J’ai toujours travaillé dans les endroits que j’ai habités. Il serait peut-être plus juste de dire que j’ai toujours dormi là où je travaille. J’ai donc souvent rendu visite à mon atelier la nuit et de ces visites nocturnes sont nées les Remanences, une série de dessins au crayon noir sur papier noir au sein desquels figure mon atelier de nuit ou plutôt ce que j’en perçois alors.

Tout un monde sépare l’univers dans lequel je travaille le jour, que ce soit activement ou passivement et celui que je quitte le soir pour le retrouver le matin ; un monde où le temps opère, lie les choses entre elles ; un monde bien vivant qui se passe de ma présence et que je me surprends à redécouvrir.

Dans ses installations vidéo Mapping The Studio I et II (2001), Bruce Nauman montre des images de son atelier, filmé une heure par nuit, quarante-deux nuits durant, avec une caméra infrarouge sur une période de plusieurs mois. Si il ne se passe pas grand chose dans ces vues nocturnes, un monde bruisse pourtant dans ce lieu, comme le soulignent les indices sonores de présences d’insectes et d’animaux (des aboiements de chiens, des cris de coyotes), mais aussi les bruits de trains, au loin, ou le passage d’un chat et de souris. L’atelier est un environnement relié à des êtres et des choses qui accueille et produit sans cesse de micro-événements. Il vit le jour comme la nuit. Et il y a surtout du temps qui passe dans ce lieu en état de veille, habité par la pensée et par le rêve, quand les choses qui le peuplent sont au repos, la nuit venue.

L’atelier est à la fois un espace physique et un espace psychique. Il est relié à tout un ensemble d’êtres et de choses qui le constituent, mais il est aussi un milieu où les idées et les choses se relient (un lieu où les idées deviennent des choses et où les choses deviennent des idées), animé par l’esprit, par le conscient et par l’inconscient, par les choses elles-mêmes. Ces deux dimensions y sont pour moi inexorablement enchevêtrées. Dans l’environnement de l’atelier, tout objet est alors amené à se transformer et à trouver une nouvelle définition, que ce soit dans sa manière de se relier aux autres (quels que soient ces autres), dans sa matérialité, dans ses dimensions…

L’observateur emporte avec lui des arrêts sur image des mondes qu’il explore, et c’est bien un instantané de cet univers en veille, de ce monde des possibles, que j’ai arrêté pour mon exposition. Tout, ici, a muté, changeant de matérialité pour se figer dans le temps, dans des liens qui désormais fixent les choses les unes aux autres. Ce mouvement d’arrêt et ce dédoublement des objets dans leur mutation font apparaître l’environnement de l’atelier comme dans un songe. Dans l’étrange processus de fossilisation qui s’en est emparé, les éléments qui le peuplent, si différents soient-ils, acquièrent le statut d’œuvre et les différences qui les séparent ont été abolies, elles aussi endormies à jamais. C’est ici que s’accomplit le voyage autour de mon atelier.

Tatiana Trouvé est née en 1968 à Cosenza, en Italie. Elle vit et travaille à Paris, en France. Elle a participé à de grandes manifestations internationales, telles que la Biennale de Venise (2003 et 2007), la 29ème Biennale de São Paulo (2010), la Biennale de Lyon (2015), la Biennale d'Istanbul (2017), la Triennale de Yokohama (2017) et la BIENALSUR, 1ère biennale contemporaine d'Amérique du Sud (2017), ainsi que des expositions collectives à la Hayward Gallery à Londres (2010) et à la Fondation Pinault - Punta della Dogana à Venise (2011), au ACCA à Melbourne (2012), au Musée Jumex au Mexique (2013), au Bass Museum of Art à Miami (2013), et au Albertina Museum à Vienne (2015). Ses expositions personnelles incluent « Double Bind » au Palais de Tokyo, Paris (2007), « 4 Between 2 and 3” au Centre Pompidou, Paris (2008) ; « A Stay Between Enclosure and Space » au Migros Museum de Zurich (2009) ; « Tatiana Trouvé » à la South London Gallery ( 2010) ; et « Il grande ritratto », une vaste exposition inspirée du titre du roman de science-fiction de Dino Buzzati et conçue en réponse à l'architecture exigeante du Kunsthaus Graz (2010). L'exposition itinérante « I tempi doppi » a été présentée au Kunstmuseum Bonn, au Museion BolzanoBozen et à la Kunsthalle Nürnberg (2014). « The Longest Echo - L’écho le plus long » au Mamco de Genève fut sa première exposition rétrospective (2014). « The Sparkle of Absence » était sa première exposition personnelle en Chine au Red Brick Museum de Beijing (2016). Le Public Art Fund de New York lui a commandé Desire Lines pour être présenté à Central Park en 2015. En 2018, elle était à l’honneur d’expositions personnelles au Musée des Beaux-Arts de Rennes, à la Villa Médicis à Rome, et au musée d'art Petach Tikva, à Tel-Aviv. En 2019, elle inaugurera une exposition personnelle au Broad Art Museum dans le Michigan.