L'expression "Horror vacui" ou "peur des espaces vides" est souvent utilisée pour décrire l'art brut, qui consiste, dans un excès compulsif, à couvrir de détails et de données chaque centimètre carré de surface-sans doute par peur d'un retour des espaces vides. En s'opposant au vide, l'art brut donne forme à chaque particule. Il fait de l'art optique un effet secondaire de cet affrontement entre la main, l'œil et l'esprit, où le mark making apparait comme un moyen de pouvoir saturer l'espace en proposant une œuvre optiquement riche.

Comme antidote à la satisfaction esthétique, Marcel Duchamp a inventé les Rotoreliefs en 1923. En captivant la rétine elle-même, les Rotoreliefs magnétisent l'œil par le jeu de motifs en spirale. Il en résulte une œuvre hypnotique, à la fois un bruit de fond visuel et un faux sentiment de profondeur ou vortex. Duchamp a présenté son œuvre au concours Lépine, persuadé de pouvoir s'ouvrir un nouveau marché. Il n'en a pas vendu un seul.

Le cube blanc a longtemps représenté un vide protégé du fardeau des détails pour devenir un espace inutilisé et intemporel propice à la visualisation de l'art. Le papier peint ludique de Urs Fischer imite l'apparence de plaques de plâtre brut pour représenter un moment étrange de mimésis du temps passé à travers les murs d'une pièce, qui donne alors la sensation d'un espace indéterminé. Les coins de la pièce marquent le lieu où les points convergent et où l'espace est rendu fonctionnellement inutile et donc souvent ignoré. L'œuvre d'angle en acier inoxydable brillant de Joel Morrison convertit cette inutilité en une force imposante et éclatante. C'est l'espace tout entier, qu'il soit oublié ou invisible, qu'utilise Rachel Whiteread comme matériau dans ses sculptures.

Les heures passées à appliquer et à réappliquer une complétude de marques apparaissent clairement dans les denses dessins au graphite de Nancy Rubins. Des papiers déchirés sont frottées vigoureusement au graphite de manière à leur donner les reflets du métal brossé mat. Fabriqué à partir du griffonnage de papiers contenus dans sa poche à l'aide d'un crayon serré dans sa main, les dessins de poche de William Anastasi sont une narration au quotidien de cet espace, tel que nous le connaissons, en tant que lieu actif du mark making. Le défunt Roman Opalka a consacré toute une vie à témoigner du temps et de l'espace en comptant vers l'infini. Ses Cartes de Voyage, réalisées par nécessité sur papier en dehors de son studio, témoignent de sa conviction.

La répétition obsessionnelle et le griffonnage inconscient peuvent recéler de puissants champs optiques susceptibles, par l'utilisation de codes personnels et de rythmes modélisés, d'infléchir la planéité de la toile. Les œuvres de Harmony Korine ondulent de manière agressive dans des motifs vichy psychédéliques et asymétriques. Les Agrégats de John Houck repensent le pixel par des moyens récursifs, comme une série de combinaisons possibles travaillées jusqu'à une extrémité infinitésimale.

Liste des artistes à Genève

William Anastasi, Marcel Duchamp, Urs Fischer, John Houck, Y.Z. Kami, Harmony Korine, Joel Morrison, Paul Noble, Nancy Rubins, Richard Wright

Photos par Annik Wetter. © 2014 Courtesy Gagosian Gallery