L’argile n’est rien d’autre que de la peinture épaisse et la peinture n’est rien d’autre que de l’argile fine.

(Peter Voulkos)

Gagosian a le plaisir de présenter Fire and Clay, une exposition de groupe réunissant des artistes modernes et contemporains qui travaillent avec les formes que sont les récipients en céramique. Cette exposition est organisée en collaboration avec Fabienne Stephan, conservatrice indépendante. Des Mayas à la poterie de la Grèce antique, de l’art africain en argile au mouvement Arts and Crafts en Angleterre et aux Etats-Unis, la longue tradition de la céramique est à la fois utilitaire et artistique et extériorise les besoins et les valeurs culturelles des civilisations. Fire and Clay se penche sur l’évolution des récipients en céramique dans l’art depuis la seconde moitié du XXe siècle jusqu’aux approches actuelles en passant par le California Clay Movement.

En , le céramiste Peter Voulkos abandonna le façonnage d’objets utilitaires pour créer des sculptures imprégnées de la liberté et du pouvoir gestuels de l’expressionisme abstrait. Influencés par les céramistes japonais et soumis aux exigences de l’imprévisibilité et du hasard pendant leur cuisson, ses récipients en argile et sa poterie devinrent des remembrances de leur propre fabrication, semblables à une chanson de jazz ou à un poème beatnik.

Pour Betty Woodman, le travail cadencé sur le tour de potier s’avérait indispensable quand elle explorait le modelé d’un récipient en tant qu’objet domestique en y ajoutant des couches symboliques aux idéaux de forme et de fonction du Bauhaus. L’œuvre de Woodman témoignait de l’héritage de la fabrication d’objets destinés à l’usage quotidien qui embellissent la vie des gens. En ,après avoir œuvré en tant que potière de production, elle se rendit en Italie où la découverte de traditions comme la majolique (poterie émaillée d’une glaçure avant cuisson) lui donna l’inspiration pour travailler sur le potentiel de l’argile en tant que forme et support de la peinture à l’émail. D’ustensiles simplement fonctionnels, son œuvre évolua vers des objets conceptuels en présentant un vase tel un récipient, un corps humain, une figure d’animal, ou une métaphore. Récemment, les artistes contemporains se sont tournés vers la céramique pour s’opposer à la distinction que l’on fait généralement entre les arts décoratifs et les beaux-arts. Ron Nagle crée ce qu’il appelle des «peintures en D», sculpturales pas seulement par leurs formes, mais aussi par leurs textures, leurs tranchants et leurs terrains émaillés dans des couleurs chaleureuses. Les récipients de Grant Levy-Lucero sont modelés comme des amphores gréco-romaines, ces contenants en céramique omniprésents pendant l’âge du bronze et la période hellénistique, tout en affichant l’écriture et l’iconographie des marques que les consommateurs contemporains reconnaissent immédiatement; avec le logo du ketchup Heinz, de la Nivea, et de l’Ajax, la fonction du vase en tant qu’article ménager est imprégnée d’une modulation warholienne.

Chez Sylvie Auvray, le processus alchimique de la cuisson se prête parfaitement à ses expériences avec la fusion de matériaux comme le verre ou le vinyle par-dessus l’argile. Ses récipients grouillent de créatures mutantes, de formes exagérément organiques, de vernis suintants et de silhouettes qui rappellent les dessins au trait. L’artiste tire profit des «imperfections» incontrôlables de la céramique: les fêlures, l’égouttement, les réactions chimiques uniques des couleurs de l’émail quand celui-ci est appliqué sur diverses sortes d’argile.

L’engagement de Sterling Ruby envers l’argile est enraciné dans l’histoire indigène et artisanale du minéral puisé de la terre et dans ses possibilités formelles uniques. L’artiste roule, frappe, assemble, aiguillonne et manipule l’argile à la main ou à la machine pour aboutir à de larges bassines ou à des récipients qui montrent souvent les débris des ratés précédents sortis du four. Tout comme la relation entre la peinture et la toile, l’argile est une surface tactile qui réagit en enregistrant les gestes physiques de Ruby. Basin Theology/MIOSIS () exploite l’imprévisibilité de la cuisson en présentant des éclats et des morceaux cassés provenant d’anciens passages dans le four. Takuro Kuwata, avec ses chawan (bols à thé), traite la céramique japonaise traditionnelle avec une audacieuse irrévérence. Les couleurs vives de l’engobe échappent à la «sage» réputation de la céramique. L’artiste a été l’un des premiers à insérer les aiguilles utilisées lors de la construction des fours dans ses œuvres en céramique pour figer l’épais vernis qui coule.

L’œuvre de Shio Kusaka unit la tradition de la poterie en grès et de la porcelaine japonaise avec les répétitions du Minimalisme et de subtiles géométries. Le sens tactile réceptif nécessaire au tour de potier est évident dans ses travaux les plus récents. Dans des tons sourds et frais, l’épais vernis liquide s’arrête à trois millimètres au-dessus du fond de chaque pot, à la fois une précaution indispensable pour la cuisson au four et un rappel raffiné des transformations alchimiques inhérentes à ce moyen d’expression. Du liquide au solide, du mouillé au sec, de deux à trois dimensions, la nature extrêmement tactile de l’argile donne une envie primale de façonner la terre, chaque potier laissant les empreintes de son labeur créatif dans ce matériau organique malléable.