Après toutes ces années, mon travail est toujours en mouvement. La recherche occupe une place très importante : j’ai toujours cette envie d’inventer de nouvelles choses, d’ouvrir mon travail à de multiples champs ou de nombreux terrains de jeu.

Pour cette exposition je me suis de nouveau servi de cadres en les utilisant comme un objet constituant d’une œuvre d’art. Déjà par le passé, certaines œuvres ne pouvaient exister sans leur encadrement : « inversion magnétique », gouttes d’acrylique sur le verre du cadre, ou encore mes « maladresses » et « dessins à franges ». Cette fois, au risque que cela paraisse ironique, j’ai utilisé les cadres comme des récipients.

J’aimerais que ces dernières œuvres soient perçues comme un geste, un geste simple, celui de verser des matériaux au fond d’un cadre. Le résultat, cette matière coulée, peut être appréhendée de deux façons contradictoires : soit comme un effondrement, soit comme une élévation, soit comme une chute, soit comme une accumulation. Ces matériaux déversés proviennent de l’atelier : perles de plastique, paillettes, chutes de bois ou de plexiglass, de gélatine, sable, verre etc. D’une certaine manière je les ai ici détournés, recyclés. Étonnamment, on peut remarquer que ces matériaux aux couleurs acidulées sont presque tous issus du pétrole. En coulant, en tombant, ils se superposent en strates que l’on peut voir à travers le verre du cadre, comme s’il s’agissait d’une coupe avec ses sédiments, des empreintes de différents temps, comme s’il nous était révélé quelque chose d’enfoui, de caché.

Bien sûr cette technique peut s’apparenter à l’art populaire qui consiste à faire des images avec du sable coloré dans des bouteilles. Mais ces éléments, ces perles, ces matériaux en équilibre précaire les uns sur les autres, s’apparentent pour moi plus à de la sculpture qu’à des images puisqu’il est ici surtout question de la loi de la gravité.

Ce qui est donné à voir semble être accidentel, temporaire, instable, remis en jeu si l’on déplace l’œuvre. Bizarrement une œuvre d’art est devenue un objet en mouvement. Ces constructions interrogent la définition d’une œuvre d’art qui se veut comme une chose fixe, maîtrisée, choisie. Ici, il s’agit d’une marque de mouvement, d’un équilibre qui forme une image hasardeuse et aurait pu être toute autre.

Parallèlement à ces cadres, d’autres formes de constructions accidentelles sont exposées. Comme pour les cadres, l’énergie qui est ici à l’œuvre est la pesanteur, mais sous la forme de la force d’attraction, de coagulation. Ainsi, les mêmes matériaux trouvés à l’atelier s’agglutinent et se figent pour former de grosses pépites. De ces agglomérats, de ce milieu hostile, nait une surprenante végétation, témoignage d’une résistance inconsciemment optimiste, de vitalité envers et contre tout. Au milieu de la dernière salle, une imperceptible pluie de cristaux roses se présente comme une autre adaptation de natures en mutation.

L’exposition dans son ensemble évoque un étrange musée d’histoire naturelle principalement constitué de matériaux artificiels. Une collection insolite d’œuvres qui s’effondrent comme bousculées par une tempête et de joyeux minerais chimiques, comme un constat de l’air du temps.