L’itinéraire artistique d’Amadeo de Souza-Cardoso est d’une grande densité et riche d’influences diverses et variées. En tant qu’artiste du XXe siècle, il s’est confronté aux différents mouvements en vigueur comme l’Impressionnisme, le Fauvisme, le Cubisme, le Futurisme, l’Expressionnisme – tout en prenant bien soin de ne se revendiquer d’aucune école afin d’établir sa propre modernité.

En dépit de sa mort prématurée, Souza-Cardoso fut un artiste prolifique dont les œuvres poignantes marquent un tournant considérable dans l’Histoire de l’Art portugais et offrent au public actuel, à travers son approche, un large panel testimonial de ce qu’a été le modernisme.

En 1887, Amadeo de Souza-Cardoso naît au sein d’une famille aisée – quoique nombreuse - à Manhufe, au nord du Portugal. Il y mène une enfance paisible mais se démarque rapidement de ses frères. Son caractère quelque peu impétueux et sa soif d’indépendance, le poussent un peu plus tard à s’opposer aux projections de son père quant à son avenir.

Ainsi, plutôt que de faire des études de droit il choisit dans un premier temps de travailler pour son parrain dans un magasin de confection, puis se tourne vers l’Art à la suite de sa rencontre avec le médecin-poète Manuel Laranjeira. Il s’essaye ainsi à la caricature, genre en vogue et dans lequel il progresse très vite. Par la suite, il suit des cours d’architecture à l’Académie des Beaux-Arts de Lisbonne, mais peu convaincu par l’enseignement, il décide de quitter le Portugal pour partir à la conquête de la France, car, dit-il, son « seul espoir reste Paris, le monde où les gens vivent, sentent, pensent, travaillent ». Il restera dès lors en rupture avec l’art tel qu’il est envisagé au Portugal.

Il arrive donc à Paris en 1906 et s’installe à Montparnasse, rue Denfert-Rochereau. Une fois établi dans la capitale, il tente d’entrer aux Beaux-Arts ainsi qu’à l’Académie Vitti du peintre catalan Anglada Camarasa, en faisant des classes préparatoires dans différents ateliers et académies. Ces efforts seront vains, car il ne sera jamais reçu dans ces prestigieuses écoles. Mais cela ne met aucun frein à son ambition.

Durant toute sa période parisienne (1906-1914) Souza-Cardoso apprend énormément en fréquentant les nombreux artistes qui résident à Paris et en allant régulièrement voir des expositions. Lors d’un séjour en Bretagne à Pont-l’Abbé en 1907, alors qu’il commence tout juste la peinture, il tombe sous le charme de l’œuvre de Gauguin qui s’avère fondamentale dans son assimilation de la peinture moderne, puis à son retour découvre Cézanne lors d’une rétrospective, et s’éprend de son pendant rebelle et de ses volumes.

En 1909, Amadeo fait la rencontre d’Amedeo Modigliani et ce dernier, à l’avant-garde moderniste, l’adoube et l’entraîne dans toutes les manifestations du genre. Ils organisent ensemble une exposition de leurs travaux dans le studio qu’ils partagent au 3, rue du Colonel-Combe : Modigliani expose ses sculptures et Souza-Cardoso ses aquarelles, et voient défiler de grands noms tels que Picasso, ou Apollinaire. Le succès est tel que Souza-Cardoso est reçu au Salon des indépendants et en 1911, il y expose plusieurs de ses peintures comme Lévriers dont l’évolution par rapport aux peintures précédentes, est palpable. En effet, les volumes et couleurs franches laissent place à une stylisation de l’espace et du dessin désormais majoritaire et inspiré de Modigliani.

En 1912 il fait un pas de plus dans cette voix et publie un album de dessins intitulé XX Dessins, dont les représentations oscillent entre thèmes légendaires folkloriques et symbolisme. Les dessins sont si détaillés qu’ils s’apparentent à des gravures. Le public est enthousiaste. Souza-Cardoso poursuit cette pratique et publie une reprise manuscrite et illustrée à forte présence héraldique de La Légende de St Julien l’Hospitalier de Gustave Flaubert.

Après cela, il retourne quelques mois au Portugal où il reprend la peinture des paysages de sa région et convoque la superposition de plans combinée à une dimension cubiste.

De 1913 à 1914, Souza-Cardoso se consacre aux expositions de ses œuvres. Il commence par une tournée américaine ; il expose à l’ « Armory show » à New York, à l’Art Institut à Chicago, et au Copley Hall à Boston. Après cela il expose en Allemagne à la fameuse Der Sturm à Berlin puis à l’École des Arts et Métiers de Hambourg.

Sa rencontre avec les Delaunay et notamment Robert Delaunay et son simultanéisme, vont donner une nouvelle dimension à son œuvre. Ainsi les tableaux créés après laissent voir une représentation du mouvement à travers le prisme de la lumière à laquelle s’ajoute la couleur pour donner de la profondeur, et l’insertion de cercles orphiques ; l’orphisme [1] étant l’héritage direct de la fréquentation des Delaunay qui en sont les fondateurs.

En 1914, il retourne définitivement au Portugal en raison de la Première Guerre mondiale. Cette période portugaise (1914-1918) se distingue nettement par l’énergie créatrice de l’artiste. Il poursuit son travail en s’inspirant plus fortement de Picasso et de l’italien futuriste Marinetti. En 1916, il n’achève pas moins de 114 tableaux qu’il montrera lors d’une exposition individuelle organisée par ses soins à Porto. Ceux-ci intègrent et allient des signalétiques, des trompe-l’œil, des objets du quotidien, des instruments de musique, des paroles de chansons populaires, sous la forme de collages. Le langage signifié par Souza-Cardoso devient pictural et accède à un sens nouveau sous le pinceau de l’artiste. Toutefois ces œuvres ne trouveront pas tout de suite l’approbation du public, et tendrons davantage à une animosité à l’égard du peintre dans son propre pays.

Il meurt en 1918, à seulement trente ans, de la grippe espagnole.

S’il est resté longtemps oublié, la redécouverte de l’étendue de son œuvre lors de l’exposition « Amadeo de Souza-Cardoso (1887-1918) » au Grand Palais, organisée par la Fondation Calouste Gulbenkian et la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, qui se tiendra du 20 avril au 16 juillet 2016, saura rendre justice à l’irréductible portugais.

[1] Orphisme: forme dérivée du cubisme qui privilégie l’abstraction et la lumière.