« Ça lui avait toujours paru difficile de faire son lit, parce que le processus lui rappelait le sommeil ; ses bras qui s’alourdissaient pendant qu’elle balançait les draps au-dessus de sa tête, des drapeaux en berne pour les repositionner, leur mouvement qui semblait ralentir puis hésiter, avant qu’ils ne retombent en place. Ce matin-là, ça lui avait pris du temps. Ça faisait déjà une heure qu’elle était réveillée, le tournoiement des draps et des oreillers formait un nid, une prison. Sa tête calée à la lisière du cercle, elle avait levé les yeux au plafond, avant de se pencher, d’attraper la tasse posée sur le rebord du lit et de boire une gorgée de café, son torse comme une virgule, sa tête pesante. Comme une sorte de fontaine pour les oiseaux. Slurp, slurp.

Elle s’acharnait à ne pas se laisser attrister par toute l’affaire avec. Chaque fois qu’elle y pensait, ses petits yeux stupides rapetissaient comme des ressorts comprimés prêts à bondir et — whatever. Elle se sentait tellement conne. Elle avait passé une nuit avec elle. Une seule. Mais ce n’était pas ça qui l’avait poussée à fantasmer autant. Sortir avec ou plutôt, passer une seule soirée avec elle, avait été comme s’entraîner pour un demi-marathon, et toute cette graisse stagnante qui ne servait qu’à genre, la fixer des yeux, avait été transformée en un lent mouvement vers elle, l’énergie qu’elle consacrait d’habitude à la convoiter oculairement se mobilisait cette fois pour lui permettre d’approcher son corps du sien, d’interagir avec elle, secouée par des hoquets, en ravalant des mottons de peur bleue mélangée à de la bave, et quand elle avait enfin eu son numéro, quand elle lui avait enfin demandé et avait reçu ce « oui » profond et grisant, le mot avait résonné dans ses tripes, avait fait fleurir ses hanches, écartées, complètement, accueillantes, avait renforcé son sentiment de plénitude, son corps devenant davantage comme un corps, plus épais, avec plus de dimension, corpulent et sensuel, se déployant sur tout ce qu’elle.

Se déployer, c’est ça qu’elle s’était alors mis en tête de faire, avec son désir, le mesurer. Elle devait développer son endurance, cultiver sa patience, dans son cœur qui galopait. Elle devait faire fondre la lance de bronze qui rayonnait si fort à travers son corps, de la cime de ses cheveux jusqu’à cette affamée de.»