Je me suis posé ces quelques simples questions : pouvons-nous faire confiance aux médias mainstream et aux réseaux sociaux ? Toutes les études publiées dans les journaux à comité de lecture sont-elles de qualité et indépendantes des intérêts industriels ? Toutes les vidéos de haute qualité montrant des déclarations de personnalités célèbres sont-elles réelles ? En réponse à ces interrogations, un non clair s’est imposé à chacune d’entre elles. En réalité, peu d’informations aujourd’hui me semblent avérées sans une nécessaire remise en question. Le doute reste un fondement de la sagesse et de la science.

Tant au niveau privé que dans mes recherches professionnelles, je tente d'évaluer les informations sur une échelle allant de « totalement faux » à « totalement avéré ». Entre ces extrêmes, j'ai tendance à donner ma confiance aux personnes qui n'ont aucun conflit d'intérêts. J'accorde plus de crédit aux experts avec une expérience de longue date et/ou des connaissances académiques. Lorsque parler librement met en danger la carrière ou la vie d'une personne, résonne en moi un signal que quelque chose ne va pas. J'aime comparer différents points de vue avant de me faire ma propre opinion. Je me méfie des gens qui prétendent connaître la vérité. Approcher la vérité demande du temps et une bonne dose de patience.

Depuis 2020, mes recherches sur la 5G (la cinquième génération de réseaux de télécommunications mobiles) m'ont amené à discuter avec des personnes formidables. Ce cheminement m'a ouvert l'esprit. J'ai dû laisser de côté certains acquis de l’école d'ingénieurs et reconnaître que la technologie a besoin de limites. J'ai repéré la propagande (l’intox ou « fake news ») qui fait la promotion de l'industrie des télécoms. Je me suis engagé à m’informer sur les alternatives aux réseaux publics 5G.

Dans un article en anglais, j'ai expliqué que la 5G ne rendra ni les télécommunications mobiles ni la société « vertes ». J'ai soulevé les problèmes de l'énorme consommation électrique de la 5G, de ses besoins en extraction de minerais et ses impacts sur le changement climatique. Pour réduire considérablement ses impacts environnementaux, j'ai proposé de limiter les déploiements 5G aux usines qui peuvent en bénéficier, plutôt qu'en tant que réseau public. A présent, j’aimerais discuter des avantages et des mythes entourant la 5G et des possibilités permettant d’éviter ses impacts environnementaux.

Considérerons les avantages de la 5G du point de vue des particuliers et des entreprises. Du côté des particuliers, les enthousiastes de la 5G affirment qu’elle améliorera les connexions en matière de vitesse et de temps de réponse, avec un nombre massif d'appareils connectés. Pourtant, même des acteurs importants du secteur1 indiquent que la 5G n'apportera aucune amélioration substantielle aux consommateurs par rapport à la 4G.

C’est du côté des entreprises que certaines grandes industries manufacturières pourraient bénéficier des améliorations techniques promises par la 5G dite « Phase 2 ». Toujours en développement, ces améliorations incluent l'Internet Industriel des objets (I-IoT, pour Industrial Internet of Things, en anglais).

Je prends les affirmations de l'industrie mobile sur le potentiel de révolution technologique de la 5G avec la plus grande prudence. Voici un bref résumé de quelques mythes courants entourant la 5G.

Vitesse. Alors que la 5G peut offrir des vitesses supérieures à 1000 mégabits par seconde (Mbps), une visio-conférence de haute qualité nécessite à peine 0,5 Mbps tandis que la haute définition (HD) nécessite 1,5 Mbps. De même, on atteint déjà la qualité d'image perçue la plus élevée sur un appareil mobile dès 1,5 Mbps. Netflix recommande 5 Mbps pour le streaming HD sur grand écran. La télémédecine (y compris la chirurgie et l'imagerie médicale) nécessite entre moins de 2 Mbps et 40 Mbps. La vitesse idéale pour la navigation sur Internet est de 8 Mbps. Pour les vidéos ultra-HD 4K (utiles sur de très grands écrans), Netflix recommande 25 Mbps. Le besoin pour la réalité virtuelle varie de quelques Mbps à quelques centaines de Mbps pour des applications futures extrêmement immersives. Voici de quoi tuer le mythe : avec plus de 1000 Mbps, la technologies 4G récente peut déjà offrir toutes ces vitesses. De plus, des améliorations attendues en matière de compression d'image par intelligence artificielle (IA) peuvent même réduire davantage les vitesses requises.

Latence, ou temps de réponse. L'industrie affirme que la 5G pourrait offrir des latences inférieures à une milliseconde (ms), alors que la latence aller-retour en téléchirurgie est déjà imperceptible sous 300 ms. Le streaming vidéo nécessite 25 à 75 ms. La latence idéale pour le jeu en ligne se situe autour de 50 ms. Pour éliminer la sensation d'attente entre les pages, la navigation sur Internet a besoin de 25 à 50 ms. Encore une fois, la 4G permet déjà ces performances avec des latences de 30-40 ms en conditions réelles. Or les industries manufacturières qui auraient besoin de latences encore plus faibles peuvent installer des infrastructures 5G Phase 2 privées.

Nombre d'appareils connectés. Alors que la 5G pourrait connecter un million d'appareils par kilomètre carré, une combinaison de différentes technologies IoT2 alternatives existantes pourrait déjà connecter autant de machines.

Ceci nous amène à l'Internet des objets (IdO ou IoT), à l'IoT industriel (I-IoT) et à la communication de machine à machine. L'industrie prétend souvent que la 5G serait nécessaire à l'IoT. La 5G pourrait en fait ajouter de la confusion dans un marché de l'IoT déjà vaste et complexe3, où les infrastructures existantes sont déjà en concurrence. Dans une usine, les robots, caméras, lasers de découpe, perceuses de haute précision, etc. (qui nécessitent des connexions sans fil à faible latence sur des chaînes de production hautement automatisées) pourraient bénéficier d'un réseau 5G privé sur site avec une sécurité accrue par rapport à un réseau 5G public. L’I-IoT ne nécessite pas de réseau public 5G.

Les véhicules autonomes (AV) utilisent plusieurs capteurs pour percevoir leur environnement immédiat. L’intelligence artificielle (IA) remplace le conducteur humain. Une fois « entraînée » à bien conduire, l'IA peut être téléchargée dans le véhicule et conduire — sans 5G. Les AV utilisent également des communications « véhicule-à-tout » (V2X) pour échanger des données avec d'autres véhicules et l’infrastructure routière à proximité (comme les feux de signalisation) quand ils sont équipés en V2X. Là encore, la 5G n'est pas nécessaire. Le Wi-Fi, la 4G et même la lumière peuvent également offrir des communications V2X.

Les drones nécessitent des connexions en trois dimensions. Aujourd'hui, les drones utilisent principalement des antennes au sol qui pointent vers le drone et les communications par satellite existantes. Les réseaux mobiles sont conçus pour connecter les utilisateurs près du sol, et non les drones qui volent à des altitudes plus élevées. Les réseaux mobiles peuvent être une option pour les petits drones à faible portée et basse altitude, mais ils posent de nombreux défis techniques. Des « autoroutes » de drones pourraient voir le jour avec des antennes 4G ou 5G qui pointent vers le ciel pour cibler les drones, mais elles ne nécessiteraient pas de réseau public 5G.

La ville intelligente (smart city) pourrait devenir un utilisateur majeur de l'Internet des objets (IdO ou IoT). Néanmoins, encore une fois, les technologies existantes peuvent fournir ces connexions. La 5G n’y est pas nécessaire.

Les réseaux intelligents visent à automatiser les réseaux de transport et de distribution d’énergie au moyen de capteurs IoT connectés et de contrôle à distance. Pour éviter les coupures de courant électrique, l'automatisation des réseaux critiques nécessite des fibres optiques hautement fiables et d'autres infrastructures filaires. Les compteurs intelligents mesurent la consommation d'électricité, d'eau et de gaz des clients. Pour les applications non critiques et les compteurs intelligents, les technologies sans fil IoT sont déjà disponibles. La 5G n'apporte d’avantage ni aux réseaux intelligents ni aux compteurs intelligents.

Dans l’agriculture, des industriels mettent en avant des robots et drones qui pourraient surveiller les cultures et le bétail avec des images à ultra-haute définition et l’Intelligence Artificielle (IA). Or avec une IA embarquée dans les machines agricoles, la 5G n'est pas nécessaire. Sans la 5G, l’agriculture pourrait ainsi profiter d’un traitement des images plus rapide et sans exposition des cultures, du bétail ou des pollinisateurs au rayonnement électromagnétique de la 5G.

La téléchirurgie et la téléconsultation, impliquant parfois la radiographie, l’échographie, l’IRM ou la robotique, nécessitent des réseaux extrêmement fiables. En règle générale, les réseaux fiables sont câblés. Les réseaux mobiles comme la 5G ne conviennent qu'aux démonstrations avec un mannequin. Pour la téléconsultation, les vitesses (2-6 Mbps) et les latences (inférieures à 300 millisecondes) requises peuvent être atteintes avec la 3G. Les centres médicaux dans les régions isolées sans médecins spécialistes, peuvent offrir des téléconsultations avec des réseaux câblés. Les cliniques très isolées peuvent utiliser les réseaux satellites existants. La technologie 5G n'apporte aucun avantage à la télémédecine.

La réalité virtuelle (VR) est principalement utilisée à l'intérieur avec des réseaux fixes rapides et à faible latence comme le Wi-Fi ou le Wi-Gig. Pour les voyageurs, des applications VR immersives utilisant la 4G sont déjà disponibles et ne nécessitent que 4 Mbps. La réalité augmentée (AR) en intérieur ou extérieur consomme moins de données que la réalité virtuelle et peut utiliser les technologies fixes (Wi-Fi) et mobiles (4G) existantes. Signalons encore que les études portant sur les effets de la réalité virtuelle sur la santé (ce y compris la vue des enfants) sont encore très limitées.

Je rêve d'éliminer le besoin de la 5G publique en réduisant la croissance du trafic mobile et/ou en utilisant la 4G à sa pleine capacité. L'association mondiale des opérateurs mobiles (GSMA) montre dans un article sur la 5G que la croissance du trafic n’est pas entraînée par la demande des consommateurs, mais bien par le rythme de déploiement de la 5G par les opérateurs4. Les forfaits de données mobiles illimités conduisent les consommateurs à ne plus évaluer le meilleur réseau (câble, Wi-Fi) pour leur connexion. Cette situation démontre qu'un effort conjoint des législateurs, des fournisseurs et des consommateurs pourrait réduire la croissance du trafic mobile, voire conduire à sa décroissance. L'Union européenne vise désormais à réduire ses émissions de carbone de 5 % par an. L'industrie des télécommunications aurait ici une opportunité unique de montrer la voie vers un avenir durable en s'appuyant sur les réseaux existants et en arrêtant les déploiements massifs de la 5G.

La propagande 5G est essentiellement le résultat d’une industrie à la recherche d'opportunités de marché. La 5G n'est pas une réponse à une demande du marché5. Rien ne semble donc justifier de nouvelles infrastructures 5G massives et énergivores. Les législateurs, fournisseurs et consommateurs qui visent réellement à réduire la consommation d'énergie, l'extraction et les émissions de gaz à effet de serre pourraient-ils empêcher une croissance débridée des données mobiles et s'engager à utiliser les infrastructures existantes ?

Des mois de recherches intensives et de discussions avec des experts et des acteurs de l'industrie n’ont toujours pas mis en évidence de besoin convaincant de réseaux 5G publics à grande échelle. En ce moment historique, où l'immunité humaine doit être plus forte que jamais, pourquoi alors risquerions-nous d'émettre une nouvelle couche de rayonnement électromagnétique (non testé) sur le grand public, la faune et la flore ? Si chaque utilisateur, législateur et fournisseur de services Internet examinait les impacts de la 5G avec une diligence raisonnable, les infrastructures 5G pourraient-elles être limitées aux industries qui en bénéficieront réellement ?

Notes

1 Exemple 1 : Sénat de France, audition du PDG de Bouygues Telecom. « ( ..) la 5G apporte deux éléments : d'abord, pour les clients, le fait de voir apparaître un 5 au lieu du 4, que le client jugera plus efficace par réflexe. En revanche, elle ne changera rien au quotidien du consommateur (…). La rapidité, en effet, ne sera pas réellement perceptible. (…) Il s'agit d'un intérêt opérateur, qui n'est absolument pas perçu par le consommateur final. » Exemple 2 : William Webb, The 5G Myth, 3rd Edition, 2019.
2 Matt Hatton & William Webb, The Internet of Things Myth, 2020.
3 Ibid.
4 Dans la Fig. 4, trois stratégies de déploiement de la 5G sont proposées aux opérateurs mobiles, chacune avec un résultat différent sur la croissance du trafic de données (CAGR).
5 William Webb, The 5G Myth, 3rd Edition, 2019.