La Galerie Nathalie Obadia est très heureuse de présenter The mummy, the astronaut and other works, la deuxième exposition personnelle de Jorge Queiroz à Bruxelles.

Né en 1966 à Lisbonne, le peintre et dessinateur portugais est reconnu comme l’un des artistes les plus importants de sa génération. Fort d’une solide formation académique (diplômé d’un Master of Fine Arts à la School of Visual Arts de New York, 1997-1999 ; et résident à la Künstlerhaus Bethanien de Berlin en 2004), Jorge Queiroz a le double talent de s’ancrer dans une tradition picturale classique, et d’œuvrer au renouveau de la peinture contemporaine, dans la lignée des grands peintres du XXème siècle. Grâce à sa formation aux États-Unis, puis en Allemagne, Jorge Queiroz s’inscrit aussi bien dans la veine de l’école allemande, que dans celle des écoles américaine et anglaise. Ses œuvres, dont l’univers foisonnant et singulier frise la frontière entre figuration et abstraction, font ainsi écho à des artistes consacrés tels que Markus Lupertz, Per Kirkeby ou encore Albert Oehlen ; et Georgia O’Keeffe et Peter Doig, qui, avec David Hockney, sont les chantres du paysage mystique moderne et contemporain.

Avec sa nouvelle exposition, The mummy, the astronaut and other works, Jorge Queiroz présente une vingtaine d’œuvres inédites. De l’ensemble, se dégage un plaisir de peindre manifeste et communicatif. Le pinceau généreux de l’artiste est gourmand. Il avale chaque centimètre carré de la toile sans laisser de place au vide. La peinture est partout. Elle ruisselle en cascade, grimpe aux falaises, plonge dans des failles terrestres ou marines, emprunte des réseaux souterrains pour rejaillir en surface et s’évaporer dans des lacs intérieurs. Des îles affleurent dans ces mers d’huile matérialisées par d’intenses aplats de couleurs. Ceux-ci sont autant de respirations nécessaires à l’éclosion de la vie dans les tableaux de Jorge Queiroz. Elle se manifeste par de rares silhouettes faisant des apparitions furtives, un peu comme un mirage flotte à l’horizon. Cette présence humaine a quelque chose de rassurant. Elle prouve que la nature dépeinte ici n’est pas hostile. Elle a beau être accidentée, voire tourmentée par endroits, elle est propice à l’épanouissement de la vie qu’elle soit naturelle ou fantastique.

On entre dans la peinture de Jorge Queiroz par des voies multiples et variées, qu’elles soient esthétiques ou spirituelles, à la manière des peintures médiévales de Rogier van der Weyden et de Jérôme Bosch dont les chefs-d’œuvre ont irrigué l’art ibérique depuis leur arrivée dans la péninsule au XVIème siècle. Comme les tableaux religieux de ces maîtres anciens, les œuvres de Jorge Queiroz exigent, de la part du spectateur, de prendre le temps de les observer. La contemplation qu’elles impliquent permet non seulement d’emprunter les chemins labyrinthiques qui s’offrent à nous et de serpenter ainsi entre matières, surfaces et couleurs ; mais aussi de glisser subtilement du terrestre au surnaturel, du temporel au spirituel, avec son œil et sa propension au rêve pour seul véhicule. Cette exploration de la peinture et des mystères qu’elle recèle s’inscrit donc dans un temps long. Cette dimension temporelle qui irrigue la peinture de l’artiste suscite chez le spectateur un état méditatif analogue à celui ressenti devant les œuvres d’Eugène Leroy qui était parvenu, avant Jorge Queiroz, à inscrire dans l’épaisseur de la matière les arcanes de sa psyché.

Les paysages de Jorge Queiroz ont une topographie bien à eux qui tient sans doute plus du rêve que de la réalité. Arpenter ses reliefs imaginaires, s’y perdre ou tenter d’y reconnaître des formes animales, minérales ou végétales suppose une démarche active plébiscitée par l’artiste lui-même: « Chaque tableau contient une multiplicité de scènes qui se rattachent toutes à un moment, ou à une portion d’espace. La difficulté est de pouvoir trouver le lien qui organise, qui donne un plan de consistance à tous ces éléments hétérogènes. C’est pourquoi celui qui regarde mes œuvres doit être prêt à le faire de façon active ». Le spectateur y est invité par l’exposition elle-même car Jorge Queiroz la conçoit comme « une scène dynamique » où « chaque œuvre vit et crée des relations entre elles ». Cette trame narrative entre les œuvres procède d’une construction qui reste énigmatique pour le peintre qui confesse ne vouloir atteindre aucun objectif précis quand il crée mais plutôt « répondre à des prémonitions » ou « faire écho à un appel ».

On imagine fort bien Odilon Redon adopter, en son temps, une attitude similaire au commencement de ses œuvres. Comme celles du peintre symboliste du XIXème siècle, les peintures de Jorge Queiroz sont teintées d’une poésie mystérieuse qui invite à la mélancolie. Ses œuvres font également preuve des mêmes audaces chromatiques qui témoignent d’un rapport dionysiaque à la peinture. L’ivresse et l’irrationnel correspondent parfaitement à la profusion des détails, et à la dimension fantastique, qui caractérisent l’univers de Jorge Queiroz. Toutefois, celui-ci ne peut s’épanouir tout à fait sans une recherche d’équilibre entre les éléments formels et spirituels qui le composent. Friedrich Nietzche, suivant son récit philosophique sur la Naissance de la Tragédie (1872), aurait assimilé cette aspiration à l’ordre et à la stabilité avec la part apollinienne présente dans l’œuvre de Jorge Queiroz. Comme les tragédiens grecs avant lui, le peintre portugais situe sa quête artistique entre les deux attirances contraires que sont l’équilibre et le chaos.