Depuis une vingtaine d’années, le corps, l’écologie et la technologie ont occupé une place centrale dans le travail plastique de Davide Balula. Qu’il s’agisse de collecter des sédiments et organismes au fond des rivières, de créer des antennes wifi qui émettent des signaux monochromes ou d’installer des lampes chauffantes pour amplifier la température du corps du public d’une exposition, les questions matérielles et immatérielles ont toujours été au coeur de sa réflexion. Le prosaïque n’étant jamais opposé au poétique.

C’est avec les œuvres les plus éphémères de Balula que le territoire du corps humain a été le plus exploré. L’appareil digestif, le système musculaire, la relation du corps à l’architecture ou à son environnement ont fait l’objet de nombreuses performances —mouvement, musique improvisée, experiences comestibles, pyrotechnie, etc.

Pour sa 5e exposition personnelle à la galerie frank elbaz, Balula explore les fonctions du corps humain relatives à l’expression de l’émotion, l’empathie, et la concentration. Il a créé des mécanismes qui consomment, redistribuent ou déterritorialisent les fluides corporels et l’activité cérébrale.

Salive, larmes, transpiration ou bile ont été reproduites artificiellement en laboratoire pour l’occasion. En milieu stérile, non contaminées, ces sécrétions de synthèse n’ont pas été exposées aux différentes bactéries qui habitent notre corps ; celles-là mêmes qui produisent l’odeur corporelle propre à chaque individu. Ces fluides jetables, que le corps produit puis abandonne, circulent dans la galerie via des machines rudimentaires qui reprennent ainsi par procuration le rôle de ces fonctions corporelles. Par exemple, avec Automated Tear Drop [Larme Automatisée], des larmes synthétiques coulent le long d’une chaîne vers un seau métallique, devenant alors un appareil à pleurer qui permet d’économiser ses propres larmes.

Les œuvres de l’exposition qui à distance pleurent, transpirent ou encore postillonnent fonctionnent comme un simulacre poétique de l’ère technologique actuelle, où les machines prennent de plus en plus de place dans nos vies, et deviennent inséparables de notre façon de penser, communiquer, et ressentir. Les courriels et les sms ont remplacé les appels, les emoji ont remplacé les mots.

Le flot d’information induit par la technologie a non seulement une influence sur nos affects, mais entraine aussi une addiction pandémique à la distraction. Avec Attention Span Color Meter [Mesure en Couleur du Niveau d’Attention], Balula utilise un capteur pour lire l’activité magnétique d’un cerveau concentré et déconcentré. Les fréquences analysées sont branchées sur l’éclairage de la galerie et produisent des variations de couleurs. L’attention change littéralement la couleur des murs et des œuvres. Loin de constituer des pensées ou des émotions, les données collectées correspondent aux fonctions basiques du fonctionnement du cerveau, à la fois hautement spécifiques, et pourtant arbitraires. Que le cerveau soit celui d’un individu instruit ou non, issu d’un milieu privilégié ou non, jeune ou agé, les résultats pourraient être interchangeables. L’intérêt de Balula pour les principes de subjectivité face à un universalisme normatif, ou le démantèlement des structures de pouvoir depuis un point de vue biologique, est en partie informé par les penseuses féministes, notamment celles intéressées par les sciences, comme Isabelle Stengers ou Catherine Malabou.

Dans l’œuvre Self Breathing Lungs (Air Filter) [Poumons Respirants Seuls (Filtre à Air)], un enregistrement de souffle entrant et sortant d’un harmonica est diffusé à travers un filtre à air. Ainsi l’être humain, face au produit de synthèse, fait acte de présence à la fois sous la forme lumineuse et sonore au sein de l’exposition. Forme éphémère, bel et bien physique, si l’on considère -comme Balula- que la lumière et le son, pourtant intangibles, sont en réalité des ondes lumineuses et sonores qui s’estompent.