En l’état.

Depuis plus de quinze ans, je construis une oeuvre, appelée à grandir au jour le jour, nommée En l’état, 13 juillet 1999-Aujourd’hui. Ne me séparant jamais de mon outil, l’appareil photographique, j’enregistre ce que je vois, ce qui me trouble, me touche (…) ; j’amasse des images, je fabrique ma propre encyclopédie en inventant des mots, mon langage. Je ne peux donner à voir que des fragments de ce corpus qui s’épaissit au fur et à mesure du temps.

Ainsi, je suis devenu un mont(r)eur d’images; images qui se révèlent par strates sensorielles, temporelles, sémantiques, affectives, contemplatives… En ce sens, c’est tout d’abord l’obsession qui prime dans ce travail presque sans fin excepté ma propre mort puisque c’est elle même, sous la forme d’un grave accident, qui m’a conduite à le faire naître.

As is, comme c’est, mais qu’est-ce que le réel? Sûrement pas la photographie.

City of Quartz

En avril dernier, je suis parti en Californie. Il était nécessaire, à mon avis, de me frotter à la civilisation de l’image ; celle des clichés aussi, tout comme de nombreux artistes l’ont fait. San Francisco, le désert aux alentours de Palm Springs mais surtout los Angeles.

A travers les icônes du cinéma Hollywoodien, de la musique ou encore de la littérature, chacun a construit sa propre vision, phantasme souvent grandiloquent, de la « West Coast ».

Privilégiant la marche, dans la capitale mondiale automobile, j’ai commencé mon exploration.

Un journal

Dès mon arrivée, je me suis mis à écrire, à raconter mes journées chaque soir et à poster cela sur la plateforme Facebook à l’instar d’un blog. En effet, il m’arrive toutes sortes de petites anecdotes au sein de la rue ; même si cela est souvent lié à mes images, ces « histoires » sont un ressenti où j’explore ma manière d’être face au monde. C’est un peu le principe du « hors-cadre », mais un « hors-cadre » temporel et « situationniste », si je puis dire ; ce qui se passe avant et après l’image par exemple, ce qui n’est pas forcément exprimable par la photographie.

Ainsi, très vite, j’ai été beaucoup lu à travers Facebook et cela m’a conduit à tenir les 26 jours de mon périple. Même au bord de l’épuisement, après 8 ou 10 heures de marche sous le soleil de Californie, mon journal devait prendre forme chaque soir.

Cette expérience, proche du direct, tend à démontrer à quel point le réel, « la rue », les paysages s’emparent de moi lorsque je dérive, intellectuellement et physiquement au sein de ces espaces, porté par ma vision, mes pensées, mes rencontres, tel un chien fou et errant, un poète sans attache, déporté par le vent.

Franck Gérard, juillet 2014.

Franck Gérard pratique la photographie depuis son passage à l’école des Beaux-Arts de Nantes. La série En l’état, 13 juillet 1999 - Aujourd’hui, couvre la quasi totalité de son corpus d’images.

Dans une continuité de la photographie humaniste, Franck Gérard cultive une profonde empathie pour ses contemporains. S’il ne néglige pas le paysage, son terrain de jeu privilégié reste la rue, la ville, qu’il arpente des heures durant, capturant dans son objectif l’insolite, l’incongru qui s’offre à son regard. Photographe à plein temps, il considère son appareil comme une extension de son oeil. Sa pratique photographique est associée à l’errance, concept central de son approche du médium.

La photographie est, pour Franck Gérard, un essai d’appropriation du réel. L’ accumulation, la profusion d’images s’apparente à une tentative de survie, de sauvetage de ces infimes révélations du quotidien. Ses images dévoilent, sans mépris aucun, nos faiblesses, nos contradictions, notre solitude et nos tentatives pour les surmonter. Elles révèlent parfois la poésie inhérente aux objets qui nous entourent : la sculpture surgit d’un rien, les mots inscrits dans le paysage urbain prennent un tout autre sens.

Avec Twenty-six days, son journal américain, Franck Gérard convie l’écriture pour accompagner ses photographies. Il nous invite à partager son errance, de San Francisco à New York, en passant par Los Angeles et le désert, en postant chaque jour sur sa page Facebook une photographie accompagnée d’un texte. La photographie est ici amplifiée, augmentée par le récit qui l’accompagne. Sans se limiter à la simple illustration du texte, la photographie est alors l’acmé de l’expérience, vécue et décrite dans la quasi instantanéité. Les chroniques de Franck Gérard nous plongent dans le monde tel qu’il le voit et le perçoit et s'incarne dans ses photographies.

Franck Gérard est né à Poitiers en 1972 et il est diplômé de l’Ecole des Beaux-Arts de Nantes.

En 2013, son travail a fait l’objet d’une commande publique du ministère de la Culture et de la Communication - Centre national des arts plastiques - CNAP, intitulée “Manifester, En l’état, une enquête poétique” et réalisée à Marseille qui sera présenté au Frac PACA en septembre. En 2012, pour la Nuit Blanche à Paris, il a réalisé une conférence “performée” de 7 heures (19h– 2h), En l’état, User les images, Hémicycle du Palais d’Iéna, CESE. Son travail a notamment été présenté au Lieu Unique à Nantes, au Domaine de Kerguéhennec, Morbihan, à la Fondation d’entreprise Ricard à Paris, au Centre Georges Pompidou-Metz.