Gabriel de la Mora, né en 1978 à Mexico City ou il habite actuellement, travaille principalement à partir d’objets trouvés, abandonnés ou obsolètes. L’artiste mexicain collectionne et fragmente de façon presque obsessionnelle ses matériaux de predilection - coquilles d’œufs, semelles de chaussures, tissus d’enceintes stéréo, plumes. Il crée des surfaces aux apparences minimales et souvent monochromes qui impliquent une grande complexité technique, une rigueur conceptuelle, ainsi qu’une narration implicite. Les oeuvres de de la Mora font parti des collection permanentes de AlbrightKnox Art Gallery (New York, USA), El Museo del Barrio (New York, USA) Fundación JUMEX (Mexico City, Mexico), Museum of Contemporary Art (MOCA), (Los Angeles, USA) et Perez Art Museum Miami Collection (Miami, USA), parmi d’autres.

La série d’œuvres de Gabriel de la Mora est une structure de mirages, d’échos et de répétitions. Dans la mesure où son travail, comme les collections Inscriptions sonores sur tissu (haut-parleurs), Le poids de la pensée (semelle de chaussure), CaCO3 (coquille d’œuf) et Néornithes (plumes), passe de l’objet au monochrome, puis à l’inscription graphique ou à l’image, son étude sur les matériaux et sa charge énergétique et/ou symbolique propose une esthétique constructiviste qui fait circuler les présences et les modèles de ce qui est invisible à nos yeux. En reprenant le sens esthétique philosophique du terme « écho » du livre Différence et répétition de Gilles Deleuze, dans lequel il traite « la généralité, comme généralité du particulier, et la répétition comme universalité du singulier », Gabriel de la Mora propose un déplacement vers la relation entre la sérialisation du monochrome par rapport à la particularité des matériaux et la fantasmagorie de l’écho des formes, des sons et des inscriptions gestuelles. La sélection des œuvres que comporte cette exposition présente des modèles de diptyques miroités ou des séquences monochromatiques dans lesquelles le cercle comme phénomène contradictoire devient un leitmotiv, que ce soit comme une répétition paradoxale du particulier avec une ambition universelle ou une généralité du particulier.

Une constante de la pratique de De la Mora réside dans l’utilisation d’objets spécifiques et du ready-made dans des organisations d’une seule couleur qui dialoguent avec l’histoire de la peinture moderne, l’art conceptuel et le minimalisme des années 60. Le flux d’enchaînements symboliques déployés par l’opposition ou la complémentarité des inscriptions qui mettent en évidence le son, les fragments d’œuf ou les mouvements imprimés dans l’usure d’une semelle, agit comme des partitions de variations de formes semblables qui s’expriment paradoxalement dans la différence. Une telle répétition de combinaisons déclenche des séquences de résonances, une sorte de continuum amorphe qui passe d’un support à l’autre, d’une série d’objets trouvés et manipulés à d’autres surfaces. Cela peut être la peinture d’un ancien haut-parleur dans lequel les sons reproduisent une forme indexée, ou des plumes de pintade sauvage qui expriment des modèles circulaires, tout en permettant de réfléchir aux déterminants génétiques dans leur relation avec les conditions de l’adaptation des espèces. L’association de ces séries par une relation de ressemblance exprime en fin de compte quelque chose d’invariable dans l’œuvre de Gabriel de la Mora : l’apparition singulière de ce qui est invisible à nos yeux.

Cette phénoménologie des présences et des phénomènes occultes reflète un paradoxe au sein duquel l’invisible s’affiche dans le particulier, c’est-à-dire dans la répétition et la différence face à la généralité universelle. En termes artistiques, cette esthétique laisse place à une approche analytique qui évalue la tradition constructiviste moderne et le littéralisme minimaliste, en passant à des postulats axés sur un modèle de visualisation dans lequel le monochrome révèle les latences et les images de l’invisible qui pourraient être des échos d’une vibration plus profonde, d’une répétition intérieure dans la singularité qui l’anime.

Grâce à cette sélection de quatre séries d’œuvres qui dialoguent avec la grande tradition constructiviste du monochrome, Gabriel de la Mora fait incursion dans l’expérience esthétique entre la répétition et la différence, le monochrome et l’image, l’objet et le son visuel. Chaque répétition ne se vit pas dans l’équivalence mais plutôt dans la différence, comme l’action d’intégrer une surface homogène avec des fragments de coquilles d’œuf, dans une destruction dont la fragmentation reflète le paradoxe de la répétition unique. C’est-à-dire l’élaboration systématique d’une forme géométrique y monochrome, apparemment universelle et néanmoins, unique et auratique. L’esthétique néo-constructive de Gabriel de la Mora tend à réhabiliter la notion métaphysique de la transformation constante. Sous ce parapluie philosophique, la seule éternité est le flux continu du monde, un enchaînement amorphe d’échos en résonance. Ce genre d’affirmations trouve aussi un « écho » dans les mots de Deleuze quand il indique que la répétition « met en question la loi, elle en dénonce le caractère nominal ou général, au profit d’une réalité plus profonde et plus artiste ».

Un cercle ne peut pas être vu comme général, mais comme particulier. À l’instar d’un écho, la différence autorise la ressemblance, mais dans la variation, jamais comme un substitut ou une loi. De même, plus qu’un système d’équivalences générales, quid pro quo, les échanges dans la répétition soutiennent plutôt un système organique de différences entre des caractéristiques. Un symbole de quelque chose de particulier, l’empreinte sur une semelle ou une toile, ne peut jamais être remplacé par un autre. Un écho est donc une relation de résonances, de répétitions, mais pas de remplacements. Un enchaînement de particularités, de mirages et de similitudes sans équivalences. L’écho est unique. Il s’agit du fantôme d’un son, ou d’un point de vue visuel, de l’image d’un objet. Selon Gilles Deleuze : « Si la répétition existe, elle exprime à la fois une singularité contre le général, une universalité contre le particulier, un remarquable contre l’ordinaire, une instantanéité contre la variation, une éternité contre la permanence.»

Le monochrome, un recours répétitif dans l’histoire de l’art, devient une expression de cette ambition persistante d’universalité, une éternité sans constance, des caractéristiques dont la répétition dans l’histoire de l’art devient un écho. Il s’agit donc d’une répétition fantomatique de la différence, un monochrome devenu image, l’exil qui survient lorsque l’universel devient particulier. Les œuvres de Gabriel de la Mora réinscrivent le passage du temps dans une image fulgurante, une latence qui se pose à l’instant où une totalité s’affiche à l’extérieur dans son effort de persévérance, un enchaînement d’échos au sein d’un continuum de répétitions dans une différence permanente.

Essai par Willy Kaultz