La reconversion professionnelle est tout un art ! C’est ce que nous prouve Sophie Spira alias SORA qui, en quelque temps, est passée d’avocate fiscaliste dans les plus grands cabinets parisiens à artiste plasticienne. Alors bien sûr on ne se réveille pas un matin avec l’envie d’être artiste, il s’agit plutôt de quelque chose de latent, existant depuis toujours et que l’on ne peut plus ignorer à un moment donné.

Choisir de se consacrer totalement à son art est, en plus d’être courageux, un acte fort, voire engagé, dans ce monde si stéréotypé.

C’était déjà le cas pour les artistes des siècles précédents et en particulier du XXe siècle : créer est un manifeste, une déclaration de liberté et d’amour. Amour de la vie, car quoi de plus beau, dans tout ce que produit l’homme, que l’art sous toutes ses formes ?

Le problème est que l’art n’existe que s’il est vu par un public. C’est Marcel Duchamp qui énonce cette vérité crue : une œuvre d’art ne devient œuvre que dans un lieu particulier, un artiste n’est considéré comme artiste que s’il est visible des professionnels du monde de l’art.

A l’ère des canaux de diffusion larges comme les réseaux sociaux cela reste la règle. Mais alors comment trouver et faire sa place ?

L’augmentation des galeries en ligne génère un flux massif d’artistes en tout genre. Peut-être n’y a-t-il jamais eu autant d’artistes qu’aujourd’hui mais le succès est au rendez-vous pour un tout petit nombre d’entre eux seulement.

Persévérance, communication, talent évidemment, chance et culot sont les clés que SORA semble avoir trouvées :

Ton parcours est très original ! Comment passe-t-on d’avocate à artiste ?

Je peins et dessine depuis toujours même si en effet ma carrière professionnelle n’a pas du tout commencé dans le milieu artistique.

J’ai exercé plusieurs années en tant qu’avocate à Paris, puis en direction fiscale d’une entreprise du CAC40. Ma passion pour le dessin et la création ne m’a pourtant jamais quittée : dès que l’opportunité se présentait, j’en profitais pour la nourrir : travailler sur un projet de tableau les week-ends, griffonner un portrait dans le train ou encore illustrer mes notes de réunions d’animaux sous-marins inconnus !

Plus récemment, j’ai compris qu’il était nécessaire d’accorder une place plus importante à la création dans mon quotidien. Comme l’appétit vient en mangeant, la créativité vient en créant ! Je prends plaisir à développer, pousser plus loin mon concept de tableau mais aussi à le décliner, trouver de nouvelles idées et de nouveaux visuels.

Comment décrirais-tu ton style ?

Depuis une dizaine d’années, je travaille principalement sur des tableaux en patchwork, essentiellement composés de dessins à l’encre de Chine.

J’avais envie d’exprimer plusieurs choses, idées, émotions en même temps et le désir de les transcrire autrement que par une composition très classique, avec un sujet, un arrière-plan ou une scène. L’idée de dessiner des symboles de ces émotions et pensées diffuses, des totems, est alors née par hasard, en m’autorisant à sortir des schémas traditionnels du dessin.

J’ai emprunté plusieurs codes de la bande dessinée : les bandes me permettent de raconter des anecdotes, des scènes. Les bulles me servent le plus souvent à retranscrire une phrase entendue qui m’a interpelée ou choquée. Lorsque l’on lit ce texte à l’état brut, sans contexte, il apparait encore plus étrange, ridicule. D’un point de vue purement graphique et esthétique, j’utilise des onomatopées avec une police très épaisse et des damiers noirs et blancs déformés, clin d’œil à une planche de Franquin où Gaston Lagaffe tire sur un fil qui dépasse d’une tapisserie à carreaux et en déforme le motif.

Comment a évolué ton approche artistique ?

Au départ, les patchworks que je dessinais étaient totalement en noir et blanc et dans de petits formats (A4). Puis, le concept a évolué au fil des années et j’ai introduit la couleur, d’abord par touches puis par grandes taches. J’utilise de l’aquarelle : l’eau me permet un premier geste assez spontané pour créer la forme de la tache. Ensuite, je retravaille l’intensité des couleurs et leur rencontre : j’adore les formes abstraites que l’aquarelle permet de créer, la façon dont les pigments peuvent se mélanger, se recouvrir ou se chasser selon la quantité d’eau utilisée.

Aujourd’hui, c’est la tache que je réalise en premier sur un tableau patchwork : la construction du dessin dépend de sa forme et de sa position sur le support.

Au fil du temps, la dimension et la nature de mes supports ont aussi évolué : je ne dessine plus du tout sur du A4 mais sur des formats plus grands comme le format Raisin (50x65cm) et jusqu’à 1 mètre. J’ai aussi introduit la toile de lin comme support, à côté du papier aquarelle.

De quoi parle tes œuvres ?

Certaines thématiques se retrouvent quasi systématiquement dans mes tableaux : une vision pessimiste de la nature humaine, du monde du travail en entreprise ou encore le féminisme. Mon intention n’est pas de communiquer une pensée innovante sur ces sujets, bien au contraire : je dessine des extraits de scènes vécues ou entendues et qui sont criantes de trivialité et de ridicule. On ne peut alors plus contester le message !

Peux-tu nous parler de ton concept de commande personnalisée ?

Je reçois régulièrement des commandes de tableaux. Le but n’est alors plus de transcrire mes pensées personnelles mais d’assembler tout ce qui définit son futur propriétaire : ses passions, ses craintes, les personnages qu’il admire et ses souvenirs. J’utilise un questionnaire qui me permet, outre les modalités de dimensions et de couleurs, de récolter de multiples informations sur mon client. Je compose alors une pièce complètement sur mesure et dont son propriétaire connait tous les secrets !

Où peut-on voir ton travail ?

Pour faire connaitre mon travail, j’utilise plusieurs médias dématérialisés comme les réseaux sociaux, principalement Instagram et mon site internet. Ces deux supports me permettent de montrer l’œuvre finale mais aussi les making of, l’arrière-boutique.

Je suis également présente sur une galerie en ligne.

Mais je constate que rien ne vaut une présentation du tableau en physique et j’organise donc en parallèle des expositions dans des bars-restaurants et en galerie.

Le format bar-restaurant est plutôt informel et permet de toucher un public timide qui n’ose pas fréquenter une galerie, car s’estimant trop néophyte. Lors du vernissage, ces personnes osent davantage poser des questions pour comprendre le processus de création, les messages, etc.

Le format galerie, plus traditionnel, me permet d’entrer en contact avec un public plus averti.

Quels sont tes projets à venir ?

Sur le plan purement créatif, je travaille actuellement sur un nouveau concept de tableau, où la tache de peinture resterait présente pour garder un geste spontané dans la création mais où le dessin noir et blanc à l’encre de Chine laisserait place à une autre forme de dessin, par exemple un portrait.

J’ai commencé à mettre en œuvre cette idée et j’imagine que, comme les tableaux en patchwork, ces nouveaux tableaux seront amenés à évoluer au fil des réalisations et du temps pour aboutir à un format qui me correspondra.

J’envisage d’utiliser davantage les toiles comme support de création et de m’essayer à d’autres médiums pour la réalisation de mes taches, en dehors de l’aquarelle.

Par ailleurs, j’ai le projet de collaborer avec d’autres artistes pour réaliser ensemble des créations nouvelles, avec d’autres mediums, que nous n’aurions pas pu imaginer individuellement.

Sur le plan évènementiel, j’espère collaborer avec de nouvelles galeries de la région PACA, où je m’apprête à ré-emménager.