Il émane de l’art du Sud-Africain Robin Rhode une poésie particulière. À propos de ses œuvres, l’artiste évoque une « forme de théâtre » (a form of theatre), et plus encore une « sorte de cinéma vivant » (a kind of live cinema).

Devant la succession des photographies, laquelle décompose une action (celle d’un corps et de dessins qui se [dé]matérialisent peu à peu sur un mur), on songe en effet aux origines primitives du septième art dans les photogrammes d’Étienne-Jules Marey ou d’Eadweard Muybridge.

Mais plus encore, la narration fragmentée, le profil des corps, le rapport qu’ils entretiennent avec le mur, tout cela nous renvoie à une tradition bien plus ancienne de l’image, celle, notamment, des peintures égyptiennes. Chez Robin Rhode, le mur est un écran ouvrant sur un autre monde, voire une infinité d’univers parallèles.

Portes et fenêtres y sont un motif récurrent, ils permettent de pénétrer un espace en deux dimensions où les lois physiques et les rapports d’échelle qui régissent notre monde n’ont plus cours. Cet espace est bien celui du rêve, d’une projection onirique, de la matérialisation de pensées intimes à la dimension symbolique.Au rez-de-chaussée de la galerie du Pont de Lodi, Holy Key (2016) montre les affres d’un personnage qui se débat avec une clef gigantesque.

Tel Atlas portant le monde, et plus encore Sisyphe poussant quotidiennement son rocher, il tente désespérément de l’insinuer dans une serrure aux dimensions hors normes, par laquelle filtre une éblouissante lumière, signe d’un monde meilleur dissimulé derrière le mur noir opaque. Chacune de ses tentatives inscrit l’empreinte de la clef sur la paroi. D’un point de vue métaphysique, l’œuvre nous évoque la difficulté qu’on éprouve parfois à trouver une place en ce monde.

On pense alors à l’essai qu’Albert Camus consacra au mythe de Sisyphe : « Il faut imaginer Sisyphe heureux », conclut l’écrivain pour signifier que le héros grec, en dépit de son éternelle condamnation, demeure tout de même supérieur à son destin.Cette référence à la philosophie existentialiste en appelle une autre. L’exposition de Robin Rhode s’intitule « Force of Circumstance », d’après le livre LaForce des choses (1963) de Simone de Beauvoir, dans lequel elle raconte ses mémoires. Existentialiste, l’art de Robin Rhode l’est assurément, de manière allégorique.

Il met en scène une interaction entre des corps vivants, qui tentent de maîtriser les ressorts de leur destinée, et des objets inertes, à la fonction prédéfinie, mais que la magie de la chorégraphie et du dessin est susceptible de modifier poétiquement et irrémédiablement.Dans le sous-sol de la galerie, l’artiste rejoue sur un mode inédit une performance réalisée en 2016 au SCAD Museum of Art (Savanah College of Art and Design), en Géorgie (États-Unis). Des objets peints en noir (chaises, bicyclette, porte-manteau) sont accrochés sur le mur. L’artiste plonge son corps dans une baignoire emplie d’encre, puis se saisit des objets afin d’imprimer leur trace. Tout l’œuvre de Robin Rhode est parcouru par un art du contraste , du paradoxe et de l’antagonisme – négatif/positif, planéité/profondeur, abstraction/réalisme –, où les puissances de la pensée et de l’imagination permettent de voyager d’un extrême à l’autre._

Robin Rhode est né en 1976 à Cape Town (Afrique du Sud). Il vit et travaille à Berlin (Allemagne). Il a présenté de nombreuses expositions personnelles et collectives dans de prestigieuses institutions à travers le monde : le Haus der Kunst, Munich ; le Los Angeles County Museum of Art ; le Museum of Modern Art, New York ; la National Gallery of Victoria, Melbourne ; le Hamburger Bahnhof-Museum für Gegenwart, Berlin;le Centre Pompidou, Paris ; le Wexner Center for the Arts, Columbus ; la Hayward Gallery, London. Il a participé à la 51ème Biennale de Venise, la Biennale de Sydney et la Biennale de New Orleans. Ses oeuvres font partie de maintes collections publiques : le Centre Pompidou, Paris; la Julia Stoschek Collection, Düsseldorf ; Louis Vuitton Moet Hennesy (LVMH), Paris ; la National Gallery of Victoria, Melbourne; le Solomon R. Guggenheim Museum, New York ; le Museum of Modern Art (MoMA), New York ; le Walker Art Center, Minneapolis.