Né dans la Zone américaine du canal de Panama en 1949, Richard Prince est un artiste dont la trajectoire remarquable débuta lors du bicentenaire des Etats-Unis, en 1976, quand Jimmy Carter était en pleine course présidentielle et la ville de New York en pleine faillite. Dans son petit appartement de l’East Village, l’artiste créait des diapositives de publicités qu’il privait de leur slogan et cataloguait sous différents genres anthropologiques : « couples mixtes », « girlfriends », « cowboys », etc. Il utilisait des images issues de diverses publications destinées à distraire la gente masculine ; blagues, bandes-dessinées érotiques, courses de dragster ou images de charme, dont certaines provenaient de sa collection personnelle de romans de gare, tous sélectionnés avec le plus grand soin. Agrandies et encadrées, ses « rephotographies », comme il les appelait, étaient des oeuvres choquantes et inattendues, aussi déroutantes que captivantes. Il s’agissait alors du sommet d’un insondable iceberg artistique sur le point d’émerger. Au début des années 1980, il nous prit par surprise avec ses dessins humoristiques de magazines minutieusement retravaillés, stylistiquement proches des « rephotographies ». Personne ne se serait douté qu’il savait dessiner, ni même peindre ! Vinrent ensuite les toiles sérigraphiées de « jokes » et de « cartoons », les peintures de « nurses » B-girl (pour bar girl), les sculptures de style minimaliste réalisées à partir de pièces détachées d’automobile et les innombrables collages d’images trouvées, parmi lesquels se comptent désormais – directement après son extraordinaire exposition au Kunsthaus Bregenz – « New Figures » et « Cutouts » mélanges de numérisation et collage redessinés.

Dans les séries « Cutouts » et « New Figures », les photographies trouvées évoquent les images érotiques que les mères de famille appelaient autrefois « cochonnes », mères dont les enfants allaient pourtant devenir les socialistes-révolutionnaires de la génération Woodstock ; les lignes dessinées, les couleurs pâles et les formes ajustées rappellent les traits élégants de Picasso et les collages découpés aux ciseaux de Matisse, bien avant que l’art américain ne prenne son tournant Pop et que la vie s’informatise. Certaines des filles se voient recouvertes de corps dessinés, les bras d’autres d’entre elles se transforment en membres géométriques ou schématiques dans une combinaison à main levée d’image, de design et de dessin. Elles révèlent également un artiste – peut-être le meilleur de sa génération – dont la liberté technique et artistique lui permet de produire à partir des procédés d’une autre époque une forme d’art inattendue, d’une qualité équivalente et qui reste toutefois absolument contemporaine.

A ses débuts, Richard Prince explique ses « rephotographies » par une altération de la maxime moderniste d’Ezra Pound, « Make It New » (vers 1914) qui devient chez lui « make it again » (vers 1980). Le « it » du poète américain exprime le ras-le-bol moderniste envers la « tradition », celui de l’artiste contemporain faisait référence à la nouveauté moderniste vue à travers la lentille de la télévision ou de la conquête spatiale. Richard Prince a toujours cherché des sujets que l’art n’avait pas déjà récupérés tels les « jokes », les pièces détachées d’automobile ou les B-girls pour créer ensuite des images mémorielles au moyen de photographies familières et d’objets, comme si elles avaient en fait été réalisées par quelqu’un, ou quelque chose, d’autre. Il leur a donné un air de facilité et de naturel, précisément ce que recherchaient les amateurs du petit ou du grand écran ; un art créé avec l’aisance désinvolte de Zorro signant le plastron du Sergent Garcia à l’épée ; un art qui, comme les effets spéciaux au cinéma, allie l’originalité à l’incrédibilité. « New Figures » et « Cutouts » sont en effet une combinaison d’aisance, d’assurance et d’effets spéciaux. Au delà de ça, ces oeuvres projettent un ego plus compliqué et plus réservé que celui de Matisse ou de Picasso, une manière plus complexe que celle de leur modernisme visuellement radical. À partir de la complexité des techniques actuelles d’imagerie, Richard parvient à produire du neuf. Récemment il me confiait : « Quelle chance que de faire exactement ce que je veux ». Je suis toujours étonné de son talent de dessinateur, mais surtout de ses qualités de séducteur lorsqu’il s’agit de pénétrer l’imbroglio de nos esprits.

Texte de Jeff Rian