L'amour est un thème infini, qui nous a toujours donné matière à réflexion et à écrire, aussi longtemps que la vie existe et que la vie crée des relations. Mais dans quelle mesure peut-on parler d’amour comme d’une relation ? Depuis quand les êtres vivants sont-ils pensés en relation ? Ne pouvons-nous pas simplement considérer la finitude de son existence ? Qu'est-ce qui est infini dans la vie, en amour ?

Il convient toujours de garder à l'esprit que, lorsqu'on parle d'amour platonique, il faut recourir à la notion de « complémentarité », qu'elle soit entre les espèces ou qu'elle concerne la complétude même du flux vital, de l'humain et du divin, de l'amour platonique. le palpable et l'invisible. Pour ce faire, on peut se tourner vers le philosophe allemand Ludwig Feuerbach, dans le but de mieux comprendre cette relation, ainsi que le concept de vie et d'amour lui-même, comme la jouissance de celle-ci.

Peut-être dans ce qui peut être considéré comme un contraste, lorsque l'on considère le concept aristotélicien de la vie humaine, on comprend immédiatement à quel point il est traité de manière finie, voire fermée et organisée en catégories. Mais plus tard, cette idée sera remise en question par Charles Darwin, qui rassemblera toute la théorie de l'évolution et des relations entre les espèces.

En réfléchissant à la dialectique de l’amant et de l’aimé, j’ai toujours essayé de la comprendre le plus possible, ainsi que de prêter attention au contexte du flux vital lui-même. L'idée de l'infini, également associée au désir d'immortalité, apparaît dans le Banquet comme une force essentielle pour comprendre l'éros, associée à la connaissance rationnelle et à la transformation de l'amant en beauté de l'aimé. Dans cette transformation, il y a un passage de l'ignorance à la connaissance, qui a du sens en raison du processus même d'approximation et de médiation dont parle Platon dans la compréhension de l'amour.

Lorsque l’on parle de dialectiké, comme d’un dialogue entre ces deux entités, amoureux et aimé, il faut prêter attention à ce qui les unit, permettant le débat et la réflexion. Dans cette « union » on remarque qu'il y a une tendance à la philia, à l'équilibre, encore très loin de la finitude ou de toute stabilisation, puisque, même si le désir cesse, il reste toujours quelque chose qui reste, même si c'est l'amitié et le partage de connaissances. Mais c’est l’idée de l’infinité de cette connaissance, toujours en constant renouvellement et remplacement, qui permet de parler d’un processus sans fin, d’une complétude constante. Et c’est par ce processus que Platon affirme :

(…) que tout être mortel sauvegarde sa continuité (208a).

On peut désormais considérer qu'il en va de même avec le flux vital, puisque dans la théorie platonicienne il y a toujours un processus de médiation entre le monde sensible et le monde intelligible, permettant d'établir une relation entre ce qui est vivant et ce qui est vu, avec qui est fondement, conception.

Dans « Banquet » nous pouvons voir la beauté qui existe dans l’explication de ce qui n’est pas visible. C'est une théorie qui traite de l'éros sans épuiser toutes les possibilités, qui part de la notion de complétude jusqu'à un mouvement graduel, obéissant à un ordre précis. En ce sens, le rapprochement entre amoureux et aimé suit plusieurs étapes, étapes voire niveaux d’une initiation amoureuse. Pour atteindre la beauté spirituelle, celle qui retrouve les vertus de l’âme, tout le processus de reconnaissance est nécessaire, qui conduira plus tard au rapprochement des deux entités.

Il convient de souligner que l’amour surgit ainsi, comme tout ce qui est « entre les deux », tout ce qui comble le vide entre l’humain et le divin, le bien et le mal, le laid et le beau, l’amant et l’aimé. La fonction médiatrice de l’éros en fait le moteur entre ce qu’il n’est pas et ce qu’il entend être. Il est ainsi dépeint comme un assistant de la nature, à qui il faut même rendre hommage ou une dévotion particulière. Et c'est à travers cette idée d'auxiliaire de la nature, de médiation entre ce qui n'est pas et ce qui sera, que l'on peut chercher justement à l'appréhender comme une relation. Dans le contexte du flux vital, il existe sans doute une notion de médiation et de fécondité dans la nature. L'être fécond est celui qui s'approche du bel objet et qui génère bien-être et joie. Cette notion sera comprise plus tard et sera, plusieurs siècles plus tard, présente d'une manière ou d'une autre dans la théorie évolutionniste de Darwin.

Pour mieux comprendre l'essence de l'être humain, on peut recourir à l'idée de conscience au sens strict, traitée par Ludwig Feuerbach. Selon sa pensée, la conscience compte en tant que notion de cette même essence, ainsi que la capacité scientifique (conscience de genre). On se rend vite compte que cette essence est elle aussi limitée, mais infinie. Selon les mots du philosophe :

Ce n’est que dans la conscience de l’infini que l’être conscient a pour objet l’infinité de sa propre essence.

Les êtres humains comprennent toujours la vie intérieure et extérieure, contrairement aux animaux, qui combinent les deux en une seule. De plus, ils sont également associés à des fonctions génériques, à savoir la capacité de parler et de penser. C'est à travers cette idée que l'on comprend mieux la division de l'essence de l'Homme en trois parties : la raison, la volonté et le cœur. Ces trois entités, constitutives du genre humain, sont précisément les soi-disant perfections de l’essence humaine, voire une trinité divine.

La raison est associée à la force de la pensée et à la lumière de la connaissance, tandis que la volonté est associée à l'énergie du caractère. Enfin, et celui que nous cherchons à servir dans ce travail, dans le cœur se trouve l'amour. Pour le définir, Feuerbach commence par l'interroger :

Comment pourrais-je résister au sentiment de l'homme sentimental ? Comment pourrais-je résister à l’amour de mon amant ? (…) Qui n’a pas expérimenté le pouvoir de l’amour ou du moins en a entendu parler ? Qui est l’amour le plus fort ou l’homme individuel ? (…) Quand l'amour pousse l'homme, même à marcher joyeusement vers la mort pour la personne qu'il aime, est-ce cette force qui triomphe de la mort et de sa propre force individuelle, ou est-ce plutôt la force de l'amour ? (…).

Concernant la force qui fait que l’amant ne résiste pas à l’amour, ainsi que son essence même, le philosophe apporte des réponses précises. Il convient de souligner l'importance, dans sa pensée, de l'idée de conscience de l'objet pour avoir une perception de lui-même, à travers l'essence révélée. Le lien se fait ensuite, puisque, lorsqu'il parle d'amour, il considère que le pouvoir de l'amour en tant qu'objet trouvé, éveille immédiatement le pouvoir de l'essence même du sentiment. Il conclut cette idée en affirmant que « Vous ne pouvez pas aimer sans ressentir cette activité comme perfection, vous ne pouvez pas comprendre que vous êtes un être qui aime, qui veut, qui pense, sans en ressentir une joie infinie. (…) ».

Le Banquet, en tant qu'œuvre qui porte en elle toute la beauté de l'amour et de la vie elle-même, ouvre la voie à une recherche incessante de cet Éros et combien il permet de :

(...) posséder le Bien pour toujours.

et aussi

(….) générer et créer le beau (…).

Il y a en effet un mouvement incessant, un remplissage de l'espace entre deux entités qui se complètent, le bien et le mal, le laid et le beau, l'amant et l'aimé.

Aussi infini que soit l’amour, nombreux sont ceux qui ont essayé de l’organiser de manière finie, fermée et organisée. Peut-être parce que les êtres humains ressentent le besoin de rationaliser et de s’organiser. Il faut toujours prêter attention aux « espèces et parties », comme dirait Aristote, en étant conscient qu’elles forment un tout unique et parfait. En ce sens, il existe une essence qui nous caractérise, en tant qu’êtres humains, dotés de raison, de volonté et de cœur (Feuerbach). Cependant, bien au-delà de tout ce qui nous appartient, nous sommes des êtres qui participent à un flux vital.