L’été, deux voyelles et une simple consonne, mais si prometteuses, intenses et évocatrices d’une belle saison où la lumière inonde, les senteurs s’épanchent, la chaleur écrase et les couleurs éclatent. Parenthèse inspiratrice aimée des poètes et des écrivains où le temps suspend son vol à ces instants délicieusement bercés par le plaisir du laisser vivre propice à découvrir un autre monde, le regard des créateurs que l’été nous offre.

Praz-Delavallade invite en cette rentrée de septembre huit artistes à prendre possession des cimaises de la galerie. Huit généreuses personnalités qui nous gratifient d’une nouvelle moisson. Pas de lien particulier d’une artiste à l’autre, si ce n’est ce besoin de nous interpeller sur l’urgence de leurs inspirations, appel vibrant d’une exigence intériorisée faisant la part belle à une puissance imaginative. Elles interrogent le sens même de la visibilité des phénomènes et des regards que nous portons sur le monde. Leur art s’en fait l’écho à travers le prisme des valeurs qu’elles portent, politiques, scientifiques, culturelles ou éthiques faisant fi ainsi des codes traditionnels de la représentation picturale. Au-delà de la diversité esthétiques de cette exposition, la valeur dominante pour chacune des artistes tient définitivement dans leur capacité à affirmer leur choix,

Il ne s’agit pas de peindre la vie, il s’agit de rendre vivante la peinture

(Pierre Bonnard)

Il est des œuvres qui traduisent immédiatement l’urgence. L’urgence de dire, de faire, de voir à nouveau pour glisser sur les pentes abruptes d’un temps qui ne se donne qu’en contre-plongée. Ancrée sur la paroi, Carlotta Bailly-Borg défie cette gravité temporelle pour permuter l’horizon et, depuis son aval, fixer cette montagne qui nous a accouché; c’est donc tout ça la peinture, tout ça la vie. Puisant ses thèmes à travers l’histoire de l’art, la mythologie et la culture, ses œuvres déjouent systématiquement l’image pour en briser le pouvoir d’illusion. La physique impossible de corps flottants se résout dans l’ajout de sparadraps, la ligne claire vient contrecarrer le volume illusionniste d’un dégradé, l’espace de l’atelier tord la perception d’un tableau qui s’intègre dans un dispositif qui l’a déjà distancié. Carlotta Bailly-Borg ne s’émancipe ni n’assimile l’histoire par posture mais par sa position même. Figuration, abstraction, réalisme, minimalisme se conjuguent dans une pratique qui les embrasse sans hiérarchie. (extraits texte Guillaume Benoit).

Pauline Bazignan condense dans ses peintures et ses sculptures l’expression du temps. Elle mène des expériences picturales à travers lesquelles elle se laisse guider par la couleur qu’elle pose et enlève. Si on peut voir un vocabulaire floral dans sa pratique artistique, pour elle, il ne s’agit pas tant de peindre des fleurs que de faire surgir des formes et d’exprimer l’idée du temps, une certaine évanescence. Ses peintures renvoient à la fois à l’éclosion et à la finitude de la nature. Elle développe un processus qui l’amène à faire apparaître par l’effacement. En arrosant ses peintures, elle les fait éclore tout en les faisant disparaître. Dès ses premières œuvres, des lignes et des formes filaires surgissent. La forme ronde est née d’une recherche sur le monochrome. C’est par accident qu’est apparue une coulure, devenue alors une tige à partir de laquelle elle tourne, ce qui fait écho à un cycle temporel. (Extraits texte de Pauline Lisowski Sept 2019).

Mireille Blanc développe un travail autour des notions de perception, de rendu, et de sensibilité. À partir d’images sources qu’elle recadre, elle extrait des motifs aux tonalités un peu surannées, parfois même kitsch, qu’elle travaille en peinture ou dessin. Guidée par son intuition, ses peintures dessinent un univers passé au filtre d’un temps révolu dont certains éléments restent définitivement brouillés. Un travail qui porte en lui l’aspect énigmatique du réel. «Je peins la manière dont les objets du quotidien, à la fois étranges et familiers, m’apparaissent.» précise-t-elle. Partant de photographies personnelles ou collectées qu’elle choisit avec une grande part d’intuition, elle s’intéresse aux détails de fabrication de l’image en retravaillant les clichés, pour mener vers un entre-deux entre abstraction et repères mémoriels. (extrait texte revue point contemporain #17).

Gaëlle Choisne se saisit des enjeux contemporains de la catastrophe, de l’exploitation des ressources et des vestiges du colonialisme dans des installations opulantes qui mêlent traditions ésotériques créoles, mythes et cultures populaires. Sculptrice et vidéaste, elle tire de ses voyages les matériaux qui composent ses installations et ses films. Exotisme mercantile, imaginaires littéraires et croyances constituent les thèmes d’une œuvre dynamique, généreuse et sociale. Elle déroule, sous la forme de paysages en mouvement perpétuel, des ressources, procédés et agencements de problématiques culturelles et environnementales qui s’incarnent en microrécits d’histoires écrites ou en devenir. Les œuvres de Gaëlle Choisne sont constituées de significations symboliques ouvertes, faisant autant référence à l’histoire personnelle de l’artiste. (texte extraits dossier Biennale de Lyon 2019).

Maude Maris s’est fait connaître à travers une peinture silencieuse, à mi-chemin entre paysage et nature morte. Un ensemble d’oeuvres inédites où peinture, sculpture et architecture dialoguent intimement. La pratique développée par Maude Maris est singulière : de petits objets chinés sur les marchés aux puces ou trouvés dans la rue sont moulés en plâtre, ce qui permet à l’artiste de manipuler l’objet, de laisser place à l’inattendu et aux petits «accidents», Chaque oeuvre est le résultat d’un processus élaboré : réunir les objets, les mouler, créer une composition, la photographier et finalement peindre à partir de la photographie. Chaque étape ajoute un nouveau degré de distance, lisse les objets et crée un détachement que renforce la technique picturale. Le coup de pinceau est discret, les objets représentés dans des couleurs artificielles aux tonalités pastels. (Divers extraits texte de Nanda Janssen, écrivaine, curator at large).

Les propositions de Mélanie Matranga nécessitent un temps d’adaptation : non pas une adaptation intellectuelle ou théorique, mais bien une mise au diapason émotionnelle et sentimentale. Parcourues de fils, de flux et d’affects, ses œuvres engendrent une distance à négocier qui électrifie cet interstice entre la sphère privée et l’espace public, entre l’intimité et l’être-ensemble, entre l’introspection et la mise en scène de soi. Les peintures-sculptures ici présentées sont des codes utilisés pour afficher un rôle social, structures d’une intimité collective ainsi que les signes d’un système de communication non verbal mais très loquace qui avoue nos identités individuelles, collectives, sexuelles et sociales. Les mots, comme les vêtements, sont des outils nous permettant de nous présenter, d’échanger avec d’autres, de traduire nos personnalités et nos émotions, ils deviennent alors des allégories de nos mots qui ne représentent les choses ou nos sentiments que dans ce qu’elle·il·s ont de plus banal. (extraits texte Fondation Pernod-Ricard pour l’Art Contemporain).

Camila Oliveira Fairglough emprunte ses formes dans la culture visuelle environnante, traduisant le réel dans une langue familière toutefois très personnelle en transformant les mots en images. Son «abstraction trouvée» dégonfle le récit héroïque de l’art moderne en créant une place pour le mineur, l’échelle quotidienne et l’irrégularité de la main. Ironie du sort : les formes abstraites de l’art moderne, se voulant indépendantes du réel, ont fini par conquérir les codes de la signalétique urbaine, du design et autre packaging. Par un effet de retournement, c’est maintenant le réel lui même qui fournit les formes « abstraites » que s’approprie l’art. Les peintures de Camila Oliveira Fairclough ont cette qualité d’évocation de formes abstraites devenues figures familières mais qui brisent avec légèreté et ironie les oppositions classiques entre abstraction radicale, pop art et appropriationnisme. (Extraits texte de Pedro Morais).

Christine Safa use de coloris subtils, tendus entre ocre et bleu, transcris au sein d’une matière tantôt lisse, tantôt légèrement poudreuse. Ses tableaux sont traversés de lumière méditerranéenne, une lumière éprouvée régulièrement lors de ses séjours à Beyrouth, une ville dont est originaire Etel Adnan, artiste dont les compositions paysagères et abstraites stimulent sa sensibilité. Elle appréhende la peinture comme un discernement d’états émotionnels, dictés par la lumière ; sa couleur, son poids, sa substance, sa légèreté ou sa lourdeur, sa lumière qui donne un poids à la peinture, tel un soleil qui s’étend comme un crépuscule de poussière tremblante sur les figures et paysages. Les couleurs se superposent, se fondent, se grisent. L’usage de la poudre de marbre dans sa peinture lui permet de donner corps à cette puissance solaire, chaque peinture est une déclaration d’un moment donné, suspendu ; un instant de quiétude. (Extraits texte Marc Desgrandchamps)sa peinture lui permet de donner corps à cette puissance solaire, chaque peinture est une déclaration d’un moment donné, suspendu ; un instant de quiétude. (Extraits texte Marc Desgrandchamps).