Ne vous laissez pas impressionner par le titre de l’expo : Nycthéméral. Késaco ? Il s’agit d’un rythme binaire, le nycthémère étant, selon le dictionnaire Larousse, une “Unité physiologique de temps d’une durée de 24 heures, comportant une nuit et un jour, une période de sommeil et une période de veille”. Pourquoi l’appliquer à cette peinture ? Parce que, et chacun l’aura vite compris, elle se réalise en deux temps. Elle est binaire en quelque sorte. Il y a le blanc, majoritaire dans les grands formats, et la couleur. Restons­en là.

La peinture actuelle ne cesse de se régénérer en se nourrissant de son riche passé tout en adoptant des formulations plus ou moins inédites en accord avec les esthétiques de notre temps. Le numérique n’étant pas en reste dans les influences d’aujourd’hui, beaucoup d’images – et la peinture est forcément de la partie qu’elle soit abstraite ou figurative – sont composées par imbrications plus ou moins simples ou complexes de plusieurs sujets mis en relation. La pratique fut aussi utilisée dans le pop’art et dans l’art dit justement relationnel des années 1970. Et le passé plus lointain ressurgit, Barbara Cuglietta rappelant fort à propos, en son texte d’introduction que l’on retrouve “la ‘veduta’– fenêtre ouverte sur le monde, dans certains tableaux de la Renaissance”. Le travail pictural actuel de Sébastien Bonin se situe, sur le plan de la conception et de la mise en page, exactement au carrefour de l’ensemble de ces données. Elle emprunte, elle extrait, elle redéfinit et recompose pour offrir des visions inédites.

Cette peinture de Sébastien Bonin ne s’accomplit pas dans la recherche de la nouveauté pour ellemême qui n’a pas vraiment de sens. Elle se réalise plutôt comme un hommage à la peinture à laquelle elle entend apporter sa propre contribution consciente d’un très riche héritage qui lui permet de rebondir vers de nouvelles propositions. Il s’y exerce ainsi une sorte de nouvelle modernité syncrétique. Au départ de reproductions picturales, principalement du XIXe et du début du XXe siècle, dans des ouvrages d’art, le peintre extrait des détails plus ou moins importants dont il ne retient que le motif paysager, supprimant toute présence ou manifestation humaine. À sa manière, nerveuse, expressive, d’une touche vive, il reproduit ces sujets. Soit isolés sur de petits supports (bois) irréguliers, soit en format approximatif carte postale sur de petites toiles blanches, centrés ou décalés.

Soit sur de grandes toiles dont le fond blanc relève d’une gestuelle rapide qui évoque certaines œuvres de Christopher Wool. L’abstraction lyrique domine en brossages instinctifs. C’est le règne de l’anti­composition, de l’exécution à l’état brut, le grain de la toile restant même visible à certains endroits. C’est de l’action directe. Sur cette surface animée, la petite peinture de paysage s’impose en couleur, en contraste, comme une image superposée. Placée à un endroit que l’on peut imaginer comme stratégique, obligeant l’œil à la considérer pour elle­même et par rapport à l’ensemble, dans une dynamique autant d’isolation que de mise en valeur. Parfois, elles sont plusieurs et sous le fond blanc transparaissent légèrement d’autres motifs ou des structures qui appellent à d’autres références picturales, à des mouvances comme le minimalisme. Par ces imbrications originales et personnelles, Bonin réenchante la peinture à sa façon.