Plus qu’une simple forme d’expression artistique, l’encre – et plus particulièrement la peinture à l’encre, parfois simplement désignée comme « peinture chinoise » (guohua, littéralement « peinture du pays ») ¬– est un signifiant culturel majeur dans la construction d’une identité nationale. Langage millénaire, constamment réinterprétée et développée au fil de l’histoire, la peinture à l’encre constitue le trait le plus distinctif de l’art chinois et de l’art oriental en général. Mais en ce début de XXIe siècle, les artistes contemporains qui se réfèrent à cette tradition ne sont plus tenus aux éléments de base de la peinture – encre, pinceau et papier. En effet, le genre s’est étendu à de nouveaux supports : que ce soit dans l’art conceptuel, les performances ou les installations, il inspire encore les jeunes artistes chinois, même s’ils ne se définissent plus par rapport à lui. Quoi qu’il en soit, « l’encre » comme symbole de l’héritage, de la culture et de l’esprit chinois, demeure solidement enraciné en eux.

Commissaire de l’exposition Revolution in Tradition : China’s New Ink Art, Tiffany Wai-Ying Beres est spécialiste de la peinture à l’encre. Revolution in Tradition est une exposition novatrice : elle vise à mettre en lumière les développements passionnants qu’a connus l’art chinois, et ses liens avec la longue tradition de la peinture à l’encre. Elle présentera quelques artistes importants, très actifs dans l’essor, le renouveau conceptuel voire la subversion de l’héritage du guohua ces dernières décennies. Certains ont parfois utilisé des matériaux et des méthodes peu orthodoxes – Shang Yang (né en 1942), Gu Wenda (1955), Qiu Zhijie (1969), Hao Shiming (1977) et Ni Youyu (1984) – mais tous ont laissé leur empreinte dans l’évolution de cet art de l’encre, en inscrivant les sensibilités esthétiques et philosophiques de la tradition artistique chinoise dans un discours renouvelé et plus international.

Au cours des cinq dernières années, l’Ink Art contemporain s’est progressivement hissé parmi les sujets d’exposition privilégiés des musées du monde entier – on songe entre autres aux expositions « Ink Art : Past as Present in Contemporary China » au Metropolitan Museum of Art (2014), « Ink : The Art of China » à la galerie Saatchi (2012), « Shanshui –poésie sans paroles ? » au Musée des Beaux-Arts de Lucerne (2011) ou « Fresh Ink » au Musée des Beaux-Arts de Boston (2010). Aujourd’hui, la Chine contribue beaucoup aux formidables développements de l’art contemporain, et la Galerie Nathalie Obadia est la première en France à présenter la diversité de l’Ink Art actuel. Dans Revolution in Tradition, des maîtres contemporains reconnus côtoient des talents émergents auxquels la critique s’intéresse de plus en plus sérieusement : le spectateur sera ainsi amené à réexaminer les conventions qui sous-tendent les formes d’art traditionnel, et à se confronter aux conséquences culturelles de ces conventions.

Shan Yang (né en 1942) est l’un des artistes chinois les plus importants du demi-siècle écoulé. Artiste visionnaire, il a contribué trente années durant aux bouleversements qu’a subis la peinture chinoise. Comme la plupart de ceux qui ont grandi durant la Révolution Culturelle, Shang a été élevé dans la tradition de peinture à l’huile du réalisme soviétique. Il est ensuite devenu un éminent professeur du système académique chinois. Mais dans les années 80, à la faveur des idées neuves venues de l’Ouest et de la très expérimentale New Wave, il a tout « désappris » de manière systématique : au cours de sa carrière, Shang a méthodiquement déconstruit et interrogé les origines de l’abstraction, tant dans les pratiques artistiques traditionnelles chinoises que dans celles, plus contemporaines, venues d’Europe et d’Amérique.

En ce début de XXIe siècle, Shang Yang exerce sur l’art contemporain chinois une très forte influence. Il a reçu de nombreuses distinctions, dont le prestigieux « Lifetime Achievement Award » des Chinese Contemporary Art Awards en 2013. Production restreinte oblige, Shang Yang n’a que peu exposé en Chine à titre individuel – très récemment au musée Suzhou (2013), à l’Ecole Centrale des Beaux-Arts de Pékin (2012) et au Centre des Arts de Pékin (2009). Il a cependant participé à de nombreuses expositions collectives à travers le monde : France, Allemagne, Suisse, Italie, Australie, Hongrie, Belgique, Espagne, Amérique, Taïwan, Japon, Hong Kong, Inde et Singapour entre autres. Tous les plus grands musées de Chine ont intégré ses oeuvres à leurs collections. Ce sera sa première collaboration avec une galerie européenne.

Gu Wenda (né en 1955) a initié nombre des avancées significatives qu’a connues la peinture à l’encre, pour ne pas dire l’art contemporain chinois en général. Diplômé de l’Ecole des Arts et Métiers de Shanghai en 1976, puis de l’Académie des Arts de Chine de Hangzhou où il a étudié la peinture de paysage à l’encre, Gu s’attèle véritablement à la peinture à l’encre dans les années 80 : il s’appuie sur la peinture chinoise traditionnelle et sur la calligraphie, et se les approprie pour développer ses concepts. Aujourd’hui, Gu est considéré comme un précurseur dans l’exploration des possibilités fondamentales qu’offre cette technique : il l’a en effet utilisée dans toute une série d’installations à caractère environnemental et une large palette d’oeuvres semi-abstraites. Travaillant entre Shanghai et New York, Gu s’intéresse aux thèmes du régionalisme, de l’identité nationale, de l’universalité et des fossés entre langage et culture. Le plus célèbre de ses projets est « United Nations » (débuté en 1993) : Gu a collecté des cheveux humains du monde entier et les a tissés en immenses bannières recouvertes de textes écrits dans des langues imaginaires.

Gu Wenda a participé à diverses expositions individuelles et collectives à travers le monde, dont certaines dans des institutions publiques de premier plan. Ses oeuvres font désormais partie de nombreuses collections de musées : musée Ashmolean, Asian Art Museum de San Francisco, British Museum, Musée National d’Art de Chine, Musée d’Art Fukuoda, Hong Kong Museum of Art, Boston Museum of Fine Art, MoMA de New York, Université de Princeton (New Jersey), MoMA de San Francisco, Shanghai Museum of Art et Guggenheim de New York. Plus récemment, Gu a reçu le Prudential Eye Lifetime Achievement Award (2015).

Artiste reconnu, commissaire d’exposition, critique, Qiu Zhijie est né en 1969 dans la province de Fujian et a étudié l’art de l’estampe à l’Académie des Arts de Chine de Hangzhou, dont il obtient le diplôme en 1992. Il y enseigne désormais au sein du département d’Art Intermedia. Depuis les années 1990, il est devenu l’un des artistes conceptuels les plus actifs de Chine, et l’un des plus diversifiés : il travaille sur toute une gamme de techniques artistiques (vidéo, encre, photo, installations et performances). Beaucoup de ses oeuvres devenues célèbres transposent les techniques traditionnelles en formes conceptuelles, en particulier grâce à un certain usage de l’encre et de la calligraphie chinoise.

Qiu Zhijie a participé à de nombreux projets internationaux, individuels ou collectifs, et a exposé à titre individuel dans des institutions comme le musée de l’Académie des Arts de Chine (Hangzhou, 2015), le musée de l’Académie des Beaux-Arts de Nankin (2014), la fondation Querini Stampalia (Venise, 2013), le Musée des Beaux-Arts de Canton (Guangzhou, 2010), la Maison des Cultures du Monde (Berlin, 2010), le Centre d’Art Contemporain Ullens (Pékin, 2009), le Singapore Tyler Print Institute (2008) et le Musée d’Art Moderne Zendai (Shanghai, 2008). Il a exposé au Museo Diocesano d’arte sacra pendant la Biennale de Venise en 2013, et a été commissaire de la Biennale de Shanghai en 2012.

Hao Shiming (né en 1977) est diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Tianjin. Il se démarque de ses contemporains en travaillant à la fois avec et contre la tradition de la peinture à l’encre. Dans la plupart de ses oeuvres, Hao construit et déconstruit ses sujets par des traces peintes en lignes dédoublées. Ces traces constituent non seulement un commentaire sur la ligne – élément fondamental de la peinture au pinceau – mais aussi sur la tradition et l’identité. Chaque trace est inextricablement reliée aux autres, même lorsqu’elle est brisée ou qu’elle se désagrège. Hao explore la dualité de la vie moderne en Chine : chaque tableau semble montrer des forces naturelles en suspens ; et tout ce qui reste d’un sujet est l’idée de ce sujet, une idée qui cherche à expérimenter librement une vie désencombrée de toutes les attentes sociales, culturelles ou historiques, et pourtant trop intriquée dans son arrière-plan pictural pour pouvoir s’en séparer.

Vu la temporalité propre à son travail, Hao a une production limitée – pas plus d’une vingtaine d’oeuvres par an. Il a exposé à titre individuel à Wuhan et Shanghai, et a élaboré un projet pour Art Basel Hong Kong en 2014. Il a beaucoup exposé dans toute la Chine, et a participé à des expositions collectives aux Etats-Unis et en Belgique.

Ni Youyu est né en 1984 dans la province du Jiangxi, et a étudié la peinture à l’encre à l’Institut des Beaux-Arts de l’Université de Shanghai. Lauréat du prix du « Meilleur jeune artiste de l’année » lors des Chinese Contemporary Art Awards (CCAA) en 2014, Ni s’autorise les supports artistiques les plus variés, et construit généralement ses oeuvres sur des références à la tradition esthétique chinoise, une tradition qu’il contribue à élargir. Il mélange très librement les concepts artistiques traditionnels et modernes, orientaux et occidentaux, pour amener le spectateur à réévaluer les conventions qui sous-tendent les formes d’art traditionnel, et à se confronter aux conséquences culturelles de ces conventions.

Ni Youyu a exposé à titre individuel au Musée d’Art de l’Université de Nankin (2014), au Hive Center for Contemporary Art de Pékin (2013), au Museum Project Space rattaché au Consulat allemand de Shanghai. Il a été le plus jeune artiste à exposer au Musée d’Art de Shanghai en 2012. A ce jour, il a participé à des expositions collectives à New York, à Singapour, en Allemagne, à Taïwan, en Suisse et en Corée.