La seconde exposition personnelle d’Alex Israel à la galerie Almine Rech Paris – succèdant à « Thirty » en 2012 – met en scène un ensemble de ses hits récents (portraits, Lens, Sky Backdrop Painting) dans une configuration qui affirme sa conception de l’exposition comme événement.

Des murs entièrement peints d’un motif de ciel déclaré californien, aux accents résolument roses et bleus de « Thirty » qui convoquait la mémoire des cieux des toiles d’Edward Ruscha, l’exposition ravive le souvenir via une Backdrop Sky painting inédite. Sa facture, comme la gamme colorée, présentent une sensible évolution, substituant aux bleus des tons orangés, aux roses des tonalités pourpres, et de manière générale, un aspect plus brumeux. C’est qu’avant d’être des éléments de décor, ces grandes toiles réalisées dans les studios de la Warner Brothers sont des peintures dont Alex Israel remet à chaque fois en jeu le style et la manière. C’est d’ailleurs la structure même de tous les éléments de son oeuvre qui combinent plusieurs fonctions, plusieurs lectures, plusieurs intensités critiques. Autant le dire dès à présent : toutes ces fort jolies choses qui composent cette oeuvre offrent plusieurs niveaux d’intention – de l’ambition manifeste de simplement ravir jusqu’à la critique acerbe mais irrésolue, cette amplitude embrassant autant d’approches possibles qu’imaginables, entrainant fatalement le spectateur dans une palette d’émotions qui, elles, s’étalent de la satisfaction libidinale à la culpabilité. L’exposition présente un aperçu global de la carrière de Valentine. Elle offre au public une occasion unique de découvrir une oeuvre d’une remarquable virtuosité technique, centrée sur la perception du spectateur.

En produisant au début de la décennie As It Lays – un ensemble d’interviews filmées avec des acteurs célèbres de la vie médiatique et artistique de Los Angeles, de Bret Easton Ellis à Larry Flynt, de Vidal Sassoon à Darren Star – Alex Israel a donné le ton d’une oeuvre qu’on décrit volontiers comme un portrait de Los Angeles. Il s’agit plus exactement d’un portrait d’une certaine réalité de Los Angeles, plus onirique que socialement construite et discutée, plus cinématographique, télévisuelle et littéraire que journalistique. Avec l’apparente désinvolture « à la Warhol », qui caractérise l’attitude qu’il a choisie pour ces interviews, Alex Israel demande par exemple au réalisateur Oliver Stone « Does the avant-garde exist today ? », recevant en retour la réponse suivante : « I don’t know what the avant-garde is. » C’est une autre porte d’entrée dans l’oeuvre d’Alex Israel – encore faudra t-il se faire une opinion sur la nature même de la réponse d’Oliver Stone (Est-il sérieux ? Que veut-il dire réellement ? Est-ce une simple provocation ? N’est-ce pas tout simplement la réalité ? Est-ce un constat amère ou désinvolte ?, etc.) Depuis lors, chaque oeuvre d’Alex Israel semble porter en elle les mêmes contradictions, se gardant bien de les résoudre, les énonçant de la manière stylistique la plus raffinée et séduisante possible.

La Backdrop Painting de l’exposition à la galerie Almine Rech ne sert pas de « décor » – comme c’est traditionnellement le cas – à un objet (a prop) provisoirement emprunté aux sociétés qui fournissent à l’industrie de l’entertainment cinématographique et télévisuel des éléments pour composer une scène. Que ces éléments qui font office de fairevaloir à la peinture, interchangeables, ne soient pas à vendre avec ladite peinture propose un principe inédit qui renvoie aux grandes heures de l’art conceptuel. Probablement ne déplairait-il pas à Alex Israel d’être envisagé comme une sorte de Michael Asher cool, tout à fait adapté à la réalité d’un champ artistique violemment reconfiguré par internet et son acceptation dès règles de la société du spectacle. Cette Backdrop Painting est ici associée à une petite sculpture en bronze polychrome inédite, représentant une Corvette Chevrolet garée près d’un cactus, qui fut en effet un prop loué une fois par l’artiste pour un display, puis finalement conservé et reproduit en une petite édition de bronze peint (« Yes, the car is a Chevy Corvette-but-the colors I chose are all from the Ford Thunderbird. The Thunderbird colors from that time were nicer than the Corvette colors. Also, the car has no steering wheel... »). L’ensemble formé par la toile et la sculpture construit un mini-récit : « The car is on a pedestal in front of the sky, as if it‘s on a cliff overlooking the expansive sunset. This tableau is sort of about riding off into the desert sunset at the end of the movie. »

Les trois nouvelles Lens de l’exposition sont déclinées dans une gamme colorée qui est précisément celle du ciel représenté dans la Sky Backdrop Painting : jaune, orange, violet. Comme les autres oeuvres d’Alex Israel, celles-ci empruntent à différentes réalités combinées : le souvenir de l’art californien du siècle précédent (Craig Kauffman, Larry Bell, DeWain Valentine) autant qu’un clin d’oeil à la société Freeway Eyewear, spécialisée dans la production de lunettes de soleil accompagnant inévitablement le way of life angeleno, que créa et dirige Alex Israel. Dans cette oeuvre à la structure parfaitement diabolique, chaque élément est sans cesse recyclé, re-profilé, redessiné, recombiné, « re-masterisé », chaque nouvelle adaptation renforçant la légitimité des précédentes au moyen d’une logique publicitaire parfaitement assumée. Ainsi, les lunettes Freeway Eyewear sont-elles amplement utilisées dans les épisodes de la websérie « Rough Wings » (2011) : tous les acteurs les portent selon une logique de « placement de produit » très ordinaire dans l’industrie de l’entertainment cinématographique et télévisuel.

Les deux Self-Portrait de l’exposition parisienne sont eux-aussi les « dernières mises à jour » d’une forme qui naquit presque par accident. Tout d’abord créé comme un logo pour As It Lays à partir de son propre profil (à l’instar du profil d’Alfred Hitchcock – qui vivait à Hollywood – et qui fut aussi appelé à durer), Alex Israel en fit un portrait « officiel », empruntant tout d’abord sa palette colorée à celle de tableaux célèbres (de David Hockney à Milton Avery), puis organisant l’investissement de cette forme spécifique par diverses images stéréotypées de Los Angeles.

Les expositions d’Alex Israel sont toujours bien plus que la réunion des oeuvres (et des autres éléments) qui la composent. Pensées comme des événements qui excèdent les oeuvres, elles sont de puissants dispositifs qui convoquent toutes sortes de stratégies, y compris publicitaires, pour produire des situations assez naturellement offertes à toutes formes de consommation – dont celle, actuelle et triomphante, de la diffusion des images parfaites qu’elle génère méthodiquement, sur Instagram ou les blogs de ses fans. Une forme de perversion soft qui évoque le comportement induit par la disparition encouragée des Stacks de Felix Gonzalez-Torres : emporter une feuille de ces Stacks, c’est emporter aussi ses récits les plus politiquement brutaux.

Eric Troncy