Praz-Delavallade Paris est heureux de présenter Danser sur les traces, exposition de groupe des lauréatx.e.s de la 2ème édition du Prix Utopi.e avec Maïc Baxane, Nelson Bourrec Carter, Aëla Maï Cabel (en collaboration avec Victor Bulle), Audrey Couppé de Kermadec, Naëlle Dariya (en collaboration avec Pierre Andreotti), Sido Lansari, Elijah Ndoumbe, No Anger, Jordan Roger Barré, Kianuë Tran Kiêu.

Je me demande souvent à quoi servent les œuvres d’art. Peut- être encore plus aujourd’hui. Dans un cours de philosophie de l’art il y a quelques années, on avait ouvert le semestre sur cette question. Parmi les réponses qui reviennent souvent dans l’histoire de cette discipline, il y a l’idée de représentation. Celle d’un paysage, d’une émotion, d’un mouvement.

Il me semble que c’est également vrai pour l’exposition qui nous occupe ici, à la seule différence qu’il s’agit de la représentation d’une communauté. En effet, la sélection de la deuxième édition du Prix Utopi·e pour cette exposition à Praz-Delavallade est dominée par le portrait, et en particulier celui des autres, de celleux que l’on connaît.

Ce sont les visages des proches et des amitiés élargies que nous voyons au sein des pastels de Maïc. Ce sont aussi ces relations de proximité qui nourrissent le travail d’Audrey. Le soin porté vers sa communauté est devenu un axe majeur de sa pratique, notamment avec la co-fondation récente du collectif Santé mentale dans l’art contemporain. Le soin et le plaisir portés vers soi sont également au cœur de l’autoportrait fractionné que No Anger nous offre, choisissant cette « grammaire du morcellement » comme réappropriation complète de son corps.

Malgré ce que l’on pourrait croire, il n’est finalement plus essentiellement question ici de genre, d’identité ou de désir. Ce qui domine plutôt, c’est le sentiment d’un basculement vers la joie, celle qui se lit sur plusieurs des dessins et des photographies présentés dans la galerie. L’exposition apparaît alors presque tel l’autoportrait d’une communauté, peut-être un peu désordonnée, mais sûre d’elle, prospère et joyeuse.

Cela ne veut pas dire que les combats queer seraient terminés. Il s’agit simplement d’emprunter le même chemin qu’auparavant, mais de le faire avec davantage de joie encore. Car l’histoire continue évidemment de s’écrire, Sido le montre avec son projet portant sur Lahzem, le premier groupe homosexuel arabo-berbère fondé dans les années 1980 en France et dans le monde arabe. Ce faisant, il contribue à la construction d’un récit utile pour la communauté. Cette dernière s’agrandit à mesure que les connaissances s’élargissent, ou bien à mesure que la fiction leur fait de la place. C’est le cas de la House des Uranistes de Jordan qui imagine des nouvelles entités, à la manière d’une famille de cœur devenue nécessaire.

La façon dont un collectif s’organise et se raconte est également au cœur de la pratique d’Aëla, ici en collaboration avec Victor Bulle. Ces installations, souvent en lien avec un travail de performance et d’ateliers, renouvellent les questions liées à l’autogestion et à l’environnement à travers une utilisation singulière des matières et des savoirs. Chez Nelson, pour qui la banlieue pavillonnaire étatsunienne est un motif récurrent, il s’agit plutôt de s’intéresser à la manière dont un modèle d’habitation devient désirable et surtout fantasmé. Les maisons que l’on y devine sont des reconstitutions d’Allensworth aux États-Unis, village fondé par et pour des personnes noires au début du XXème siècle, et déserté quelques années plus tard.

Enfin, Kianuë et Elijah offrent des possibilités de réappropriation de certains narratifs dominants. À l’aide de dispositifs radicalement différents, iels placent tous·tes deux leur travail en opposition à une utilisation anciennement ordinaire et coloniale de la photographie, qui a marqué l’histoire du racisme. Il s’agit d’ajouter ces récits à notre histoire commune, de les rendre visibles, de les rétablir. C’est une méthode similaire qui est à l’œuvre chez Naëlle, où la référence à un canon du monde dans lequel elle évolue, le cinéma, permet une réappropriation par l’humour.

Avec cet autoportrait, Naëlle pose aussi la question de la validation et du succès, et sans doute également du chemin tortueux qui y a mené. J’en reviens donc à ma première question: à quoi servent les œuvres d’art? Ici, à faire vivre les artistes. À soutenir une communauté sûre d’elle, prospère et joyeuse.

( Text by Théo Diers)