Le gris omniprésent qui soutient les peintures de Jasmine Wallace est celui de la ville. Un gris qui évoqua à Charles Baudelaire les images de ses poèmes. Il y décrivait de sinueuses rues, du ciel bas et lourd et du charme triste des nuages gonflés d’eau. Ce gris qui serait presque celui des limbes, menaçant, triste et froid, est tout autre dans la peinture de Jasmine Wallace. Pour elle, il est dynamique, enveloppant, inspirant. Il est la couleur de la ville, celle qui, bétonnée, permet aux tours de monter au dessus des toits ; celle qui rappelle les croisements des réseaux routiers, amoureusement emmêlés et prometteurs d’évasion ; celle des tuyaux qui découpent les maisons et celle des fils électriques qui promettent la lumière. Par touches, d’autres couleurs émergent. Elles rappellent un coin de ciel bleu, une affiche que la pluie a délavée, l’arc-en-ciel que révèle une goutte d’essence diluée sur le goudron… Du blanc au noir en passant par le rose, le vert et le bleu, le gris se fait doucement boueux et se contraste dans un maillage géométrique. Les lignes se croisent et se toisent. Elles se chevauchent, s’attacher et se repoussent. Ce labyrinthe urbain pourrait aussi bien être une carte, que l’agrandissement d’un détails de mortier. Les couleurs se jouent des lignes. Un peu comme si l’on retrouvait l’empreinte qu’un ouvrier de chantier avait laissée sur l’assise d’un échafaudage. La boue mêlée au ciment laisse l’ombre de son passage.

Jasmine Wallace, canadienne, puise son inspiration des villes du nord, de ses couleurs et des lignes qu’elle offre. Les espaces sous terre que les hommes ont creusés pour s’abriter du froid (métro, galeries souterraines) et la manière dont ils ont créé leurs infrastructures, la fascine. Cette impulsion de vie qui transpire du béton, ces constructions et les déconstructions qui se forment, enrichit le geste de l’artiste. L’Histoire urbaine, relativement nouvelle du Canada, n’est certainement pas pour rien dans cette fascination. A contrario d’un lourd patrimoine établi depuis de longs siècles sur les territoires européens, la rapidité de modulation des villes canadiennes permet d’immenses changements. Après qu’aient chanté les marteaux-piqueurs et qu’aient dansé les grues, des bâtiments sortent de terre. Mais il arrive parfois que ces effusions se tarissent. Les bâtiments sont abandonnés, des plans de constructions sont interropu. Dans ces espaces vides peut se lire l’écriture contemporaine des ruines. Ces endroits témoignent d’un temps révolu ou qui n’a pas existé. Et pourtant, une nouvelle vie apparaît dans ces espaces de non-lieu. Les murs sont tagués et les pièces sont squattées. Comme l’écosystème naturel qui ne laisse aucune possibilité au vide, l’homme investit chaque parcelle de la ville.

Cette idée d’adaptabilité, de cycle, se retrouve dans la création de la toile. Chaque marque de vie, chaque étape, participe de la construction. Évolutive, la ville s’inscrit dans une boucle qui s’enroule à l’infini. C’est pour mettre en lumière ces échelons que Jasmine Wallace laisse visibles les marques sur la toile. Comme se construit une ville, avec des schémas très clairs ou des zones d’ombre, avec des maillages simples et d’autres alambiqués, l’artiste tisse ses œuvres. Le processus s’établit par la stratification répétitive des formes et des structures, dans une accumulation. Ce qui sous-tend dans ces peintures, c’est bien que l’on ne bâtit ni avec rien, ni sur rien. La liberté de construction est totale. Elle permet d’envisager d’immenses possibles et c’est d’ailleurs pour cela que Jasmine Wallace semble avoir choisi l’abstrait.