Personnage théâtral essentiel de la Comedia dell’Arte, Arlecchino fait son apparition au 16ème siècle dans l’Italie renaissante. Son costume en losange évoque à la fois les différentes facettes de sa personnalité, mais aussi ses multiples compétences et territoires d’intervention. L’assemblage de ces empiècements colorés indique également la possibilité d’une approche globale, représentant Arlequin comme un touche-à-tout décomplexé.

Karina Bisch transforme cette figure en la féminisant puis, en l’incarnant, produit un avatar métaphorique d’une position d’artiste pluridisciplinaire.

Ainsi l’œuvre de Karina Bisch peut s’appréhender comme un théâtre total, où Arlequine est à la fois protagoniste et prétexte. Ce personnage fictif est tant le support d’une mise en scène de soi et de ses proches, que le prétexte à explorer le contexte théâtral de la situation : les décors, les costumes, le public, les « moments », voire les livrets. C’est ainsi que cohabitent peintures, performances, éditions, etc. évoquant les situations modernes du début du XXème siècle, lorsque la Baronne d’Oettingen (se dissimulant sous le nom d’artiste de François Angiboult) met en scène Les Mamelles de Tiresias d’Apollinaire ou quand Sonia Delaunay développe l’orphisme pour tenter d’intégrer la peinture à une situation globale. Ces avant-gardes et leurs propres projets fonctionnels ou ludiques, désiraient intégrer l’artiste au monde industriel et l’extraire d’un académisme bourgeois vieillissant. Cela permet alors aux artistes d’étendre leurs interventions à l’ensemble social et de construire une position transversale et pluridisciplinaire. Il ne s’agit plus de commenter et représenter, mais de prospecter différents futurs possibles, où l’art aurait une fonction centrale et décloisonnée évacuant toute hiérarchie dans les pratiques.

Ainsi, l’ensemble des approches de Karina Bisch pourraient être dissociées, et évoluer de manières autonomes. Toutefois cette exposition Les Figures et les Formes aborde cet univers par la facette « peinture » d’Arlequine car elle est fondamentale. Il ne s’agit pas simplement d’un fragment d’une pratique mais d’une entrée évidente vers cette scène élargie (les titres de ces œuvres n’étant pas « Les Tableaux Vivants » ?). Karina Bisch se positionne avant tout comme peintre, intégrant l’ensemble des contingences de l’atelier, de l’artisanat, du temps, des matières, des « ouvrages ». Ces peintures jouent de l’espace du tableau et de l’atelier tout en explorant l’histoire de l’art. De nombreuses citations, de reprises de motifs, de compositions, témoignent d’emprunts aux avant-gardes historiques sur le ton de l’Arlequin : grave et facétieux. Ces « espaces-peints », se construisent parfois comme des systèmes. Ils peuvent être clos dans l’idée d’une composition cadrée (et parfois même encadrés), ou à l’inverse, par l’usage de motifs et leurs répétitions, s’étendre en série de tableaux, échappant même au châssis pour intégrer le quotidien (« Painting for Living », série de foulards, de robes ou de bracelets).

« La synthèse serait le moyen de rendre la peintre visible » (Karina Bisch, 2018), c’est ainsi que pour cette première exposition à la galerie Thomas Bernard - Cortex Athletico, les 7 œuvres présentées sont des tableaux autonomes, des combinaisons ou des échantillons, permettant d‘appréhender le travail de Karina Bisch sous l’angle de la peinture. Cet ensemble reprend les invariants modernes (la grille, l’abstraction, la couleur, la composition), tout en les décalant, intégrant les biais, les coulures, la matière, la broderie.

Une poupée de taille adulte, elle-même rapiécée en patchwork, devient personnage de peinture. Sophie Taueber trouvait dans les poupées Kachina des cérémonies hopis un véritable rôle dans son œuvre. Elles étaient censées posséder les qualités et les défauts des êtres humains. Ainsi ALPHA est à la fois actrice et spectatrice de cette exposition théâtrale, et indirectement vient réactiver les peintures vivantes.