La férocité est la caractéristique des animaux sauvages et aussi celle des humains qui deviennent violents, déshumanisés et féroces. Il est rapide de devenir féroce et il est aussi facile de réduire un être humain à ses dimensions biologiques, à ses besoins. Le témoignage qui suit est éloquent et montre comment l'intersection entre les systèmes économiques et sociaux est une règle d'or, maintenue entre oppresseurs et opprimés :

« Huit semaines - reprend le soldat barbu - huit semaines et tout ce qu’il y a d'humain dans l’homme disparaît. Les Kaibiles ont trouvé une façon d'annuler la conscience. En deux mois, il est possible d'extraire d'un corps tout ce qui le différencie de l'animal. Ce qui fait qu’il distingue le mal, le bien, la modération. En huit semaines, vous pouvez faire de Saint François un assassin capable de tuer des animaux avec les dents, de survivre en buvant son urine et d’éliminer des dizaines d'êtres humains sans même se soucier de l'âge des victimes. Il suffit de huit semaines pour apprendre à combattre sur tous les terrains et dans toutes les conditions météorologiques, et pour apprendre à se déplacer rapidement en cas d'attaque de l’ennemi. [...] Les Kaibiles sont l’unité d’élite anti-insurrection de l'armée guatémaltèque. Ils sont apparus en 1974, quand a été créée l'École Militaire qui allait devenir le Centre de Formation et des Opérations Spéciales Kaibile. Ce sont les années de guerre civile guatémaltèque, années au cours des quelles les forces gouvernementales et paramilitaires, soutenues par les États-Unis, se retrouvent face à première guérilla désorganisée, puis au groupe rebelle Unité Révolutionnaire Nationale Guatémaltèque. C’est une guerre sans trêve. Des étudiants, des travailleurs, des professionnels libéraux, des politiciens de l'opposition tombent dans les filets des Kaibiles. Tout le monde. Des villages mayas sont rasés, les paysans sont abattus et leurs corps abandonnés à pourrir sous un soleil inclément. »

(Zerozerozero de Roberto Saviano, Ed. Companhia Das Letras, pp.90-91)

Survivre dans les zones socio-économiques où l'inégalité, la tyrannie et la peur prédominent, c’est la survie limitée et déterminée par les systèmes oppresseurs. L’une des manières d'échapper à l'oppression massive est de travailler pour le système, c’est d'aider les machines oppressives (devenant informateur, tortionnaire etc). Une autre façon est d'adopter les conditions des violences pseudo réparatrices : voler, tuer, torturer ceux qui ont l'argent (peu importe combien), en formant des escadrons et des gangs violents.

Pour se maintenir, les sociétés oppressives utilisent des clandestins, elles créent des bêtes féroces ; ce fut ainsi, par exemple, dans les années de dictature au Brésil, en Argentine, en Uruguay, au Chili, avec la formation de tortionnaires, à tel point que c’est maintenant le même support résiduel que l’on retrouve dans le trafic de la drogue, des armes et du sexe. Un regard attentif sur les bidons-villes, les communautés à faible revenu, révèle cette mosaïque. De la même façon, en Europe de l'Est (ex-Union soviétique et ses satellites), après la Perestroïka, nous avons vu les anciens dirigeants et les responsables politiques, « cadres prometteurs du parti » organiser des opérations millionnaires : réseaux de trafic d'armes, de drogue et de traite des femmes. Pour effectuer ces opérations, il est nécessaire de vider l'humain et de créer des animaux sauvages capables de maintenir l'entreprise. Les médias y contribuent et il est essentiel de générer et de maintenir des désirs : la bonne nourriture, les vêtements de marque et tous les modèles de la consommation et du style dont on fait la propagande.

Chaque fois que les limites et les restrictions de ce qui se passe dans le présent, dans la situation socio-économique ne sont pas acceptées nous en sommes réduits à la survie, à la satisfaction des besoins et ainsi sont créés des êtres complexés, des gens qui se sentent inférieurs de ne pas être riches, de ne pas avoir eu les jouets vus à la télévision, de ne pas habiter dans des appartements comme ceux des gens qui ont plus d’argent. C’est le début de la structuration de la férocité, renforcée par la suite, rendue efficace par des variantes de l’oppression définies par le système, par les familles.

Ce processus de non acceptation fixe des objectifs, des désirs de réalisation, qui font que l’on n’a plus les pieds sur terre (on s’extrait du présent) qui font que l’on s’accroche aux désirs (aux objectifs) que l’on se maintient dans des illusions d'amélioration et à quoi que ce soit que l’on considère comme salvateur, cela va d’exercer la torture pour maintenir l'ordre social, à la vente de drogues et d'armes pour être en mesure d'amasser le premier million de dollars. C’est l’anéantissement humain généré par l'appât du plaisir, des paradis promis et des nirvanas créateurs de bêtes sauvages, autant que martyrs (ceux qui se font sauter avec des bombes), l’anéantissement maintenu et élargi par des systèmes et des situations d'oppression.

Traduit du portugais par Gilda Bernard