La galerie anne barrault accueille une nouvelle exposition personnelle de Manuela Marques, qui a, pour ce projet, sélectionné un ensemble d’oeuvres photographiques récentes.

Il n’existe pas dans le travail de cette artiste un thème ou un sujet qui permettrait de le définir. Au contraire, chaque image est porteuse de sa propre singularité et l’exposition prend son sens dans leur mise en relation. Le dialogue qui s’élabore entre les oeuvres laisse apparaître la question d’un statut double de l’objet : « L’objet perçu a un statut ambigu : il est cet objet que je perçois parce qu’il m’est présent, mais en même temps il est autre chose ; il est cette réalité étrangère que la perception n’épuise pas. »1.

Face aux images de Manuela Marques nous ressentons cette ambivalence particulière qui ne semble pas tant venir de ce qu’elles partagent mais bien au contraire de ce qui les distinguent.

En effet, la singularité de chacune des images est ce qui, dans leurs incessantes variations, les distingue entre elles. L’objet au premier plan peut être aussi bien flou qu’extrêmement net, et les fonds à peine visibles de certaines images peuvent être prédominants dans d’autres. L’objet représenté peut être parfois périssable comme un morceau de pomme ou immuable comme une pierre. Il flotte ou s’ancre dans le sol. Nos impressions varient selon ces multiples états comme, par exemple, celle de ne pas voir assez et celle de trop bien voir. L’ensemble de ces photographies forme autant de situations différentes pour s’approprier le réel.

L’une d’elles présente une ombre noire d’oiseau sur un fond bleu duquel se découpent les branches. La forme pleine et noire de l’oiseau crée un écran noir dans l’image, une sorte d’absence qui manifeste une présence. Par ce vide qui nous aspire, la photographie s’exprime silencieusement. Elle fait appel au spectateur, ouvre une faille et lui permet ainsi de se projeter. Une continuité dans le visible ouvert par l’image qui nous fait basculer dans un autre temps et un autre espace.

Les oeuvres de Manuela Marques sont à l’origine de nouvelles perceptions reposant notamment sur l’ambiguïté du réel et du visible. Notre manière de voir est enrichie, nous regardons mieux ou, en tout cas, différemment. Cette nouvelle manière pose question sans apporter de réponse, et c’est pourquoi il nous faut accueillir ces images comme autant de poésies silencieuses.

Notes

1 Mikel Dufrenne, Phénéménologie de l’expérience esthétique, Paris, PUF, 1953, t. I,p.285.