Du 9 Février au 30 Mars 2014, la galerie Selma Feriani – Tunis accueille Portrait Redux, une exposition qui rassemble des œuvres d’artistes locaux et internationaux autour de la question du portrait.

« Portrait Redux » car il s’agit d’explorer la résurgence d’un genre traditionnel et les modalités de son actualisation à travers une sélection originale de portraits et d’autoportraits modernes et contemporains déclinés en différents médiums - peinture, sculpture, dessin, céramique, photographie, vidéo et techniques mixtes.

Considéré comme le genre absolu de l’image, le portrait désigne dans son acception la plus large la représentation d’un individu – ou d’un groupe – qui oscille par rapport à la logique de la mimesis ou la ressemblance au modèle.

Avec l’apparition de la photographie et la révolution impressionniste, le portrait se renouvelle profondément. Il devient le genre privilégié de la pratique photographique comme en témoignent les archives des premiers studios ouverts en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient.

Dans les arts plastiques, il s’affranchit peu à peu des contraintes de la ressemblance. Les artistes n’hésitent plus à déformer, à styliser ou à malmener les figures dans une volonté de confrontation avec le réel.

Cette volonté s’affirme et se poursuit tout au long du XXe et du XXIe siècles. Le sujet représenté devient presque un prétexte à des expérimentations de médiums dont la nature même appelle de nouvelles interprétations du portrait.

Dans la présente exposition, dix-huit artistes de nationalités et de générations différentes déploient un large éventail de pratiques artistiques qui dialoguent entre elles. L’accrochage n’impose pas de parcours spécifique. Le visiteur est invité à naviguer parmi les œuvres et à tisser son propre sens de lecture.

Liste des artistes:

Farhad Ahrarnia (Iran, 1971)
Artiste iranien établi en Angleterre, Farhad Ahrarnia s’est fait connaître pour son travail autour des found images – littéralement « images trouvées » – en rapport avec l’histoire et l’actualité de l’Iran et plus largement du Moyen-Orient. Collectées à partir des médias locaux et internationaux, ces images – souvent des portraits de célébrités – font l’objet d’impressions numériques sur coton que l’artiste agrémente de broderies colorées. Cette technique alliant bricolage artisanal et technologie ajoute texture et substance aux images originales que l’artiste examine et déconstruit au fil de l’aiguille.

Aninat & Swinburn (Chili, 1973 | 1979)
Teresa Aninat et Catalina Swinburn forment un collectif d’artistes chiliennes qui réalise depuis 2002 des photographies, des vidéos et des installations performatives basées sur des actes rituels et symboliques souvent immortalisés sur des matériaux aussi divers que le marbre, le métal ou le papier. Ces performances mettent toujours en scène les deux artistes qui cherchent à interroger l’image en son rapport au religieux et à la société de consommation.

Ziad Antar (Liban, 1978)
Photographe et vidéaste, Ziad Antar explore les conflits et les mutations urbaines et sociales dans une approche rudimentaire et poétique.
Portrait Redux présente ses portraits de Haifa Wehbe et Hashem El Madani réalisés à partir de pellicules périmées que l’artiste a récupérées dans le studio Scheherazade de Madani, photographe libanais actif depuis les années 40 dans la ville de Saïda.
La pauvreté du matériau – la plupart des pellicules ont expiré au début de la guerre civile – permet à l’artiste d’obtenir des images évanescentes et presque irréelles où l’on devine à peine les traits des personnages.

Ali Bellagha (Tunisie, 1924 – 2006)
Membre de l’Ecole de Tunis, Ali Bellagha s’est illustré dans plusieurs formes d’art : peinture, dessin, gravure, sculpture, céramique. Inspiré du patrimoine national, l’artiste a développé tout au long de sa carrière une vaste galerie de portraits qui témoignent des quêtes d’identité et de liberté de l’époque.

Yesmine Ben Khelil (Tunisie, 1986)
A travers le dessin, Yesmine développe une large gamme de personnages fictifs ou réels qui suggèrent un sentiment de confusion, de violence ou d’absurdité. Son travail se base essentiellement sur des interventions à l’encre, au correcteur et au gel pailleté sur des séries de portraits issus des médias ou de l’imagerie populaire. Pour Portrait Redux, elle revisite des photos anciennes provenant des archives privées de Beit Bennani. Habib Bourguiba, Lamine Bey, Ali Riahi, Hassiba Rochdi et d’autres figures majeures de l’histoire politique, religieuse et culturelle tunisienne apparaissent ici sous un jour nouveau et inattendu.

Ymen Berhouma (Tunisie, 1976)
Ymen Berhouma travaille dans une technique mixte qui allie l’acrylique au collage et au décollage de papiers journaux ou papiers de soie peints et détrempés sur toile. Depuis 2007, elle expose des portraits grand format d’enfants ou de personnages androgynes au regard mélancolique rehaussés de couleurs vives et acidulées.

Bernard Buffet (France, 1928 - 1999)
Peintre expressionniste, Bernard Buffet impose son style dès la fin des années 40 à travers des natures mortes, des scènes de genre et des portraits de personnages hiératiques aux formes allongées et aux traits secs et anguleux. Ces derniers étaient exécutés dans une palette restreinte composée le plus souvent de gris, de noir, de vert et de bistre. Dans la plupart de ses portraits, les personnages arborent des corps chétifs, des mains crispées et des visages ridés aux expressions mélancoliques. Immédiatement reconnaissables, les œuvres de Buffet frappent par leur style dépouillé et poignant qui reflète les angoisses et les traumatismes de l’artiste marqué par le souvenir de la Seconde Guerre mondiale.

Jean Cocteau (France, 1889 - 1963)
Poète, dramaturge et cinéaste qui a marqué son siècle, Jean Cocteau s’est illustré également dans l’art du dessin et de la céramique en représentant des scènes de la vie quotidienne et des portraits d’amis artistes ou de personnages mythologiques et imaginaires qui révèlent un véritable talent de dessinateur. Portrait Redux montre une céramique de Cocteau exécutée à la fin des années 50 dans la poterie du couple Madeline-Jolly à Villefranche-sur-Mer ainsi qu’un dessin figurant un portrait de l’écrivain et ami de l’artiste, Jean Desbordes, croqué dans la position du dormeur que Cocteau considérait comme le modèle des modèles.

Georges Dorignac (France, 1879 - 1925)
Elève du portraitiste Léon Bonnat, Georges Dorignac a pris part aux activités de la Société Nationale des Beaux-Arts et du Salon d'Automne de 1922 à Paris. Peintre, céramiste et affichiste proche des membres de l’Ecole de Paris, il était reconnu pour ses grands dessins au fusain représentant des nus, des danseuses, des paysannes et des maternités aux formes sculpturales et aux visages expressifs imprégnés de symbolisme.

Hichem Driss (Tunisie, 1968)
Diplômé de l'école EFET à Paris, Hichem Driss est un photographe indépendant qui a longtemps collaboré avec des photographes réputés dans le milieu de la mode, du design, de l'architecture et de la photographie d'art. En 1998, il rejoint le studio Barguellil à Tunis, dédié à la photographie publicitaire et continue en parallèle ses recherches personnelles basées sur l’expérimentation de différentes techniques de traitement de l'image photographique. La présente exposition dévoile deux œuvres récentes de l’artiste qui documentent les portraits officiels de Ben Ali déchirés et jetés au lendemain de la révolution tunisienne.

Hatem El Mekki (Indonésie / Tunisie, 1918 - 2003)
Virtuose absolu du dessin, Hatem El Mekki a fait du portrait son sujet de prédilection. Ecrivains, politiques, et autres personnalités de l’histoire tunisienne ont été croqués par cet illustrateur prolifique et protéiforme aux influences multiples. Portrait Redux présente quatre œuvres inédites de Hatem El Mekki dont deux autoportraits au visage buriné et plein de malice de l’artiste.

Abdelaziz Gorgi (Tunisie, 1928 - 2008)
Considéré comme l’une des figures de proue de l’art moderne en Tunisie, Abdelaziz Gorgi a réalisé de nombreuses sculptures représentant des personnages déformés et allongés saisis dans un mouvement libre et aérien. Ces portraits en trois dimension, non dénués d’humour et de poésie, prolongent en quelque sorte les célèbres dessins de l’artiste.

Ali Kazim (Pakistan, 1979)
Dans ses dessins et peintures, Ali Kazim représente des corps d’hommes vaporeux et fragiles dans une technique singulière. Celle-ci est basée sur des actions répétitives et méticuleuses qui consistent à étaler plusieurs couches de pigments sur le papier et à les laver successivement à l’eau de manière à accentuer la texture du support et à obtenir un aspect diaphane. Cette technique qui rappelle beaucoup les rituels religieux de purification, renforce la dimension introspective et transcendantale inhérente à son travail. Dans Portrait Redux, l’artiste présente un autoportrait de profil d’une intimité et d’une pureté saisissantes.

Nicène Kossentini (Tunisie, 1976)
Photographe et vidéaste, Nicène Kossentini interroge l’histoire tunisienne et la mémoire individuelle et collective. Pour Portrait Redux, elle expose sa vidéo Revenir construite autour d’un portrait de famille.

« Revenir est une photographie animée, extraite du même album de famille d'où j'ai pris les portraits de Boujmal. Cette photographie avait été prise un jour de 1959 devant une maison de la médina, la vieille ville de Sfax. Au premier plan de la photo, ma mère - enfant - ses cousins et cousines, son oncle. En arrière-plan, une petite fille sur le seuil de la porte, voilée par l'ombre du mur, fixe l'objectif. J'avais demandé à ma mère l'identité de cette fille, mais elle ne la connaissait pas. Ainsi, la petite fille au visage indéchiffrable a été prise dans la photo souvenir sans y être invitée. Elle existe dans la photo mais son identité est désormais voilée, cachée comme un fantôme. Avec Revenir, il s'agirait alors d'un retour vers une enfance lointaine pour explorer des zones inconnues de la mémoire. » La photographie comme moyen de réminiscences, entretien de Marian Nur Goni avec Nicène Kossentini, 2011

Marie Laurencin (France, 1883 - 1956)
Révélée par Picasso et Apollinaire, Marie Laurencin s'est distinguée par ses peintures et aquarelles figurant des femmes et des jeunes filles aux formes allongées et au regard mélancolique. Souvent affublés de perles ou de fleurs, ses personnages symbolisent un certain art de vivre dans le Paris mondain et insoucieux des Années Folles. Dans Portrait Redux, une étude pour une aquarelle de Laurencin montre une ronde de jeunes filles costumées accompagnées d’un chien. Ponctués de pastels délicats, leurs courbes gracieuses et leurs traits épurés ne sont pas sans rappeler les fameux dessins de Jean Cocteau.

« Mes femmes sont d’abord des filles et elles deviennent toutes des princesses ». (M.L.)

Mimmo Rotella (Italie, 1918 - 2006)
Mimmo Rotella a fait partie du groupe des Nouveaux Réalistes aux côtés de Raymond Hains, Jacques Villeglé et François Dufrêne. Ses premières affiches lacérées datent du début des années 50. A cette période, il décolle surtout des tracts dans les rues de Rome avant de passer aux affiches figuratives en rapport avec le cirque et les films d’Hollywood et de Cinecitta.

« Arracher les affiches des murs est la seule compensation, l’unique moyen de protester contre une société qui a perdu le goût du changement et des transformations fabuleuses. Moi, je colle des affiches, puis je les arrache : ainsi naissent des formes nouvelles, imprévisibles. Cette protestation m’a fait abandonner la peinture de chevalet. » (M. Rotella, Rome, 1957)

Massinissa Selmani (Algérie, 1980)
Massinissa Selmani est un artiste algérien qui vit et travaille en France. Ses œuvres se distinguent par une économie de moyens et une sobriété qui en font des contrepoints à la prégnance des images médiatiques. Dans Portrait Redux, deux dessins de l’artiste reviennent sur la violence des médias et le récent phénomène des selfies, ces autoportraits réalisés avec des téléphones portables et téléchargés sur les réseaux sociaux.

« Ma démarche, tout en se voulant une expérimentation du dessin, porte un intérêt particulier à l’actualité, ses moyens de médiatisation et à la fabrication des images qui en résultent. Je tente une approche qui reprend des codes du photojournalisme, du documentaire, de l’archive, et même du dessin de presse où une tension entre comique et tragique est souvent en jeu. Dans la confrontation au réel, parfois tragique, je privilégie une réflexion à l’opposé du spectaculaire, souvent satirique, en allant vers une économie de moyens techniques. » (M.S.)

Malick Sidibé (Mali, 1936)
Surnommé « l’œil de Bamako », Malick Sidibé s’inscrit très tôt dans la tradition du portrait avec l’ouverture de son propre studio de photographie en 1962, dans le quartier populaire de Bagadadji. Jusqu’à aujourd’hui, il y pratique la photo d’identité parallèlement aux portraits de groupes ou d’individus immortalisés dans des mises en scène simples et cocasses. Ses portraits qui documentent les tendances vestimentaires, les mœurs et les objets-cultes de différentes générations de Maliens, font depuis quelques années l’objet d’un engouement international. Malick Sidibé a été récipiendaire du prix de la photographie Hassselblad en 2003.

Raed Yassin (Liban, 1979)
Raed Yassin travaille dans une approche multidisciplinaire, jonglant entre la musique, la photographie, la vidéo ou encore la performance. Ses œuvres explorent principalement la mémoire collective et la culture populaire arabe à travers un travail de réappropriation d’images issues des médias de masse ou des archives personnelles de l’artiste. Dans la série Self-Portrait with Foreign Fruits and Vegetables, Raed revisite le genre classique de l’autoportrait en posant torse nu avec des légumes et des fruits comme seul ornement. L’idée de cette série lui est venue lors de sa résidence à Amsterdam où l’artiste s’est intéressé par le biais de la nourriture aux différences culturelles entre le monde arabe et les Pays-Bas.