Comment un tableau réalisé pour le Palazzo Vecchio de Florence peut-il se retrouver à Besançon dès le XVIème siècle ? Grâce au jeu des alliances politiques. Nicolas Perrenot de Granvelle était un proche de conseiller de Charles Quint auquel le duc Cosme de Médicis était redevable. En honorant le ministre, il honorait l’empereur, d’où ce prestigieux cadeau dont l’auteur n’est autre qu’Agnolo di Cosimo, mieux connu sous le nom de Bronzino.

L’artiste, qui est un des grands représentants du maniérisme florentin, passera la majeure partie de sa carrière au service du duc. Cosme et son épouse Eléonore de Tolède, appréciaient particulièrement son talent de portraitiste et son art très intellectuel. Avec cette Déploration, Bronzino signe l’un de ses chefs-d’œuvre pour une destination prestigieuse de surcroit, la chapelle privée de la duchesse. Preuve de l’estime que lui portait le couple ducal, le peintre fut chargé autant du retable que des fresques illustrant pour leur part des épisodes de la vie de Moise préfigurant l’Eucharistie. L’Eucharistie commémorant le sacrifice du Christ, la Déploration se trouve en point d’orgue, au-dessus de l’autel.

Dix-neuf figures pleurent ou commentent la mort du Christ. Marie, Jean, Marie-Madeleine, les saintes femmes, Nicodème et Joseph d’Arimathie sont présents comme le veut la tradition. Au-dessus de leurs têtes, un gracieux groupe d’angelots portent les instruments de la Passion. Cependant, Bronzino introduit des éléments plus inhabituels qui viennent enrichir la symbolique de l’œuvre. Ainsi deux anges se tiennent à terre, au côté de Jésus, l’un tenant un calice, l’autre un voile, symbolisant respectivement le sang du Christ et son linceul. L’intention de l’artiste n’est pas tant de représenter la tragédie de l’instant mais plutôt son message symbolique qui célèbre l’Eucharistie dans la parfaite continuité des sujets figurés sur les fresques.

La grâce de l’œuvre en atténue le caractère tragique. Le spectateur est ébloui par le dessin précis, le modelé sculptural, la minutie descriptive mais aussi par le métier virtuose de l’artiste dont la facture très lisse, semble presque émaillée. La palette chatoyante, les attitudes empruntées, les mises élégantes des protagonistes sont autant de traits qui rattachent cette œuvre au courant maniériste. Un courant qui se nourrit de références et Bronzino n’y fait pas exception. Les visages ronds aux yeux globuleux de même que l’espace compressé ou la posture de saint Jean sont des emprunts à son maître, Jacopo Pontormo. Le cerne qui souligne les figures évoque Filippo Lippi et le geste du poignet des deux femmes au-dessus de la tête de Jésus n’est pas sans rappeler Michel-Ange. Cependant les carnations au teint de porcelaine, les couleurs intenses sont bien la marque de Bronzino. La Déploration de Besançon contribue à légitimer le nouveau régime ducal en perpétuant la tradition florentine tout en lui donnant un souffle nouveau.

On comprend donc la faveur de Cosme de Médicis pour cet artiste. Peu de temps après la mise en place du retable dans la chapelle, le duc décida de l’offrir à Nicolas Perrenot de Granvelle. Ce n’était pas une manière de se débarrasser du tableau puisque Cosme en fit réaliser une copie par Bronzino lui-même, preuve de l’accueil favorable que reçut l’œuvre et de la volonté d’offrir un somptueux présent à celui qui joua un rôle important en sa faveur. De son côté, Perrenot de Granvelle saisit la valeur du cadeau et l’installa dans sa chapelle funéraire à l’église des Carmes de Besançon, d’où la présence de ce joyau de la peinture italiennes dans les collections du musée de la ville.