On ne part pas. — Reprenons les chemins d'ici, chargé de mon vice, le vice qui a poussé ses racines de souffrance à mon côté, dès l'âge de raison — qui monte au ciel, me bat, me renverse, me traîne. La dernière innocence et la dernière timidité. C'est dit.

(Arthur Rimbaud)

L’œuvre de Sénéca est instinctivement reconnaissable et par sa force aboutie ne ressemble à aucune autre. Oui, ou plutôt l’œil qui s’y est retrouvé l’a aperçue chez beaucoup d’autres et à travers soi par analogies simplistes (je parle des miennes j’ai le droit) comme si l’artiste avait percé quelque chose de la nature même, universelle, qui parle si on est prompt à l’entendre. Rassurez-vous la surdité n’empêche pas l’écho intérieur. Son dessin, sa peinture, sa gravure sont autant de portes sur une quête de sens (à l’écoute des sens) ; l’essence jalonnée de la démarche de l’homme en noir.

Tout au long de son travail Sénéca a cherché à dire différemment : Un homme ne pouvait plus figurer comme sous De Vinci, il a donc choisi la métaphore d’une mentalisation de l’Homme et la tache, comme une semence, est devenu le point de départ d’une multitude de formes au croisement du monde psychique et du monde physique évoluant au gré de la matière et des techniques, pour fonctionner en autonomies propres.

Ici l’œuvre ne naît pas ex nihilo mais plutôt ex libido. Tout vient du désir de la tension, de ce geste qui retrace les vestiges du ou des corps fantasmés dans la mécanique chimique du rêve. Son art profile et confronte la transcription d’un langage de l’inconscient sur le monde qu’il perçoit au travers du corps – symbole de tous les symboles existants ou possibles –. De sorte que si pour l’enfant la libido se « satisfait dans le morcellement anarchique de son propre corps » elle devient ordre symbolique et stylisée chez l’artiste qui comprend son Moi poreux (peureux ?) comme un Autre soi et un monde en soi, pour soi et pour l’Autre.

La création de ces électrons libres au noyau-ombilic est le fruit d’un travail monstre de Sénéca. A la manière d’un puzzle décortiqué, l’artiste questionne le corps Sujet, sous-jaillissant de la matière même elle aussi réinventée. Une matière-utérus incarnée au début de sa recherche par la plaque de cuivre servant à l’eau-forte, attaquée par la morsure magique de l’acide, puis par la plaque de bois, explorée, creusée, grattée. Elle apparaît aussi dans la fluidité de l’encre-lit liant, ancrant l’échappée nébuleuse, et comme substance colorée picturale d’où la lumière fait miraculeusement signe et fascine.

Chacune des techniques qu’il emploie est perfectionnée, mesurée, au travers du geste appliqué, impliqué dans le domaine du sensible, jusqu’à atteindre une osmose galvanisée de tous ces procédés dans ses derniers monotypes. Tout y est colossal et microcosme, tout y est nouveau et familier.

Une myriade d’objets, de contenants et contenus font Pensées à la contemplation de chaque forme révélée. On y voit des artères, des varices, une aorte, des parois osseuses, des boyaux, des intestins, des filaments, des nervures, du couillu, des circuits, du tissu, des sécrétions, du pointu, des vulves, des méninges, du chlore, du génome, des coïts, des visages, une articulation, des acidités, du nu, des coulées, du cytoplasme, du souffre, du phosphore, des vagues, de la flemme, des embruns, de l’iode, de l’opacité, de l’endimanché, de la transparence, de l’acharnement, de la chair, de la peau, des chibres, des fibres, des ovules, des trous, des cils, des muscles, des biles, des bulles, du savon, du solvant.

Ou rien du tout pour qui s’en fout. L’éclaboussure, c’est pourtant bien par-là que tout commence et sème le sens au point d’être tout à fait perdu. Heureusement, les métaphores de Sénéca sont à l’âme comme des cailloux qui ponctuent la route vers l’Inconnu qui somnhomme.