De tous temps, des artistes – ou étaient-ce des chamanes ? – ont entretenu un dialogue nourri avec l’invisible. Ainsi, ces intercesseurs donnaient-ils forme à ce qui se situait « au-delà », au-delà de la vie, au-delà du monde des Hommes, au-delà du temps, au-delà du sens. Et cette forme finissait par revêtir le caractère le plus sacré qui soit, sans que l’on sache très bien discerner si l’œuvre ainsi produite participait davantage de la réponse ou de la question. À moins que les deux ne soient à jamais confondus.

Cependant, ces aspirations cosmogoniques ou religieuses relevaient pour l’essentiel de mythologies collectives. Or, les sociétés modernes ont, depuis, permis l’émergence d’artistes libérés de certaines contraintes normatives. Et ce au gré de l’émancipation des individus, a fortiori lorsque ceux-ci étaient habités par une altérité fiévreuse. Les artistes bruts sont faits de ce métal en fusion, dans lequel se forgent les mythologies individuelles les plus passionnantes qui soient.

Quelles que soient leurs motivations, l’ailleurs qu’ils convoquent, qu’ils interprètent, nécessite des langues nouvelles, des formes nouvelles, des lois nouvelles. Ils savent bien que pour atteindre ce qui nous dépasse, il faut se dépasser soi-même, outrepasser la raison même.

Se tenant aux confins du visible et de l’invisible, dans l’épaisseur du miroir, ce qui fonde l’humanité prend un tour nouveau. De nouvelles potentialités se font jour dès lors que la vie et la mort sont indissociées, dès lors que nous ne sommes plus seuls à croiser nos destins dans l’univers, dès lors que l’imagination, comme le soulignait Einstein, « vous emmène où vous voulez ».

Ufologues, mystiques, cosmogonistes, spirites, démiurges, métaphysiciens, tous participent de cette entreprise de réenchantement du monde par l’art : « Qu'ils soient médiums, clairvoyants, visionnaires, les auteurs de l'art brut s'attachent à percer les mystères au moyen de leur technique et de leur art de cette transcendance à la fois fascinante et effrayante. Mysterium tremendum et fascinans. » (Philippe Baudouin).

Au-delà - débarrassé de son article - non seulement excède notre rapport au divin, mais nous permet de nous reconnecter à la genèse de l’acte créateur, à la fabrication d’un objet ni tout à fait cultuel, ni tout à fait culturel et qui, à défaut de résoudre le mystère, le rend visible.