« Il arrivait que [Edvard] Munch très simplement se battait avec ses peintures. Il pouvait se jeter sur elles ; les déchirer ; leur donner des coups de pied[2]. Munch considérait les « endommagements » de ses œuvres comme partie intégrante de sa manière de travailler, tout en incluant, sur un plan conceptuel, en particulier par son remède de cheval, la possibilité permanente de l’échec: « [...] Attends que quelques averses soient passées dessus, qu’elle ait reçu quelques craquelures de clous et encore autre chose, et qu’elle ait été envoyée de par le monde dans toutes sortes de caisses misérables. [...] Oui avec le temps elle peut encore s’améliorer ! Il y manque juste quelques petites fautes pour vraiment devenir bonne. »

L’attaque physique de Munch contre une peinture et sa meurtrissure de la surface sont tout aussi inorthodoxes que son étalement des couleurs et ses expérimentations radicales avec le matériau et l’effet des conditions météorologiques sur ses œuvres. Il est un chainon décisif dans cette « Autre histoire des modernes » orientée sur le matériau, décrite par Monika Wagner, et dans cette lignée d’évolution qu’elle évoque, qui part de William Turner, Gustave Courbet, passe par Van Gogh, Pablo Picasso, Georges Braque et continue vers Jean Fautrier, Jean Dubuffet, Emil Schumacher et Jackson Pollock. La place du matériau dans l’art s’est déplacée au 20è siècle de façon marquante. Non seulement l’importance décisive de la matérialité pour les Modernes a été reconnue, mais on a aussi accordé une importante décisive à la physis des œuvres. Si Munch n’a abandonné la figuration dans aucune des nombreuses phases de son évolution, aucun artiste de l’avant-guerre n’a attaqué avec une telle radicalité l’intégrité matérielle de l’œuvre d’art, non seulement en l’« abîmant » mais en plus en laissant agir la nature au moyen de son remède de cheval jusqu’à l’anéantissement calculé de l’œuvre.

De même les œuvres de Rudolf Polanszky font partie de cette autre histoire des Modernes. De manière extrêmement conséquente il travaille avec des matériaux de production industrielle comme le plexiglas, la mousse synthétique, le polystyrène, la tôle, les films plastiques, les contreplaqués duplex. Pour cela il trouve ses matières premières sous forme de lambeaux ou restes, en particulier chez des ferrailleurs, sur des chantiers, ou dans l’espace public, ainsi les traces de leur manipulation antérieure et de leur utilisation demeurent gravées dans l’œuvre. L’artiste laisse encore vieillir en plein air certains matériaux comme les contreplaqués duplex, en les exposant au vent et aux conditions météo, à l’instar de Munch, jusqu’à ce que les traces de la nature aient produit la patine et la courbure appropriées sur les plaques. Il laisse agir la nature dans le sens de Munch « to summon quasi-random elements ».

Tout comme Munch avait consciemment exposé ses peintures au processus météorologique dès les années 1890, et tout comme il considérait ces traces climatiques comme une partie de son art. Cependant le processus météorologique s’avère dirigeable seulement sous certaines conditions. Le hasard joue autant un rôle dans les transformations de ses œuvres que les dégâts causés par le transport ou le maniement tels qu’ils sont acceptés par Munch, indépendants de sa volonté et de son jugement. Dans les « peintures à empreintes animales » de Polanszky qui se trouvent dans son atelier extérieur, des animaux errants tels qu’oiseaux, renards, martres, attirés par l’artiste avec des appâts, ont laissé leurs traces sur ses compositions quasi-géométriques et ses matières premières placées sur le sol. Ainsi l’action de la nature et les traces de passage imprimées sur le matériau deviennent l’ADN de ses œuvres processuelles.