Dans la tourmente actuelle, où une réforme succède à une autre réforme, je ne sais pas, je ne sais plus, si un Etat de droit subsistera encore longtemps.

(Eliane Liekendael, Procureur Général près la Cour de Cassation de Belgique, Mercuriale, octobre 1998)

La confrontation entre une planète grande ouverte d’une part, et nos capacités limitées à absorber cet espace en tant qu’individu ou société de l’autre, a fait exploser de nouveaux risques.

On qualifie souvent le 20ème siècle de « siècle le plus violent de l'histoire de l'humanité ». Si c'est le cas, c'est très probablement parce qu'il a vu la planète se transformer en village, avec une forte augmentation de la densité de la population et une capacité de « mettre en relation »1 multipliée par le développement technologique. Ces tendances, loin de se ralentir, semblent aujourd'hui encore s'accélérer. Avec les guerres successives du Moyen Orient à l’Asie centrale, le XXIème siècle, en terme de violences, risque à présent de battre le XXème.

La chute du Mur de Berlin a mis fin à la division « idéologique » bipolaire de la planète avec la levée des « barrières concrètes » qu'elle suscitait. Le développement exponentiel des communications a déterminé l'émergence de risques, nouveaux sinon à tout le moins accentués. Les attentats du 11 septembre ’01 aux Etats-Unis ont mis ces risques brutalement en lumière.

Trois facteurs se dégagent comme principales menaces pour la stabilité d’une l’Europe qui peine à rester démocratique.

1. La confrontation entre, d’une part, la faiblesse des structures étatiques face aux pouvoirs financiers et, de l’autre, l'exigence croissante des citoyens pour un consensus démocratique.

L'ouverture des frontières et, plus particulièrement, la rapidité de circulation des capitaux permettant - de fait - accroissement et déplacement des ressources financières hors toutes règles, a provoqué une perte de pouvoir des normes (le respect des lois...) et des institutions (les Etats, les pouvoirs publics…) qui expriment le consensus social, et ce au profit d’entités privées qui contrôlent ces richesses.

Afin d’échapper à tout contrôle démocratique, ces dernières ont parqué « leurs » avoirs dans les paradis fiscaux, capitaux au service de personnages camouflés qui se meuvent en réseau, refusant de les restituer aux nations qui en ont été spoliées, aujourd’hui exsangues de ces pertes cumulées. Ces détenteurs ont de surcroit obtenu la protection des gouvernements européens. Reste à établir par quels moyens ces gouvernements élus refusent avec obstination d’aller récupérer ces ressources, produits des criminalités communes et financières confondues, captées ou détournées du pouvoir des Etats.

Au même moment toutefois, un accès plus généralisé à l'information et à l'éducation suscite une exigence démocratique croissante des citoyens.

L’illustre la résistance du peuple Français qui, à huit reprises déjà et en plein été (2021), descend dans la rue contre le « pass sanitaire », cet instrument qui, en violation de la Convention Européenne des Droits et des Libertés Fondamentales, contrôle et organise la ségrégation des populations au mépris de la sécurité et de la santé des citoyens2 . Le terme « sanitaire » a de fait pour objet d’isoler les citoyens qui ont compris cet usage détourné d’une pandémie dont curieusement personne ne réussit à identifier ni l’origine ni les moyens de diffusion (l’intention criminelle étant à priori exclue du champ des investigations …) et de priver de biens publics (culture, éducation…) ceux qui refusent de se laisser manipuler et de plier.

Cette confrontation entre "force de l'argent" et "volonté démocratique" se traduit en termes de fractures socio-économiques croissantes. Ces dernières prennent diverses formes, tel le chômage, des écarts accrus entre revenus au sein des Etats, l’expansion des « mafias » tantôt sous couvert d’une légalité apparente (pouvoirs économiques, politiques…3 acquis par des procédés ou avec des fonds illégaux…), tantôt trahies par des actes visiblement violents (règlements de compte…).

Tous facteurs que la gestion de cette « étrange pandémie » n’a fait qu’accroitre, tout en les occultant. Le chômage est masqué par des bataillons de contrôleurs pour remplacer les emplois productifs perdus. La ruine économique des ménages, commerces et petites entreprises est masquée au moyen d’une pluie de cadeaux financiers (indemnités de tous genres, bonus aux restructurations, aux vacances, suppression de taxes voitures, etc. etc.) … le tout à crédit des budgets publics, et en conséquence des citoyens eux-mêmes. Ces moyens engagés occultent en réalité la destruction des commerces et PME au bénéfice de ceux qui les rachètent avec des capitaux parqués dans les paradis fiscaux. Les biens durables (immobiliers, commerces, entreprises familiales, …) passent de main. Entre-temps, l’inflation gonfle en dehors des regards de ceux qui en seront victimes. CQFD.

De telles fractures sociales multiplient les risques de conflits internes qui, dès à présent, s’expriment dans nos pays démocratiques par une violence à des degrés divers (vandalismes, agressions …4).

2. La confrontation entre une circulation accrue des biens, des personnes, des informations, et un repli identitaire en réaction aux intrusions qui en découlent.

La circulation des biens, des personnes et des informations a profondément pénétré les cultures, à un rythme d’autant plus difficile à soutenir pour les populations que ces dernières étaient auparavant isolées géographiquement (pays en développement, ayant un faible accès aux technologies…) ou socialement (populations à faible degré d’éducation, pauvreté…).

Ce processus a pavé la voie au développement « d'idéologies » identitaires (« -ismes » : lobbyisme, régionalisme, nationalisme, fondamentalisme...). Les mouvements d’extrême-droite fondés sur des critères « nationaux » (Vlaams Bloc en Belgique, ETA au Pays Basque, Casa Pound en Italie…), xénophobes (en France, en Allemagne, Lega Nord en Italie…) en Europe, les extrémismes religieux ailleurs (ISIS, et ses innombrables déclinaisons fondamentalistes…) en sont autant d’exemples.

Cette confrontation entre libertés de circulation et replis identitaires multiplie les risques de conflits internes/locaux, régionaux et/ou transfrontaliers, sectoriels (idéologiques, économiques...) ou globaux. Conflits latents ou sporadiques dans nos démocraties, ils ont ces dernières années pris forme aiguë jusqu’aux portes de l’Europe5.

3. Une troisième source de risques pour la stabilité de l'Union Européenne provient, plus traditionnellement, de « l'extérieur ».

Elle se distingue par un double mouvement : d’une part, la « contamination » de l'UE par les désordres qui se développent à l'extérieur de ses frontières ; d'autre part, le risque de projection de la force visible et moins visible contre ses frontières, et ce dès à présent au moyen de techniques de désinformation accompagnées de manipulations informatiques de toutes natures.

L'anarchie dans les territoires de l'ex-URSS au détriment de structures étatiques efficaces et prévisibles, favorisant le développement d'un « capitalisme sauvage » allié au fil des ans à celui de milieux économiques anglo-saxons, a fini par contaminer le reste de l'Europe6. On est aujourd’hui en droit de se demander si c’est l’Europe de l’Est qui a adhéré à l’Union Européenne, ou la UE qui se fond progressivement dans ce qui fut l’Europe de l’Est.

Cette nébuleuse a su à son tour se rallier tout à la fois les mouvements nationalistes latents en Europe et la conscience de la faiblesse de nos sociétés, l’un et l’autre à la recherche de « sauveurs de la patrie ».

La crise Tchétchène au tournant du millénaire présentait déjà un clair exemple de ce risque de désintégration interne, lorsque les crises de nationalités se déroulent à l'intérieur de structures étatiques fragilisées au point de laisser le champ libre à des « pouvoirs privés » de diverses natures.

En Afghanistan, l’effondrement durant l’été 2021 de ce qui commençait à se constituer Etat dessine le futur d’une Europe qui continuerait à se révéler incapable de s’organiser dans le respect et au service des valeurs qui la constituent depuis plus de deux millénaires.

Les risques de conflits frontaliers, par projection de la force contre nos territoires persistent tant à l'Est (Crimée, Ukraine) qu'au Sud (Lybie, cette autoroute des trafiquants d’êtres humains au service du meilleur payant) de nos frontières. Mais là l’usage de la force ne se fait plus toujours voir par une violence dans la durée. Depuis un demi-siècle, dans l’Union Européenne, on n’en perçoit plus que le symptôme : ce « terrorisme », qui semble tantôt provenir de l’intérieur tantôt de l’extérieur, et dont les causes sont parcourues de questions interdites. Nombre de ceux qui ont osé les poser ont fini par y laisser la vie.

Des questions interdites ? C’est sans doute parce qu’elles furent interdites que personne en Occident n’avait vu arriver le Printemps Arabe, et que personne sur le terrain semble avoir vu en temps utile arriver l’effondrement de l’Etat Afghan. Personne, vraiment personne ? … Encore une question interdite. Ces interdictions existaient déjà dans les années qui suivirent la chute du Mur de Berlin, et dans celles qui la précédèrent. Ceux qui les posaient ne faisaient pas carrière … des interdictions qui mènent inexorablement l’Europe à la décadence….

Dans de telles circonstances, il va de soi que le continent européen est devenu un oiseau pour le chat. De surcroit, en regard de ces risques multipliés, la capacité de nos démocraties à se défendre s’est encore affaiblie.

Car la capacité de se défendre d’une communauté est directement dépendante de la cohésion sociale autour des valeurs qu’elle défend7. Peu importe les valeurs défendues. Importe la volonté de les défendre. La « marche des Talibans sur Kaboul » en est l’exemple le plus éclatant. Leur capacité future de gouvernance risque, a contrario, d’en donner ultérieur exemple : il n’existe pas, en effet, de cohésion sociale entre les « nouveaux » maitres du territoire et la population, comme le démontrent les centaines de milliers de réfugiés en fuite ces dernières semaines.

En Europe, cette incapacité à incarner les valeurs dans la gouvernance afin de pouvoir prendre appui sur la cohésion sociale pour gouverner, incapacité conjoncturelle du moins faut-il l'espérer, est due au fait que l'Union Européenne se caractérise actuellement comme un espace :

  • qui a perdu le sens de ses valeurs, sa raison d'être, dès lors la raison de se préserver et de se défendre ;
  • qui remet en cause son territoire8 ;
  • qui se prépare à réviser à nouveau ses structures9, de fait inadéquates, révisions toutefois dépourvues de projet politique, avec pour conséquence que tout changement manque dés le départ de crédibilité et échoue à acquérir l’adhésion des citoyens indispensable à toute démocratie (succession de conférences inter-gouvernementales qui ne cessent d’éviter de répondre aux véritables problèmes).

Le consensus mou qui a accompagné l’essor de la « société de l’information » a, concomitamment, laissé écarter les hommes capables d'analyser les changements en cours et ceux capables de choisir et d'agir, car ils eussent remis en cause les options, les idéologies et les collusions si largement et confortablement partagées.

La 5G s’apprêterait-elle à parfaire le contrôle, et le pass (soi-disant) sanitaire à sélectionner les plus dociles après avoir mis à l’écart neutraliser ceux qui ne plient pas ? La gestion de la pandémie impose ces questions. Plutôt que de rassembler dans la lutte contre un virus envahisseur, cette gestion accentue les fractures dans la cohésion sociale et dresse les citoyens les uns contre les autres, selon l’adage bien connu : « diviser pour régner ».

De la conjugaison de ces circonstances naît une vulnérabilité particulière de l'Europe démocratique face aux courants qui se découvrent. Une situation qui, si on n’y prend garde, risque de dégénérer en révoltes ou révolutions, comme nombre de pays en développement en ont déjà donné le signe. Le destin du Printemps Arabe risque, pour l’Europe aussi, de devenir prémonitoire. Pour mémoire, provoquer la révolution est le moyen le meilleur pour justifier la contre révolution.

Les attentats du 11 septembre 2001 ont donné figure à un « ennemi » jusqu’alors multiforme et insaisissable. Ils n’ont cependant pas secoué les torpeurs. Ils ont par contre donné le coup d’envoi aux régimes de la peur, peur du terrorisme, peur du virus. Et, comme chacun sait, la peur est mauvaise conseillère. Dans les Etats non-démocratiques, la peur est aussi un instrument de gouvernance.

On ne peut sauver de la décadence un peuple contre lui-même, incapable de résister parce que dépourvu de la volonté de résister pour défendre ses valeurs. Cela s’applique aussi à l’Union Européenne, comme l’effondrement de l’Afghanistan vient encore, prémonitoirement, de le démontrer.

Un plan au long cours, poursuivi sans foi ni loi, au nez et à la barbe de citoyens prêts à vendre leur santé, leur sécurité et leurs libertés pour obtenir autorisation de partir en vacances. A ce jour l’Europe démocratique perd son âme en dérives sécuritaires. Les manifestations en France patrie des droits de l’homme seront-elles suffisantes pour faire naitre de cette situation « nouvelle », plus de démocratie et plus de transparence10, préservant les libertés tout en y gagnant en sécurité ?

D'où l'urgence de répondre en termes d'analyse, de choix politiques, et d'hommes capables de convaincre et d'agir. Les citoyens doivent se réveiller. L’Europe doit retourner à l’atelier.

Il n’a fallu que mettre à jour les illustrations … cet article a été publié en 200211. Tout était déjà prévu et prévisible. … Depuis vingt ans, ils se comptent sur les doigts de la main, ceux qui s’efforcent de changer « ce cours de l’histoire », pour construire une Histoire digne de plus de deux millénaires de civilisation européenne.

Notes

1 La circulation des personnes, biens, capitaux, informations met davantage d’« acteurs » en relation; elle permet aussi de savoir davantage ce qui se passe ailleurs, sources de nouvelles inter-relations.
2 Il n’en fallait pas davantage que l’extension à douze mois (Italie, aout 2021) d’un green pass prétendument calibré sur une immunité de neuf mois, et ce précisément au moment où les dernières études envisagent que l’immunité produite par le business des vaccins serait réduite à six mois. Green pass, un instrument de contrôle des population destiné à propager la contagion au bénéfice du business de la pandémie et du totalitarisme des « mesures d’urgence », curieusement de plus en plus fallimentaires… une question interdite de plus en plus pertinente.
3 En témoigne nombre « d’affaires » de ces vingt dernières années.
4 Raufer Xavier, La vérité sur Marseille ! 27 août 2021.
5 Des Balkans à l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan.
6 Il y a plus de vingt ans, le scandale de la Bank of New York avait déjà démontré combien les « Seigneurs du Crime », comme les désigne Jean Ziegler, ont réussi à pénétrer le système financier occidental. La police anversoise a pour sa part constatée que des bâtiments entiers, sinon tout un quartier, étaient passés aux mains de ces mêmes « seigneurs », désignant ainsi l’emprise de ces réseaux sur la vie quotidienne de nos cités.
7 Defense against terrorism, Enhancing Resilience of Democratic Institutions and Rule of Law, ed. Coen Myrianne, Nato Science for Peace and Security Serie, IOS press, 2019.
8 Le territoire, c.à.d. l'espace à défendre, pour ce qui concerne l’Union Européenne, ébranlé par vingt ans d’ élargissements successifs, suivis de sécession/Brexit.
9 Les institutions, c.à.d. les infrastructures pour penser et agir.
10 Echange d’informations entre services de police et de renseignements, mandat européen d’extradition…
11 Principaux facteurs de risques pour l’Union Européenne, ds Contact n°123, Institut Royal Supérieur de Défense, Bruxelles, janvier 2002, pp. 131-136.