Pourquoi l’œuvre d’art doit-elle être signifiante ? Pourquoi doit-elle produire ce que notre désir en attend, c’est à dire du sens ? Pourquoi en est-il spontanément ainsi ? Parce que nous voulons nous voir, nous aspirons à nous « reconnaître ». Puisque c’est par et « pour nous » qu’est la peinture, elle ne saurait excéder « notre » désir, elle doit donc signifier et représenter. « Pas d’art sans représentation » disait Aristote, « pas d’art sans re-re-re-représentation » répond Thierry Lagalla !

Et, « Lorsque les peintres arrivèrent sur place, il était malheureusement trop tard. »

Deux tranches de pain trop grillées, brûlées, parfaitement cramées nous accueillent. Elles sont faites de résine, peintes à l’huile, d’un brun Van Dyck, magnifiques ambassadrices picturales de cette œuvre néo-classique facétieuse, sous-réaliste à l’heuristique continue. Une création qui vient usiner, affleurer le réel pour en extraire le plus fin des copeaux. Rien à voir, à faire avec le minimalisme, si répandu, qui laisse supposer que par économie d’expression une pureté, un absolu est à portée d’œuvre. Non, ça Thierry Lagalla, ça le fait sourire.

C’est ce même sourire qu’il doit arborer lorsqu’il crée à l’ombre des pâquerettes, comme il aime si bien le dire. Là, où il nous donne à voir une création à forte teneur en litote, un de monde réel créé par l’esprit qui envahit le monde des choses, une sorte de nectar claudiquant dont l’absorption transforme tout instant en un instant. La finalité absente ou au repos permet, à cette oeuvre, de porter jusqu’au bout son ingénuité et de laisser apparaître avec frivolité et grande joie la chose en soi.

Cette création réticulée qui vous attrapera, à coup sûr, par l'une ou l'autre de ses mailles ; par glissement, retournement, écho ou par ordinaire, finira par vous faire tomber, ou plus exactement chuter dans son ivresse artistique.

Regardons, et ce n’est qu’un exemple, le cas d'une fameuse Asperge, dont le remboursement pictural créa la prodigieuse nature morte peinte par Edouard Manet. « Ce n'est pas une nature morte comme les autres", écrit Georges Bataille, "morte, elle est en même temps enjouée ». Au pied de la lettre , Lagalla s’active, maintenant l’humour natif de cette asperge entre deux socles, accompagné d’un vif encouragement : « Allez ! Issa ! Come On ! » Mais que doit-on soutenir ? L'asperge, la nature morte, le twist ? Quoiqu'il en soit, par sa forme et l’entremêlé de sa création, nous voilà, enjoué !

La peinture de Lagalla apparaît ! Elle s’affirme en renonçant aux injonctions de toute poétique. En et par elle, le visible se délivre d’être signe. Elle manifeste là sa différence radicale avec toute autre image. L’artiste y active la puissance souveraine de la forme, et celle-ci œuvre alors en nous comme activité du penser.

Pas besoin de beaucoup d’imagination pour se figurer l’artiste sautillant, jouant avec sérieux, faisant œuvre de toutes choses. C’est certainement cela qui lui fait pointer son nez dans l’abstraction avec son Nez au Géo, s’auto-auto portraitiser dans Le sous-moi, peindre, la fleur à l’oreille, la Vanité à point. De la manière vache, il y en a, lorsqu’il apostrophe la peinture avec Ò lo pintre ! Où, dans un jeu rapide et nerveux, il maintient, avec audace, la convivialité entre le superbe et le grotesque.

Dans un trompe-l’œil, permanent, et plus si affinités, nommé fuck-similé par l’artiste, il ne cesse par mimétisme de se confondre. L’original est une copie comme les autres, quel plaisir de le constater lorsqu’il grave dans le faux marbre, peint par ses soins, un MERCI et transforme ainsi l’ex-voto en ante-voto, remerciement fait, par avance, à la nature de nous avoir produit mortels et par là-même humain, voir artiste.

Enfin, imaginons Lagalla dans la nature, posant son chevalet devant le sujet et peindre, avec une tendre application, l’Usine à gaz. Allez, retirons-nous avec discrétion, laissons-le finir, préparons-nous à l’arrivée des peintres et nous allons bien voir ce que nous allons voir.