Dans l’atelier de Tadashi Kawamata, des papiers collés voisinent avec des maquettes, et des constructions en carton avec des objets de récupération. Parallèlement à ses interventions spectaculaires et monumentales conçues dans un esprit participatif, Kawamata assemble seul ses maquettes. Il y travaille avec application, sans mesure et sans repos, dans une quête d’inspiration et de méditation. Cette phase d’introspection est aussi importante dans son travail que celle de la construction. Kawamata assigne donc une place décisive à la production de maquettes, qui sont à ses yeux de véritables microcosmes du monde, de son monde.

Emancipées de la règle et du modèle, ses maquettes obéissent néanmoins aux mêmes mécanismes que ses oeuvres construites. D'échelles et de matériaux variés, elles illustrent ses méthodes, ses systèmes constructifs, ses jeux d’assemblages à partir de matériaux de récupération. Elles reflètent également son sens aigu de l’éphémère, sa volonté constante de transformer des architectures, et celle d’effacer toute limite entre intérieur et extérieur, entre public et privé. Considérées par l’artiste tantôt comme des modèles à penser, tantôt comme des outils d’exploration ou encore comme des paysages imaginaires, les maquettes nous situent au plus près de sa démarche et révèlent ses aspirations idéologiques et esthétiques.

Outils de conception, elles peuvent intervenir au cours du processus créatif afin de permettre à l’artiste de comprendre ou d'élaborer son projet. Favela plan n°1 témoigne de sa fascination pour l’éternel cycle de construction et de déconstruction des favelas au Brésil. « Construites et démantelées, encore construites et démantelées, les favelas sont précisément ce que j’essaie de capturer dans mes installations, dit-il, elles font partie de la fibre véritable de la ville tout en se propageant à l’infini et organiquement (1)». De ces petites cabanes de planches au toit plat, Kawamata crée, à Kassel, lors de la Documenta 9, tout un village fantomatique - People’s garden. Véritable construction spatiale, la maquette posée sur une table et vue en plongée, apparaît comme un outil de scénarisation du réel, évoquant une expérience passée ou en devenir. Elle rend compte des dialogues et déplacements incessants dans l’oeuvre de Kawamata, entre construction et maquette. Il en est de même de la maquette de la Maison des squatters qui témoigne de la structure – véritable mouvement en expansion horizontale – que Kawamata et ses étudiants ont assemblé autour d’une maison à l’existence précaire. Ce « mouvement qui crée un autre et encore un autre » insuffle du désordre dans l’ordonnance du construit, et manifeste spectaculairement le refus de l’artiste pour toute situation figée. Aucune de ses oeuvres n’est en effet déterminée par des considérations d’achèvement ou d’inachèvement, mais par leur potentiel de mise en action au sein de l’espace.

Projection imaginaire, la maquette peut aussi être le simulacre d’un simulacre, reproduction d’un réel fantasmé. Une voie de mystère se dégage par exemple des Tree Huts de Bruges, ces habitations aériennes qui invitent à échapper à la réalité. Car chacune de ces cabanes est aussi, à l’évidence, un objet poétique, une forme brève, un haïku d’architecture en suspension. Là, elles prennent un statut de sculpture sans jamais perdre leur caractère de refuge.

Ainsi, Kawamata ne cesse-t-il de brouiller les frontières entre l’objet représenté et l’objet construit. Il crée des maisons qui ressemblent à des maquettes et réalise des maquettes qui ressemblent à des dessins. Toutes témoignent, par un jeu d’enchevêtrement de l’économie complexe et proliférante de son travail d’atelier mais aussi des rapports qu’il établit entre le faire seul et le faire collectif, entre son monde imaginaire et l’espace réel.

Mouna Mekouar

Notes

1 Marie-Ange Brayer, « Kawamata : Constructions Nomades », Kawamata, catalogue, Atelier Calder, Orléans ; CCC, Tours, 1994, p. 8.