Christodoulos Panayiotou tient la matière de son œuvre à double distance de formes qui valoriseraient ses qualités spécifiques et d’attitudes qui la rendraient corvéable, sujette à l’expression d’une idée. Elle ne constitue pas un véhicule pour exprimer l’authenticité d’une forme, d’une image ou d’une idée, mais véhicule des images, formes et idées liées aux pratiques et savoirs économiques, artisanaux, artistiques, archéologiques et théologiques qui s’en emparent. Dans leur ensemble, les œuvres de « Friday, 3rd of February 1525 » renvoient à des représentations dissimulées et forment un répertoire dynamique de gestes de solidification, recouvrement et dilution qui affirment l’absence inhérente à l’émergence de l’image.

Les quelques lingots déposés à l’entrée de l’exposition sont produits par la fusion de pièces d’euros soustraites à « Light Up Caravaggio » – un appareil installé dans l’église romaine Santa Maria Del Popolo – conçu pour illuminer La Conversion de Saint Paul, une scène d’éblouissement. Dans ce dispositif, qui ajoute à la sainte conversion celle de l’argent en électricité, la lumière éternelle est mise en concurrence avec son éclat séculaire qui frappe l’œuvre d’un aveuglement minuté. À la fois image de lingots d’or et objet frauduleux, d’une couleur séduisante et boueuse, l’œuvre matérialise ce douteux supplément de clarté dont la monnaie s’est faite l’agent.

Construite à partir d’un marbre, déqualifié par ses exploitants d’une mention qui signale sa moindre qualité pour le vouer à un marché parallèle, Bastardo retourne le stigmate et peut servir d’assise durant l’exposition. D’ici, peut s’observer Untitled, tempera à l’œuf et plan de feuilles d’or, qui reprend les quelques éléments de sa composition aux trois rayons peints par Antoniazzo Romano pour figurer les auréoles de San Vincenzo, Santa Caterina di Alessandria e Antonio da Padova. Surface scindée, inhabitée et sans titre, elle répond à l’annulation d’une étape de sa production prévue par un accord passé entre l’artiste et l’iconographe (dont l’économie tient à la commande et reproduction de portraits saints) qui consent à s’interrompre avant l’échéance figurative. Bien que les cercles semblent manifester l’absence du corps par la présence de l’aura, tant l’égalité de leurs diamètres que la régularité de leurs scansions évoquent un espace sériel et désincarné. Lieu d’amorce et d’abandon de la figuration, il rend présent, dans un même argument, l’interdit représentatif iconoclaste et un versant objectiviste du minimalisme, tous deux postulant que le matériau de l’œuvre la résume et l’exprime. C’est à une autre conception de l’icône que l’artiste noue son rapport à la vision, celle qui « met en lien le visible et l’invisible sans concession pour le réalisme mais sans mépris pour la matière ».

Œuvre manifeste d’une exposition qui simule la désertion de l’image, 1525, Freitag Post Purificationem revient sur un épisode de la réforme protestante durant lequel, en 1525, un groupe d’artistes strasbourgeois réclame par pétition que la ville leur fournisse du travail à l’heure où la condamnation du visuel ordonne le retour à une transmission sonore du verbe de la parole divine : « Le respect pour l’image a chuté du royaume de dieu2 ». Reproduite ici à l’échelle d’un tableau par un atelier de peinture scénique, la lettre s’invite dans le régime de l’image alors que son contenu relate sa disparition. Autres représentations congédiées, les formes et figures auparavant présentes sur les billets de dollars, utilisés pour créer la série Untitled, s’absentent du régime « réaliste » de la visibilité économique à la suite d’altérations mécaniques et chimiques qui ont délavé, à différents stades, la pulpe de pâte à papier des surfaces. L’iconographie du dollar représentait en elle-même une zone de synthèse pour une foi distribuée entre les visages éphémères du pouvoir temporel et la permanence textuelle du pouvoir spirituel. En 1971, quand Nixon fait entrer les États-Unis dans un régime de « changes flottants » en déclarant la fin de sa convertibilité en or, le billet n’est plus soumis à une entité physique et se dématérialise en écho aux débats artistiques contemporains portant sur la capacité de l’art conceptuel à circuler en dehors de toute contingence solide.

En contrepoint de ce processus, la série Forgery Paintings – tentatives sur papier visant à simuler, par l’usage de paillettes et pigments, le cryptage holographique utilisé pour authentifier les euros – spectralise, contrefait les formes et conclut un geste de solidification déréalisant débuté en 2016 avec les Pulp Paintings (une série de tableaux produits avec des euros démonétisés). À partir de la même monnaie déchiquetée, Common Denominator génère une pulpe dont la tendance achromatique résulte du mélange de l’ensemble des valeurs et de la synthèse de leurs couleurs. Christodoulos Panayiotou absente ici la visibilité de l’argent au sein d’une exposition qui invite trois traditions artistiques liées à la figuration - théologique, théâtrale et industrielle – à manœuvrer dans la désertion de l’image.

Opération Serenade, un tapis rouge, récupéré par l’artiste à l’issue de cérémonies de remise de prix américaines, roulé et abandonné dans l’espace, rejoue, contre les mouvements d’adhésion, la dissimulation de la couleur dans un volume qui enferme une étendue. Opération chromoclaste liée à la Réforme3, elle condense ce parcours troublé de l’image dans l’horizon d’une économie colorée de la dévotion.

Des expositions personnelles du travail de CHRISTODOULOS PANAYIOTOU (né en 1978 à Limassol – Chypre) ont eu lieu entre autres à la Casa Luis Barragán, Mexico ; au Moderna Museet, Stockholm ; à la Kunsthalle Zürich ; au CCA Kitakyushu, Fukuoka ; au Museum of Contemporary Art, Saint-Louis ; au Casino Luxembourg ; au Centre d’Art Contemporain de Brétigny ; au Museum of Contemporary Art, Leipzig ; et au Cubitt, Londres.

Christodoulos Panayiotou a représenté Chypre à la Biennale de Venise en 2015. L’artiste a participé à de grandes manifestations internationales incluant la Documenta 13 à Cassel, la 14e Biennale de Lyon, la 8e Biennale de Berlin, la 7e Biennale de Liverpool, Performa 15, la 6e Biennale de Taipei et la 8e Biennale de Melle. Son travail a également été montré dans un nombre important d’expositions collectives, et de musées : au Centre Pompidou, Paris ; au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris ; au Museion, Bolzano ; au Migros Museum, Zürich ; au CCA Wattis Institute for Contemporary Arts, San Francisco ; à la Joan Miro Foundation, Barcelone ; au Witte de With, Rotterdam ; à la Bonniers Konsthall, Stockholm ; au Philadelphia Museum of Art, Philadelphie ; au Ashkal Alwan Center for Contemporary Arts, Beyrouth ; à l’Artist Space, New York ; et au MoCA Miami.