La Galerie Nathalie Obadia est très heureuse de présenter Intérieurs, la troisième exposition personnelle de Sarkis à Paris, après Il Grido en 2016 à la galerie de Bruxelles. En invitant le peintre Eugène Leroy (1910-2000) dans un accrochage qu’il a conçu et mis en scène, Sarkis confronte son travail à celui du maître dont il considère l’oeuvre comme absolument indispensable. Si l’oeuvre d’Eugène Leroy a bénéficié d’une attention croissante ces 20 dernières années auprès de la scène contemporaine internationale, Sarkis déplore que le génie du peintre ne soit pas encore reconnu sans détours comme l’une des figures artistiques les plus importantes du XXème siècle.

Déjà en 2012, dans l’exposition rétrospective Hôtel Sarkis que le MAMCO à Genève consacrait à Sarkis, l’artiste convoquait près de 70 artistes (architectes, écrivains, cinéastes, peintres, compositeurs) parmi lesquels John Cage, Andreï Tarkovski, Joseph Beuys, Edvard Munch, Sergueï Paradjanov, Arnold Schönberg ou Matthias Grünewald. Ces «collaborations» faisaient alors fi de la distance qui isolait chaque oeuvre dans un temps et un espace cloisonné, pour favoriser des mises en dialogue au présent à comprendre comme des «inspirations revendiquées et amitiés célébrées». Aussi complexe que le corps d’un tableau d’Eugène Leroy, l’exposition présente ici un ensemble d’une quarantaine d’oeuvres et a véritablement été pensée comme un intérieur - un banc, des étagères et des verres d’eau sont disposés dans chaque pièce de la galerie.

L’exposition évoque d’abord la notion d’accumulation qui se manifeste diversement chez les deux artistes. Chez Eugène Leroy elle émerge de la géologie de la matière qui s’accumule sur la toile, évoquant le corps du peintre qui sculpte la densité de la peinture à l’huile et fait surgir les figures représentées. C’est toujours cette même matière, sans corps étranger invasif, sans farces et sans manières qui se donne à voir complètement, comme agrégat signifiant. Véritables trésors, comme de grandes Ikones où toute la matière constitutive est nécéssaire, ces peintures jalonnent l’espace comme des bornes, des repères sensoriels dans l’accrochage de Sarkis. Fusionnant les héritages les plus divers, de Rembrandt à Malevitch, de Giorgione à Mondrian en passant par Jean Fautrier et Vincent Van Gogh, Eugène Leroy explore les multiples possibilités de la matière, avec le déploiement d’une science des empâtements qui confère un relief incomparable à ses peintures.

Point de digressions non plus dans l’accumulation d’oeuvres aux techniques différentes dans l’oeuvre de Sarkis. Le Film N°171 «pour Eugène Leroy» est réalisé sans montage, tandis que les huiles sur papier laissent croître sous nos yeux la tâche d’huile qui s’imprègne, modifiant progressivement l’aspect et la couleur, façonnant l’oeuvre sans notion d’une quelconque durée déterminée. Point d’artifices non plus ni de systématismes, tout est simplement à découvert avec bienveillance et une certaine quiétude, dans la multiplicité des médias que l’artiste emploie dans Intérieurs ; notamment avec des vitraux touchés, du bois doré à la feuille et des bandes magnétiques, des néons, des céramiques en Kintsugis, des impressions sur papier, une image extraite du film de Volker Schlöndorff «Les désarrois de l’élève Torless», une vidéo comme un tableau et de la musique d’Anton Webern, du cuivre, de l’aquarelle séchée, un rouleau de papier bulle et des palettes en bois, du rouge à lèvres, du goudron noir et du tulle rose, une pierre fossilisée de 150 millions d’années et un témoin des fréquences cardiaques de l’artiste, un séchoir à dessin en métal, un pupitre et deux cadres Art Nouveau avec miroirs, une tunique de la styliste japonaise Tsumori Chisato et une côte de maille, des huiles parfumées et de la porcelaine, un masque africain, du riz, des plans de monastères et églises arméniennes du VIIIème au XIIème siècle, de l’aquarelle et des petites Ikones.

Alchimistes dans l’antre de leurs ateliers, lieux de repli, de recharge, de concentration (Sarkis reproduit d’ailleurs ici celui d’Eugène Leroy), les deux artistes portent une attention décisive à la perception de la lumière, comme clé de voûte de leurs représentations. Si les contours semblent niés en peinture par Eugène Leroy pour mieux forcer l’attention de celui qui est volontaire pour regarder, pour voir ; Sarkis met en oeuvre des passerelles entre différentes temporalités, différentes cultures et différentes sensibilités, des mises en scène protéiformes qui se nourrissent de références pour construire un pont entre les oeuvres du passé et le monde contemporain. Chacune à sa manière, ces oeuvres témoignent de profonds humanismes qui se révèlent - en ces périodes troubles, remarquablement nécessaires.

Eugène Leroy est né à Tourcoing en 1910 et décédé en 2000 à Wasquehal.

Malgré ses participations remarquées à la Biennale de Sao Paulo en 1990 et à la Documenta de Kassel en 1992, son oeuvre reste longtemps méconnue en raison de sa singularité. Elle fait l’objet d’une véritable relecture depuis le début des années 2000 de la part des institutions, du marché, et d’une nouvelle génération d’artistes, aux premiers rangs desquels se trouve le peintre allemand Georg Baselitz qui contribue à la nouvelle reconnaissance de son oeuvre.

Né en 1910, Eugène Leroy consacre tout son temps libre à l’exercice du dessin et de la peinture et découvre la peinture à l’huile en 1927 qu’il définira comme « l’accès à une volonté de bonheur». Il poursuit cette «quête de la peinture» au quotidien dans son atelier, entame en 1931 de courtes études à l’école des Beaux-Arts de Lille qu’il continue ensuite à Paris. Il se marie en 1933 et s’installe en 1935 près de Roubaix où il enseigne le grec et le latin, parallèlement à sa carrière de peintre. Eugène Leroy bénéficie de sa première exposition à Lille en 1937 à la galerie Montsalut et rencontre en 1943 le critique Gaston Diehl qui organise sa première exposition à Paris.

Entre 1946 et 1948, il réalise une peinture murale de près de 27 m2, intitulée Crucifixion, pour la chapelle du collège Notre Dame des Victoires de Roubaix, et rencontre en 1951 le marchand Pierre Loeb qui lui achète une dizaine de toiles. L’année suivante, il voyage en Italie et en Allemagne. Il expose en 1954 à Paris avec Sam Francis et Serge Poliakoff, et Marcel Pouget à la galerie Art Vivant et bénéficie en 1956 de sa première exposition au musée de Tourcoing, puis en 1957 au musée de Dunkerque et reçoit le prix Emile-Othon Friesz. Eugène Leroy réalise les vitraux de l’église Notre-Dame-des-Flots de Dunkerque en 1959 puis expose ses oeuvres au sein de la Galerie Claude Bernard de 1961 à 1963 : Georg Baselitz y découvre et collectionne son travail. L’artiste débute son oeuvre gravée en 1964 tandis que ses premières gouaches et acryliques sur grands papiers datent de 1967. Il participe au salon de Mai de 1956 à 1970 à Paris et par deux fois au salon des Réalités Nouvelles en 1973 et 1976. En 1972, voyageant à New York et à Washington, il est très impressionné par l’oeuvre de Mark Rothko. En 1977, François Mathey présente son travail à l’École des Beaux-arts de Lille. La galerie K de Washington (USA) le présente, puis le Museum van Heidenhaage Kunst de Gand, en Belgique en 1982. Le galeriste allemand Michael Werner, ami et marchand des peintres allemands Baselitz et Markus Lüpertz, devient son agent, et organise des expositions en Allemagne, Autriche, Belgique, Grèce, aux États-Unis.

La dernière décennie de la vie d’Eugène Leroy - de 1990 à 2000 est capitale puisque l’artiste voit son oeuvre accéder à une reconnaissance internationale. Celle-ci s’illustre notamment par la rétrospective du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1988 et par les participations consécutives d’Eugène Leroy à la Biennale de Sao Paulo en 1990 et à la Documenta de Kassel en 1992 tandis que l’artiste poursuit sa trajectoire personnelle, résolument en marge des tendances dominantes de l’époque. S’en suivront deux rétrospectives majeures au Musée d’art moderne de Nice en 1993 et au Kunstverein de Düsseldorf en juillet 2000, trois mois après le décès de l’artiste dans sa maison-atelier de Wasquehal. Il participe également à la Biennale de Venise en 1995, et reçoit le Grand prix national de Peinture en1996.

En 2010, à la suite d’une importante donation des fils de l’artiste, le MUba-Eugène Leroy de Tourcoing présente L’Exposition du Centenaire, la plus importante rétrospective consacrée à l’artiste, accompagnée d’une monographie de référence et en 2013 l’exposition Georg Baselitz- Eugène Leroy : le récit et la condensation, grand succès critique et public.

Les oeuvres d’Eugène Leroy figurent dans de nombreuses collections privées et publiques prestigieuses parmi lesquelles celles à l’étranger du Stedelijkmuseum (Amsterdam, Pays-Bas), du Smithsonian Institution, Hirshhorn Museum and sculpture garden (Washington D.C, USA), de la Kunsthalle de Bâle (Suisse), du Musée Berardo (Lisbonne, Portugal), du Ludwig Museum (Cologne, Allemagne), de l’Albright-Knox Art Gallery (Buffalo, New York, USA), du Van Abbe Museum (Eindhoven, Pays-Bas), du Musée Staedel (Frankurt-am-Main, Allemagne), du Louisiana Museum of Modern Art (Humlebaeck, Danemark), de la Kunsthalle de Karlsruhe (Allemagne), de la Collection Rennie (Vancouver, Canada), la collection Ploner (Vienne, Autriche) ; et parmi lesquelles en France, de la Fondation Maeght (Saint-Paul de Vence), le Centre Pompidou (Paris), le Musée d’art moderne de la Ville de Paris (Paris), le FNAC (Paris), les FRAC Nord Pas-de-Calais, Auvergne, Ile de France, le Musée d’art moderne et contemporain de Toulouse, le Musée des Beaux-arts de Lyon.

Né en 1938 à Istanbul, Turquie, Sarkis vit et travaille à Paris depuis 1964.

Sarkis étudie le français, la peinture et l’architecture intérieure avant de s’installer à Paris en 1964. En 1967, il remporte le prix de peinture de la Biennale de Paris. La même année au Salon de Mai, Sarkis présente Connaissez-vous Joseph Beuys ? référence à l’artiste allemand qu’il considère comme le plus important de son époque. En 1969, il est invité par le critique Harald Szeemann à participer à l’exposition désormais célèbre Quand les attitudes deviennent formes à la Kunsthalle de Bern. La transmission et l’enseignement sont également au coeur de ses préoccupations. De 1980 à 1990, il dirige le département Art de l’École des arts décoratifs de Strasbourg et de 1988 à 1995, il devient directeur du séminaire à l’Institut des hautes études en arts plastiques créé par Pontus Hulten.

Son oeuvre a été exposée dans de prestigieuses institutions internationales parmi lesquelles le Centre Pompidou, le Guggenheim Museum (USA), l’Istanbul Modern (Turquie), le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, le Kunst-und-Ausstellungshalle de Bonn (Allemagne), le Louvre, le Musée Bode (Allemagne), la Kunsthalle de Bern (Suisse), et la Kunsthalle de Düsseldorf (Allemagne) ; ainsi que dans des expositions de références telles que les Documentas VI et VII (Allemagne), et les Biennales de Venise (Italie), Sydney (Australie), Shanghai (Chine), Sao Paulo (Brésil), Moscou (Russie) et Istanbul (Turquie). Il représente en 2015 le Pavillon de la Turquie à la 56ème Biennale de Venise, et participe la même année à l’exposition de la République de l’Arménie qui remporte le Lion d’Or.

En France, l’oeuvre de Sarkis a bénéficié de nombreuses expositions personnelles importantes, notamment au Musée du Château des Ducs de Wurtenberg (Montbéliard) en 2014, au Château d’Angers en 2012, au Château de Chaumont-sur-Loire en 2011, au Centre Pompidou (Paris) en 2010, 1993 et 1979, au Musée Bourdelle, au Musée du Louvre et à la maison rouge (Paris) en 2007, au Musée Picasso (Paris) en 2003, au Musée d’art contemporain de Lyon, au Musée d’art moderne de Céret, à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2002, au CAPC de Bordeaux en 2000 et 1976, au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg en 1998 et 1988, au Musée des Beaux-Arts de Nantes en 1997, au Magasin de Grenoble en 1991, à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Limoges en 1986, au Nouveau Musée de Villeurbanne en 1985, à l’ARC - Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1984, au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne en 1974, au Musée Galliera (Paris) en 1973, le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1970 avec Christian Boltanski.

En 2010, dans l’exposition Passages au Centre Pompidou, les créations de Sarkis entrent en conversation avec les oeuvres de Kasimir Malevitch, le mur de l’atelier d’André Breton ou Plight de Joseph Beuys, l’une des figures tutélaires de Sarkis avec le cinéaste Andreï Tarkovski, dont l’artiste réinvestit un film dans l’atelier de Brancusi. Ces oeuvres qui convoquent le KRIEGSSCHATZ (trésor de guerre) de l’artiste, sont composées d’objets trouvés, d’oeuvres d’art ou d’objets ethnographiques, issus de différentes civilisations. Le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Genève (MAMCO) lui consacre en 2011 une importante rétrospective intitulée Hôtel Sarkis. Cette présentation sur quatre étages rassemblait 200 pièces datées de 1971 à 2011 et donnait à voir les différentes pratiques de l’artiste, démultipliant la résonance d’une oeuvre réalisée en regard d’autres créateurs. Invité par le Musée Boijmans van Beuningen à Rotterdam en 2012, il présentait Ballads dans les 5000 m2 du Submarine Wharf et expose la même année au Château de Chaumont sur Loire, à la suite d’une commande de la région Centre, ainsi qu’à la Triennale Intense Proximité au Palais de Tokyo. En 2013, Sarkis participe à When attitudes become form, Bern 1969/Venice 2013 pour la 55ème édition de la Biennale de Venise à la Fondation Prada, présente Passages Croisés en or, au Château d’Angers, est invité à présenter la Frise de Guerre au MONA - Museum of Old and New Art en Tasmanie et participe à Ici, Ailleurs à l’occasion de Marseille - Provence, Capitale Européenne de la Culture, ainsi qu’à l’exposition Modernity? Perspectives from France and Turkey, au Istanbul Modern. En 2014, il expose au Huis Marseille Museum voor Fotografie à Amsterdam et son oeuvre est présentée en trois lieux : au CIAC, MNAC et au Musée du Paysan à Bucarest en Roumanie tandis que le Musée du château des ducs de Wurtemberg à Montbéliard lui consacre également une exposition personnelle. En 2015, il réprésente la Turquie à la Biennale de Venise et participe à Armenity, pour le Pavillon de la République d’Arménie qui remporte le Lion d’Or, et bénéficie d’une exposition personnelle à la Fondation Boghossian à Bruxelles, expose au MAXXI à Rome. En 2016, son travail est notamment présenté au Grand Palais, au Singapore Museum, au Muba Tourcoing, à la CaixaForum de Barcelone et une exposition personnelle lui est consacrée au Musée Zacheta à Varsovie en 2017. Le Musée des Pêcheries de Fécamp l’a invité à intervenir pendant l’été 2018, à l’occasion de sa réouverture.

Les œuvres de Sarkis sont présentes dans de nombreuses collections publiques de renommée internationale telles qu’à l’étranger le Landes Museum (Allemagne), le Museum Boijmans van Beuningen (Pays-Bas), le MAMCO (Suisse), le Museu Serralves (Portugal), Istanbul Modern (Turquie), le Centre d’art et de technologie des médias - ZKM (Allemagne); et en France le Centre Pompidou, le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, le Musées du Château des Ducs de Wurtemberg, le Musée d’Art Moderne de Saint-Étienne, les Musées de la Ville de Strasbourg, le CAPC de Bordeaux, le Musée d’Art Contemporain de Lyon, le MAC/VAL, le Musée des Beaux-Arts de Nantes, le LAM, le Château de Chaumont-sur-Loire, l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne/Rhône-Alpes, les FRAC de la Loire, du Poitou-Charentes, de Bretagne, d’Alsace, d’Auvergne, de Lorraine, d’Aquitaine, de Franche-Comté, du Languedoc-Roussillon, du Nord-Pas-de-Calais, et d’Île-de-France, le CNAP (Paris), ou la Collection Départementale de Seine-Saint-Denis.