La galerie VivoEquidem est heureuse de recevoir Benyounès Semtati pour l’exposition « L’inutile comme volonté de représentation ». À travers une sélection d’œuvres produites en 2014, l’artiste nous propose de l’accompagner dans le monde qu’il traverse sans cette « obsession insipide d’être utile ».

Utilisant du carton de récupération, la gouache, le crayon ou la craie, Benyounès Semtati refuse l’artifice de la virtuosité et le clinquant de l’objet d’art minutieusement élaboré. C’est une liberté pour lui de ne pas trop penser au modus operandi, même si on entrevoit un grand savoir-faire dans Nature Morte où il a peint avec élégance des pommes sur le papier imprimé de sac de maraîchers.

Sans être nihiliste, il évoque l’inutile comme un antidote à une sorte de sécheresse mentale et peut-être même sociale. Ne pas toujours chercher l’utilité, l’efficacité ou la réussite dans tous les actes de la vie est aujourd’hui une gageure pour l’individu en général et pour l’artiste en particulier.

« J’ai l’impression que je travaille pour me débarrasser de l’asphyxie » dit-il. Et cela explique pourquoi ses œuvres sont particulièrement aériennes et légères. Elles sont parsemées de ses (très) nombreuses lectures et de ses multiples promenades intérieures suroxygénées. Le Saint Barthélemy du Jugement Dernier de la Sixtine transparaît dans Résurrection-Dior où un personnage féminin de magazine de mode naïvement stylisé et manucuré tient, comme le saint dans la représentation de Michel-Ange, une peau d’homme vidée de sa chair. Ici, le jugement des corps se fait dans les magazines...

Il y a aussi des interprétations audacieuses et poétiques dans ses œuvres comme pour l’assemblage de quatre petites pièces : Adam et Ève où le couple nu s’éloigne en se tenant la main vers le noir, lieu où tout devient possible. Ils sont encadrés par deux collages formant des visages déstructurés aux multiples yeux. C’est, selon l’artiste, l’état d’esprit de « ces jeunes gens » à ce moment particulier de l’histoire du Monde, mais c’est peut-être aussi l’illustration de la première névrose. Dessous, un autre collage montre une tête formée d’un pain en guise de cerveau (issu de la fermentation de la levure) et de deux citrouilles à la place des yeux évoquant l’œil comme source d’une illusion, celle du carrosse de cendrillon...

Devenu un voyageur immobile après s’être beaucoup déplacé, Benyounès Semtati ne réinvente pas le monde. Il ne cherche pas réellement à l’illustrer ou à le déchiffrer, à le combattre ou le dénoncer. Il ne témoigne de rien et ne revendique rien d’autre que d’être là. C’est ce qui fait que ses œuvres sont singulièrement attractives, inutiles pourrait-on dire...

« Si on ne comprend pas l’utilité de l’inutile, l’inutilité de l’utile, on ne comprend pas l’art ; et un pays où on ne comprend pas l’art est un pays d’esclaves ou de robots, un pays de gens malheureux, de gens qui ne rient pas ni ne sourient, un pays sans esprit ; où il n’y a pas l’humour, où il n’y a pas le rire, il y a la colère et la haine » (Eugène Ionesco).

Né à Oujda au Maroc en 1966, Benyounès Semtati a toujours vécu en France. Il est reçu aux Beaux-arts de Saint-Etienne, mais des choix personnels et des circonstances professionnelles le conduisent très vite à Arles et Marseille, dans un tour d’Europe puis aux États-Unis et à Paris. Dans le cadre de l’exposition collective Africa Remix (2005), ses œuvres ont été exposées à Düsseldorf, Londres, Tokyo, Johannesburg, Stockholm et Paris au Centre Georges Pompidou.