Depuis des décennies, le découplage entre citoyens, économie, finance et démocraties s’est constitué. Il est aujourd’hui consommé.

Etat des Lieux

Les banques centrales sont restées à la fenêtre pendant que l’économie tombait aux mains de la finance, et que la finance, à l’abris dans les paradis fiscaux, se constituait en “pouvoir supranational effectif”.

Citoyens et démocraties sont devenus les sujets (les objets ?) de ces entités qui ont pris le pouvoir. Les premiers y ont perdu le contrôle de leur environnement personnel, social, économique, politique. Les secondes se sont retrouvées coquilles vides auxquelles il ne reste plus que l’apparence de se gouverner. Les véritables “gouverneurs” ont de fait passé les frontières, pour se libérer de ces lois qu‘au cours de la seconde moitié du XIXème siècle les citoyens s’étaient donnés pour gouverner leur “espace social”, comme faire se peut, démocratiquement.

La planète, unique lieu de vie de l’humanité, en fut la première victime, comme aujourd’hui sous les yeux de tous. Avec la crise sanitaire qui se poursuit, c’est au tour de l’être humain à en faire ouvertement les frais.

Quels sont les instruments de ces pouvoirs évadés et totalitaires aujourd’hui à l’œuvre dans les démocraties européennes ? Un parlement qui abdique devant l’exécutif, un exécutif qui abdique devant les lobbies, un judiciaire qui abdique le droit et plie devant la force des intérêts en présence, une presse qui s’impose à elle-même la censure. Le clientélisme, sa sœur la corruption, le chantage et l’intimidation (dont quelques homicides au passage) ont fini par sceller la mort de nos démocraties.

Comment cela a donc été possible ? Trompant les citoyens, les quatre pouvoirs, formellement “séparés” dans les démocraties, proclamaient viser croissance économique et bien-être social. En réalité, ils ont activement entravé cette transparence indispensable à une gestion démocratique de la société. Absorbés, ils abdiquaient, d’abord cooptés de l’extérieur par les lobbies, puis, de l’intérieur, par le clientélisme.

Le coup de grâce a été asséné en trois étapes : la crise financière de 2008 en Occident, la crise des déficits européens qui a sacrifié la Grèce, berceau de la démocratie (et ce n’est pas un hasard) et à présent a crise sanitaire du coronavirus, arme de guerre à échelle planétaire.

Définitivement ? Il reste quelques résistants en défense de nos institutions en Europe. En Italie, en une semaine début février 2021, la police financière a séquestré une valeur de plus d’un demi-milliard d’euro aux organisations criminelles. Et le parquet de Milan vient aussi de siffler la fin de la partie en imposant aux sociétés qui “utilisent” les courriers livreurs des contrats d’emplois : 60.000 nouveaux contrats d’emplois, et des millions de pénalités pour ces sociétés qui faisaient librement, hors la loi (elles le contestent), “usage” du “capital humain”.

Quant à la démocratie américaine, directement attaquée, elle vient de relever, orgueilleusement, la tête. La menace toutefois continue de planer.

Du bon et du mauvais déficit

Fondé sur l’idée moyenâgeuse de la “dette” comme “faute” (en France, la prison pour dettes n’est abolie qu’en 1867), le concept de bonne et de mauvaise dette tente de s’imposer. S’il n’est pas erroné de distinguer les bonnes des mauvaises dettes, … tout dépend de la définition de ce qui est “bon” ou “mauvais”.

Selon le nouveau dogme :

  • La mauvaise dette serait celle qui bloque des capitaux pour maintenir en vie des entreprises ou des programmes sans futur. Mais à quoi doivent servir les “entreprises” ? Qu’est-ce que le “futur” ? Et à qui est-il destiné ?
  • La bonne dette serait celle qui canalise les capitaux pour sauver et développer les programmes et entreprises innovatives. Mais des programmes et entreprises innovatifs dans quel but ? Avec quelle consommation des ressources ? Et au service de qui?

Investir pour renforcer l’instruction et le développement soutenable fait certes partie des “bons déficits des finances publiques”. Renforcer le “capital humain” est par contre déjà un objectif beaucoup plus discutable. Car il faudrait d’abord définir au service de qui et de quoi ce “capital” est “utilisé”.

Rapidement en effet, le nouveau concept a fait dévier le discours à des fins idéologiques. En qualifiant le soutien au tissu social de “mauvaise dette”, l’esclavage des citoyens semble à portée de la main. Manque en effet généralement dans le discours concernant les “bonnes dettes” toute référence au renforcement d’un tissu social qui réduise les inégalités financières et restaure l’égalité effective des chances, condition nécessaire de tout système libéral démocratique.

Qu’il suffise de constater que parmi les colons au Congo au XIXème siècle, ceux qui étaient magistrats ont des descendants magistrat, ceux qui étaient policiers ont des descendants policier, ceux qui étaient banquiers travaillent pour des banques et ceux qui partirent pour en exploiter les ressources sont aujourd’hui à la tête d’entreprises … et les mêmes conflits sanglants d’alors ont encore cours de nos jours. Quant à l’échelle sociale, elle s’est absentée depuis un siècle, situation qui s’est encore aggravée ces dernières années.

En réalité, les véritables mauvaises dettes qui affectent les finances publiques sont constituées, non certes des dépenses sociales mais :

  • de la corruption qui détourne les fonds de leur usage public;
  • des escroqueries qui affaiblissent infrastructures et services publics;
  • de la fraude sociale organisée par laquelle des entités économiques utilisent les citoyens à leur bénéfice propre au détriment de leurs employés et de ces mêmes finances publiques ;
  • de la fraude fiscale organisée qui, évadée et mise hors de portée des magistrats dans les paradis fiscaux, transfère le pouvoir effectif à l’extérieur des frontières et des parlements, spolie les citoyens au risque de leur vie et transforme les démocraties en coquilles vides.

En résumé, c’est la criminalité organisée1, sous toutes ses formes, le principal fauteur des mauvaises dettes. Et force est de constater que si la crise sanitaire se serait (peut-être) produite, elle n’aurait certainement pas eu l’ampleur qu’on observe aujourd’hui sans la criminalité organisée. Le crime organisé, un ennemi beaucoup plus redoutable, pour les citoyens et leurs démocraties, que le Coronavirus.

1 Définition légale de l’organisation criminelle dans l’Union Européenne : “Une association structurée, établie dans le temps, de plus de deux personnes agissant de façon concertée en vue de commettre des infractions punissables d’une peine privative de liberté (…) d’un maximum d’au moins quatre ans ou d’une peine plus grave, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel”, Décision cadre 2008/841/JAI du Conseil du 24/10/08 relative à la lutte contre la criminalité organisée.