refoulée de notre psychisme s’exprime. D’où le conseil de certains psychologues, relaté par l’auteur : « Ne voyez plus votre échec comme un accident : regardez-le comme s’il manifestait une intention cachée ». Ce qui de prime abord semble être une douloureuse erreur devient dès lors la marque d’une déviation de trajectoire, une occasion de prendre conscience que la voie que l’on a emprunté n’est peut-être pas la bonne pour nous, et accessoirement, d’en changer. Le tout dans l’optique de « se re-fidéliser à son désir profond, se reconnecter à soi-même et à ses talents propres ».

Anticipons d’avance les critiques selon lesquelles trouver des avantages au fait d’échouer reviendrait à se voiler la face en prétendant que notre échec n’en est pas vraiment un : rien de tel ici. Le philosophe veille à préconiser une erreur assumée en tant que telle, voire même revendiquée (ce n’est pas pour rien que les confiseries Afchain et Despinoy se disputent aujourd’hui la paternité des Bêtises de Cambrai !).

Après un tour d’horizon des différentes manières de penser l’échec, c’est une véritable philosophie pratique que propose Charles Pépin.

Contre le perfectionnisme, d’abord, qui nous fait préférer ne rien faire plutôt que faire quelque chose d’imparfait, il prône l’initiative osée, la prise de risque. Et il ne s’arrête pas là, puisqu’il en expose ensuite une méthode dans le chapitre intitulé « Comment apprendre à oser ? ».

Il n’hésite pas non plus à adapter sa thèse à l’éducation, un domaine dont il a pu faire l’expérience puisqu’à l’heure où il écrivait ces lignes, il avait déjà enseigné pendant près de vingt ans dans des contextes très divers (aussi bien au sein d’établissements difficiles de Seine-Saint-Denis qu’à SciencesPo). Fort de ce qu’il y a observé, Charles Pépin imagine un système éducatif dans lequel la singularité serait mise à l’honneur. En bon philosophe, il ne manque cependant pas de nuancer sa thèse en remettant en cause sa propre pensée : « inviter au respect de la règle plus qu’à l’audace de devenir soi, n’est-ce pas la logique même de l’école égalitaire ? A-t-on raison de le lui reprocher ? » ; question à laquelle il donne une réponse mitigée : si l’étroitesse de l’école peut justement permettre aux artistes nés de prendre conscience de leur différence, elle peut aussi les pousser à fuir le système éducatif, purement et simplement.

Néanmoins, Charles Pépin montre que les temps ont changé et que l’éducation nationale est en crise (en témoignent les résultats désolants révélés par les études PISA - Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves). Pourquoi, alors, ne pas réévaluer l’approche scolaire et proposer une formation axée sur « les talents particuliers, la créativité, le sens de l’initiative » ? On inviterait ainsi les élèves à travailler sur leurs forces plutôt que sur leurs faiblesses, à cultiver des « savoirs utiles » (à l’encontre de l’« érudition vaine » décrite par Nietzsche dans sa Seconde Considération Intempestive), à oser se tromper.

Quant à la question de notre capacité de rebond, elle n’est pas non plus laissée sans réponse. Bien loin de sous-entendre que celle-ci est illimitée, l’auteur nous enjoint à « identifier notre quête, ce sur quoi nous ne devons pas céder » en vue d’accroître notre liberté tout en (re)connaissant nos limites. Par l’échec, saisir les cloisons de notre zone de compétence pour mieux rebondir ensuite.

En bref, la lecture de cet ouvrage s’avèrera idéale pour qui a du mal à se remettre d’un échec cuisant ou qui a peur de se tromper au point de ne plus rien tenter. On y apprend, au travers d’exemples concrets et détaillés, que nos erreurs peuvent aussi nous rendre plus sages, plus alignés avec nous-mêmes, plus humbles, plus forts, ou simplement plus ouverts à d’autres possibilités. À mettre entre toutes les mains, donc !