Sa dernière série portait, dit-elle, les couleurs des jours de Saint-Petersbourg : des camaïeux de gris et de blancs pour représenter des paysages d’usines abandonnées de l’époque soviétique. Puis, l’année dernière Zhenya Machneva a fait une résidence de trois mois à la Cité des arts à Paris, dont elle a rapporté les couleurs des œuvres d’artistes africains qu’elle y avait vus. Les travaux qu’elle montre cet automne sont des détails des mêmes machines qu’elle avait dépeintes dans sa série précédente, des images plus légères, plus humoristiques parfois. Il ne faut pas y voir une quelconque dimension psychologique, mais plutôt une expérience de la couleur. Zhenya Machneva dit aussi qu’elle n’invente pas mais qu’elle collecte le visible autour d’elle.

Ayant étudié au département textile de l’Académie d’art et de design de Saint Petersbourg, elle a une formation classique de peinture, pratique souvent le dessin, parfois la lithographie, mais c’est la tapisserie qu’elle a choisie comme terrain de jeu. Il ne faut pas croire qu’en Russie, les jeunes artistes soient très nombreux à avoir pris ce parti – le goût pour le kraft que partagent beaucoup d’artistes occidentaux ne s’y est pas encore étendu. Et à la différence des Gobelins ou d’Aubusson, les grandes manufactures de la Russie du 18e siècle ont fermé leurs portes depuis longtemps.

Zhenya Machneva a choisi la tapisserie et elle tisse elle-même. Son métier à tisser, elle l’a acheté il y a une dizaine d’années en Finlande, car la Russie n’en produisait pas d’assez bons. Après avoir choisi une image dans ses archives photographiques, elle fait des esquisses, puis traduit son dessin à la main, ligne après ligne. Il ne faut pas lui parler des tapisseries des Matisse, Hartung ou Picasso invités par les Gobelins à faire traduire leurs toiles en textile car, pour elle, la tapisserie ne relève pas des arts décoratifs. Le temps qu’elle passe à réaliser une œuvre varie de l’une à l’autre, une semaine ou parfois deux ou trois mois.

Elle a commencé à représenter des zones industrielles abandonnées après une visite dans une usine de téléphones où son grand-père a travaillé pendant quarante ans et, depuis, ce motif ne l’a pas quittée. Les œuvres qu’elle montre dans l’exposition sont des détails de machines moins mélancoliques et plus incarnées que ses œuvres précédentes. Dans « Contact Method », elle a même ajouté un pan de bois sur lequel est fixé une poulie, que les Nouveaux Réalistes n’auraient pas renié. Les réminiscences de Jean Tinguely ou de Francis Picabia n’en sont pas, dit-elle. Les cadrans de « Bouquet » ressemblent à des boutons de roses. « Sans titre (dans la cabine d’une grue élévatrice) » évoque le portrait d’une gueule cassée… Avec son jaune strident, « Guillotine » dit encore un autre rapport au corps, plus violent évidemment.

Pour Zhenya Machneva, la pratique de la tapisserie et ces images d’usines sont une forme de résistance à la production de masse et à la vitesse de notre temps. Ce sont des paysages imaginaires au futur antérieur.