Il y a les artistes que décrit le langage et il y a ceux qui décrivent la langue. Yazid Oulab est certainement de la seconde catégorie. Regarder son œuvre, c’est avant tout tendre l’oreille aux bruissements du dessin, au vacarme muet de la peinture et à la surdité certaine des premières écritures. Dessin, peinture ou sculpture tout a à voir avec la langue ou plus précisément avec le souffle des mots. C’est la quête première de l’artiste : réapprendre à parler, réapprendre à souffler pour réapprendre à écrire.

A la fin des années 1980, il quitte l’école des Beaux-Arts d’Alger pour rejoindre Luminy, l’école d’art de Marseille. Lors d'un voyage d’études à Düsseldorf, en 1988, une discussion avec un galeriste allemand le déstabilise. « D'où êtes vous ? » demande le galeriste, « quelle histoire avez-vous de la peinture ? Vous êtes un peuple des lettres et non des images. Ne craignez vous pas de singer à l’infini un art occidental loin de vous ? ». C'est à ces questions, aussi légitimes que tendancieuses, que l'artiste décide de répondre depuis plus de vingt ans. « De qui vais-je me réclamer ? » s'interroge Yazid.

Revenir à ses origines est une question trouble. Il entamera d’abord le voyage chez les Sumériens à la rencontre de l’écriture cunéiforme. Il fait de ses mains des Clous comme des Alif pour re-graver l’écriture. Il veut retourner aux origines et raconter de nouveau cette histoire. Dans sa quête des commencements naîtra un intérêt viscéral pour la philosophie du soufisme, pour la contemplation soufie, pour le silence soufi, pour la répétition soufie, pour la solitude soufie. C’est d’ailleurs la délicatesse et la profondeur du soufisme qui qualifient le plus justement ses dessins. Puis, il passera par la redécouverte de la calligraphie et de sa relation au souffle.

Mais il n'abandonne pas pour autant l'Occident, dont il fait un nouveau chez soi. Il s'entoure de quatre totems comme quatre points cardinaux : Paul Cézanne, à qui il emprunte la magie des formes simples, Antoni Tapies dont l'œuvre le libère du "beau", Joseph Beuys avec qui il assume le mysticisme comme manière d'être à l'art et William Turner dont il garde le mystère du paysage. Dans ce va-et-vient incessant du nord au sud, d’ouest en est, va naître une pratique de l’art à la fois obsessionnelle et libérée de toute contrainte mais avec une perspective : rejoindre les premiers sentiments de l’art.

Il faut se libérer de la peinture pour enfin peindre. Et c’est ce qu’il fera tout au long de ces années. Il imbibera des feuilles d’huile d’olive pour représenter la transparence. Epuisera les qualités du graphite qu’il utilise dans son état premier, parfois embouté à une perceuse pour réaliser un Noyau cosmique ou dilué pour « peindre au graphite ». Il questionnera l’effacement et la présence. Il y a même un Mur de l’effacement dans l’œuvre de Yazid. Mais il reste la peinture. Il faut bien y revenir. S’il garde à cette illustre pratique le même support, la toile et le châssis, il passe par un nouveau truchement pour que la couleur rejoigne la toile. Il va peindre au fil à plomb. De nouveau l’outil de l’ouvrier. « Chaque ligne est une série d’impacts sur la toile réalisés avec du fil à plomb imbibé de peinture ». Je lui demande de me montrer le procédé. Au premier geste, la peinture se révèle. C’est une question de musique. Ce sont des portées de musique. De manière classique à cinq lignes, parfois quatre lignes comme pour l’écriture du chant grégorien ou encore une seule ligne pour les instruments à hauteur unique. Des portées de musique sans notes, silencieuses donc. Beaucoup d’artistes ont tenté d’emprisonner le son. Nous connaissons le célèbre piano de Beuys emballé dans du feutre, nous voilà maintenant face à un peintre qui enregistre « sa musique » sur une toile avec les gestes délicats et certains d’un joueur de Qanun.

Texte de Abdelkader Damani