Je pars du principe que tout existe dans la nature et que nous sommes en elle. Hicham Berrada

Pour sa première exposition à la galerie kamel mennour, Hicham Berrada transforme l’espace en paysage sensoriel. La température, le clair et l’obscur, l’azur et la nuit, les images et le souffle des fleurs surgissent et se dérobent, s’effacent et se répandent, offrant au visiteur une expérience inédite. Or, ce script, qui croise science et poésie, intuition et connaissance, s’articule autour d’une mécanique temporelle inversée. L’artiste bouleverse les conditions climatiques et le rythme circadien1 des plantes afin de créer trois paysages : Azur, Céleste et Mesk-ellil2.

Hicham Berrada met en scène dans son travail les changements et métamorphoses d’une nature activée chimiquement. Il invite ainsi à faire l’expérience de la présence inédite des énergies et des forces émanant de la matière. À la villa Médicis (septembre 2013-août 2014), il prolonge ses recherches en créant, à partir de la matière élémentaire des mondes clos, et à partir des minerais des morceaux de paysage. En témoigne Azur, suite de toiles baignées de cobalt qui explore le changement d’état de ce minerai. Envahi par la chaleur, le cobalt se transforme en matière vibrante. Dans ce moment de métamorphose picturale, d’un état de la matière vers un autre, un ciel pur et grand s’élève progressivement à la surface de la toile. Or, ce paysage aérien s’envole ou se fixe au gré de la température. Chaud, l’azur se répand. Froid, il se dissout légèrement. De l’azur à la lumière, cette partition, qui se déploie de tableau en tableau, évoque le mouvement éphémère et fugitif de l’étendue aérienne. Cette rêverie azurée réunit donc le minerai à la lumière et la terre au ciel. Substance terrestre, le minerai devient, ici, un astre inversé. « Une lumière de la terre ». Cette correspondance n’est pourtant pas symbolique ; elle témoigne de la richesse de ce monde enfoui dans le secret de la terre, de ce « travail énergique des dures matières » qui s’anime, selon Gaston Bachelard, de « beautés promises3». L’artiste prolonge cette unité mystérieuse de la matière au ciel dans la vidéo Céleste. Une épaisse fumée bleue constituée de minerais raffinés s’envole, se glisse, se fond dans un ciel gris. La lumière se corporise. Le ciel se colore. Se dessine progressivement un fragment de ciel bleu. Dans l’épaisseur de ce paysage aérien - foyer minéral - Hicham Berrada nous offre « le repos d’imaginer » un nouvel azur.

Face à ces deux paysages, Hicham Berrada nous invite, en bas, à une rêverie des essences. Il dessine, dans une lumière bleue, un jardin plongé dans le clair-obscur, dans ce moment où la nature s’offre dans la pénombre et dégage en secret ses parfums subtils. Ce théâtre botanique, où se mêlent nature et artifice, se déploie sous la forme d’un pavillon de verre constitué d’allées de Mesk-ellil (parfum nocturne) . Fine et précieuse, cette fleur, étoile à cinq pétales, manifeste le jour sa beauté en blanc.

La nuit, dans le bleu du soir, elle s’ouvre, se redresse et diffuse son ester. Sensuelle et douce, piquante et envoûtante, cette odeur qui nous dit des mots exhale ses arômes toute la nuit durant. L’oeuvre invite à emprunter le chemin de ces émanations. Pour y parvenir, l’artiste agit avec poésie sur les paramètres climatiques et le rythme circadien. De jour, l’obscurité tombe artificiellement sur la closerie. De nuit, l’éclairage horticole crée la luminosité nécessaire aux plantes. Véritable fabrique de rêve, cette transfiguration du jour en nuit, cette vie inversée des fleurs, cette profusion de parfums, éveillent sens et affects du visiteur et le transportent dans un ailleurs.

Irréelle et poétique, cette petite parcelle de monde constitue avec Azur un écosystème clos. Ils se constituent l’un par l’autre. L’humidité émanant des plantes profite à Azur, et réciproquement la chaleur que propagent les tableaux agit en retour sur le jardin. De fait, cette exposition qui s’articule en scènes successives se fécondant les unes aux autres, invite à une promenade, à un voyage poétique dans le temps et dans l’espace, entraînant le visiteur dans un monde à la fois vivant et inerte, dans des régions inconnues où nature, matière et création se répondent.

Mouna Mekouar

Né en 1986 à Casablanca au Maroc, Hicham Berrada vit et travaille à Paris. Une exposition personnelle au Centre d’art de l’Onde à Vélizy-Villacoublay en France lui est consacrée. Il a participé à de nombreuses expositions collectives, au Mac/Val en France, à la Fondation Vasarely, au Palais de Tokyo, Paris, Le Fresnoy, Studio National des Arts Contemporain, au CCC de Tours, au PS1, New York. Son travail a été montré lors de performances au Maxxi, à Rome, aux Abbatoirs de Toulouse, lors de la Nuit Blanche, à Paris et à Melbourne et au MacVal en France.

Notes

1 Le rythme circadien correspond à l’ensemble des événements biologiques qui surviennent toutes les 24 heures chez les organismes vivants.

2 Au Maghreb, appellation vernaculaire pour Cestrum nocturnum.

3 Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Paris, Librairie José Corti, [1948] 2004, p. 13.